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Rendue par la Cour d’appel de Besançon, chambre sociale, le 9 septembre 2025, la décision tranche un litige de recouvrement de cotisations fondé sur la qualification de travail dissimulé entre 2014 et 2018. Le contentieux naît d’investigations pénales et d’un procès-verbal visant une activité non déclarée, suivis d’une lettre d’observations, de mises en demeure, puis du rejet d’un recours amiable. Le pôle social avait validé la période 2015-2018 et sursis pour 2014, en attendant l’issue pénale. Saisie par les deux parties, la Cour devait dire s’il convenait de surseoir jusqu’à l’arrêt à intervenir et si la fixation forfaitaire de l’assiette, opérée au titre de l’article R. 243-59-4 du code de la sécurité sociale, devait être validée. Elle retient, d’une part, qu’aucun sursis n’est nécessaire malgré un pourvoi pendant et, d’autre part, que l’assiette forfaitaire est légitimement déterminée au vu de l’absence de comptabilité et de l’importance des espèces. À ce titre, elle affirme que « S’il n’est pas définitif, cet arrêt de condamnation ne saurait pour autant justifier un quelconque sursis à statuer » et confirme la validation intégrale du redressement pour les années 2014 à 2018.
I. L’articulation pénal/civil et le refus de surseoir
A. Autorité de la chose jugée et office du juge social
La Cour rappelle avec pédagogie la règle structurante qui gouverne l’articulation des procédures. Selon elle, « Il est admis qu’en vertu du principe de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, les décisions définitives des juridictions pénales statuant au fond sur l’action publique ont au civil autorité absolue en ce qui concerne ce qui a été nécessairement jugé par le juge pénal sur l’existence du fait qui forme la base commune de l’action civile et de l’action pénale, sur sa qualification ainsi que sur la culpabilité ou l’innocence de celui à qui le fait est imputé (2e Civ. 23 janvier 2020 n°18-19.080; 2e Civ. 31 mai 2018 n° 17-18.142; 2e Civ. 12 mars 2020 n° 18-21.648). » Elle précise que « Il est tout autant admis que cette autorité s’étend aux motifs qui sont le soutien nécessaire du chef de dispositif prononçant la décision (2e Civ. 10 septembre 2015 n° 14-20.677). » Enfin, elle souligne que « l’autorité de la chose jugée au pénal […] ne saurait appartenir à une décision constatant l’extinction de l’action publique (Soc. 18 mars 2020 n° 18-20.800). »
Le rappel est doublement éclairant. D’abord, il distingue l’autorité du pénal sur le civil, attachée au caractère définitif, de l’appréciation autonome du juge social tant que l’arrêt répressif n’est pas irrévocable. Ensuite, il dessine le périmètre normatif de cette autorité, qui inclut les motifs nécessaires, afin d’éviter des contradictions sur le fait générateur commun.
B. Application concrète et appréciation du sursis à statuer
Partant de ce cadre, la Cour écarte le sursis en relevant la consistance du faisceau probatoire civil, constitué d’aveux circonstanciés, de constatations de contrôle et d’un arrêt pénal confirmatif, bien que non définitif. L’énoncé est net: « S’il n’est pas définitif, cet arrêt de condamnation ne saurait pour autant justifier un quelconque sursis à statuer », ce d’autant que l’infraction de travail dissimulé a été « parfaitement caractérisée » pour l’année 2014 et que la dissimulation d’activité ressort pour la période postérieure. Elle en tire la conséquence suivante: « Il convient en conséquence de confirmer le jugement déféré en ce qu’il a implicitement rejeté la demande de sursis à statuer pour la part du redressement afférente aux années 2015 à 2018, mais de l’infirmer en ce qu’il a sursis à statuer […] durant l’année 2014. »
La solution concilie l’exigence de célérité du recouvrement et la sécurité juridique. Le sursis n’est pas un automatisme dès lors que la décision pénale pendante n’emporte pas encore autorité et que les éléments civils suffisent à statuer sans risque sérieux de contrariété. Le dispositif prolonge cette analyse par l’affirmation: « Dit n’y avoir lieu de surseoir à statuer pour l’entièreté de la période visée ». Reste à examiner la seconde clef du litige, relative à l’assiette et à la preuve.
II. L’assiette forfaitaire en cas de dissimulation et la preuve contraire
A. Le mécanisme de l’article R. 243-59-4 et son usage mesuré
La Cour rattache explicitement la reconstitution au texte ad hoc: « l’évaluation forfaitaire du chiffre d’affaires […] résulte de l’application des dispositions de l’article R. 243-59-4 du code de la sécurité sociale ». Elle en rappelle la teneur, citant que « ce texte prévoit qu’en cas de travail dissimulé la fixation forfaitaire peut être fixée, à défaut de preuve contraire, à hauteur pour chaque exercice contrôlé de trois fois la valeur annuelle du plafond mentionné à l’article L. 241-3 en vigueur à la date à laquelle le contrôle a débuté lorsque la personne contrôlée est un travailleur indépendant ». Elle souligne, en outre, que l’inspecteur n’a retenu « qu’un seul plafond annuel de sécurité sociale par an », option plus clémente que le maximum envisageable.
Deux enseignements ressortent. D’une part, l’outil forfaitaire vise précisément les situations d’opacité comptable induites par la dissimulation; il institue une présomption réfragable, adossée à un référentiel objectif. D’autre part, l’usage d’un seul plafond par exercice manifeste un calibrage proportionné, réduisant l’aléa inhérent à une estimation plus agressive.
B. La valeur probante des éléments produits et la portée de la décision
La Cour motive sobrement le rejet des pièces adverses. Elle relève que « en l’absence de toute comptabilité et compte tenu de la présence importante d’espèces, il est impossible de déterminer avec précision son chiffre d’affaires ». Elle en déduit que « Les documents épars communiqués […] sont dépourvus de toute valeur probante », s’agissant de relevés bancaires et de tableaux produits unilatéralement, qui ne captent ni les recettes en espèces ni leur ventilation. Le raisonnement est classique: l’administration démontre l’impossibilité d’une reconstitution exacte, ce qui déclenche le forfait légal; il appartient alors au cotisant d’apporter une preuve contraire suffisamment précise, régulière et complète.
La portée pratique est notable. D’abord, la décision valide la grille probatoire attendue dans les contentieux de dissimulation: indices convergents d’activité, défaut d’immatriculation, flux d’espèces incompatibles avec les revenus officiels, et absence de comptabilité. Ensuite, elle confirme que la présomption de l’article R. 243-59-4 n’est pas irréfragable mais exige une contre-preuve sérieuse, idéalement issue de documents contemporains, exhaustifs et vérifiables. Enfin, l’usage d’un seul plafond par an limite les effets d’une estimation au forfait et renforce la proportionnalité du redressement, tout en assurant l’effectivité du recouvrement.
Au terme de cette analyse, la cohérence d’ensemble entre articulation pénal/civil et mécanisme d’assiette apparaît assumée. La juridiction énonce des principes clairs, les applique sans dénaturer le cadre légal, et inscrit le dispositif dans une logique de sécurité juridique et de lutte contre l’opacité. L’énoncé final en est le corollaire: « Valide l’entier redressement au titre des années 2014 à 2018 », après avoir dit qu’il n’y avait pas lieu de surseoir, ce qui referme harmonieusement les deux chefs du litige.