Cour d’appel de Besançon, le 9 septembre 2025, n°24/01018

La soumission au régime de la responsabilité contractuelle de droit commun des locateurs d’ouvrage, combinée à l’examen rigoureux des clauses d’exclusion de garantie d’assurance, illustre les enjeux contemporains de la réparation des désordres affectant les ouvrages dissociables. L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Besançon le 9 septembre 2025 offre une contribution significative à cette problématique.

Des propriétaires d’une maison d’habitation avaient fait édifier une terrasse supportant un chalet de type kota. Ils ont ensuite confié à une société les travaux de pose d’un revêtement de sol, réceptionnés sans réserve en juillet 2019 pour un montant de 4 524,30 euros. Quelques mois plus tard, des désordres sont apparus sous forme de blanchissement du revêtement et de flaques d’eau persistantes à la surface. La société prestataire, sollicitée pour réparation, a procédé à l’enlèvement du dispositif sans le remplacer, estimant que la responsabilité incombait au constructeur de la terrasse.

Par acte du 12 septembre 2023, les propriétaires ont assigné devant le tribunal judiciaire de Vesoul la société prestataire et son assureur en responsabilité civile professionnelle aux fins d’indemnisation. Par jugement du 25 juin 2024, le tribunal a condamné in solidum l’entreprise et son assureur au paiement de 12 989,45 euros pour les dommages matériels, 8 000 euros pour le préjudice de jouissance et 3 000 euros au titre des frais irrépétibles, admettant toutefois l’opposabilité de la franchise contractuelle de 3 000 euros. Le tribunal a estimé que la clause d’exclusion de garantie pour les frais de remise en état vidait la garantie de son contenu et que la clause relative aux dommages immatériels nécessitait interprétation.

L’assureur a interjeté appel, soutenant que les clauses d’exclusion de garantie étaient parfaitement opposables et que seule une prise en charge limitée à 1 200 euros correspondant aux frais de démontage et remontage du kota était envisageable.

La question posée à la Cour d’appel de Besançon était donc double : d’une part, celle de la responsabilité du locateur d’ouvrage pour un revêtement dissociable non fonctionnel ; d’autre part, celle de l’opposabilité des clauses d’exclusion de garantie au regard des articles 1170 du code civil et L. 113-1 du code des assurances.

La Cour infirme le jugement en ce qui concerne la mobilisation de la garantie de l’assureur. Elle confirme la responsabilité contractuelle de l’entrepreneur mais juge que les clauses d’exclusion sont opposables. L’assureur n’est tenu de garantir qu’à hauteur de 1 200 euros.

L’arrêt mérite examen tant sur le terrain de la qualification du revêtement et du régime de responsabilité applicable (I) que sur celui de l’appréciation de la validité des clauses d’exclusion de garantie (II).

I. La qualification du revêtement dissociable et le régime de responsabilité contractuelle de droit commun

La Cour procède à une qualification précise de l’ouvrage litigieux (A) avant d’en déduire l’application du régime de responsabilité contractuelle fondé sur l’obligation de résultat (B).

A. L’exclusion du régime des garanties légales des constructeurs

La Cour relève que le revêtement de sol « est dissociable de l’ouvrage de support, c’est-à-dire qu’il peut être retiré sans altération de sa substance ». Elle ajoute que « n’ayant aucune fonction d’étanchéité, il ne peut donc être assimilé à un ouvrage immobilier autonome au sens des dispositions de l’article 1792 du code civil ». Cette qualification exclut le revêtement du champ d’application de la garantie décennale.

La Cour poursuit son analyse en précisant qu’« ainsi dépourvu de toute propriété fonctionnelle, ce revêtement ne constitue pas un équipement immobilier soumis au régime de la garantie biennale de l’article 1792-4 du code précité ». Le caractère purement esthétique du revêtement, sans incidence sur le fonctionnement de l’ouvrage, conduit à l’éviction des garanties légales des constructeurs.

Cette qualification rigoureuse s’inscrit dans une jurisprudence constante distinguant les éléments d’équipement selon leur fonction. Un revêtement décoratif, même appliqué sur un ouvrage immobilier, ne participe pas de la destination de celui-ci. La Cour fait ainsi application d’une grille d’analyse éprouvée qui subordonne le bénéfice des garanties légales à la démonstration d’une fonction technique de l’élément considéré.

B. L’application de la responsabilité contractuelle fondée sur l’obligation de résultat

De cette qualification découle l’application du régime de la responsabilité contractuelle de droit commun. La Cour énonce que « cette qualification d’ouvrage non fonctionnel induit, en conséquence, une soumission au régime de la responsabilité contractuelle de droit commun des locateurs d’ouvrage fondée sur une obligation de résultat emportant à la fois présomption de faute et de causalité ». Elle vise expressément un arrêt de la troisième chambre civile du 13 juillet 2022.

L’expert judiciaire a établi que « la société n’a pas respecté les préconisations du fournisseur alors que la fiche d’information insistait sur la nécessité d’aménager une pente pour favoriser l’évacuation de l’eau de pluie ». La terrasse elle-même étant « indemne de toute défectuosité », le dallage béton n’est « intervenu en aucune manière dans la production du dommage ».

Le prestataire soutenait que le défaut de pente était imputable au constructeur de la terrasse. La Cour rejette cette argumentation en relevant que « non seulement la société intimée n’administre pas la preuve d’une cause exonératoire de responsabilité mais la faute d’exécution a été caractérisée par le technicien ». Le régime de l’obligation de résultat fait peser sur le débiteur la charge de prouver une cause étrangère. Cette preuve n’étant pas rapportée, la responsabilité est confirmée.

L’arrêt illustre ainsi l’articulation entre qualification de l’ouvrage et régime de responsabilité. L’absence de fonction technique du revêtement exclut les garanties légales mais n’allège pas pour autant la charge pesant sur l’entrepreneur, tenu d’une obligation de résultat.

II. L’opposabilité des clauses d’exclusion de garantie d’assurance

La Cour se prononce sur la validité des clauses d’exclusion tant au regard de l’article 1170 du code civil pour le préjudice matériel (A) qu’au regard de l’article L. 113-1 du code des assurances pour le préjudice immatériel (B).

A. Le rejet du caractère dérisoire de la garantie au sens de l’article 1170 du code civil

La clause d’exclusion stipulait l’éviction de toute garantie pour « réparer, parachever ou refaire le travail » ou « remplacer tout ou partie du produit ». Le tribunal avait estimé que cette clause « aboutissait à vider la garantie de son contenu ».

La Cour infirme cette analyse. Elle pose le principe selon lequel « l’appréciation du caractère dérisoire de la garantie offerte par le porteur de risques n’est pas limitée aux conditions de prise en charge du seul sinistre déclaré et s’étend à l’ensemble des stipulations qui déterminent le périmètre d’intervention de l’assureur ». Elle précise que « c’est à l’examen de l’ensemble des obligations de garantie souscrites pour le risque couvert que doit être déterminé le caractère inexistant ou dérisoire de l’engagement de l’assureur ».

Appliquant ce critère, la Cour relève que la police couvre « les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile pouvant incomber à l’assuré en raison des dommages corporels, matériels et immatériels consécutifs ou non consécutifs causés à des tiers ». Elle ajoute que « les dommages aux existants entrent dans le champ de prévision de la garantie ». Elle en déduit que « la garantie offerte ne peut être appréhendée comme dérisoire et en disproportion avec le montant des primes acquittées puisqu’il subsiste plusieurs occurrences dans lesquelles celle-ci est mobilisable, et sans que les risques pris en compte ne puissent être regardés comme étant de survenance exceptionnelle ».

Cette analyse traduit une conception stricte de l’article 1170 du code civil. Le caractère dérisoire s’apprécie globalement et non par référence au sinistre particulier. Une clause excluant la réparation du travail défectueux n’est pas contraire à l’essence de l’obligation dès lors que d’autres garanties substantielles demeurent.

B. La conformité de la clause d’exclusion des dommages immatériels aux exigences de l’article L. 113-1 du code des assurances

S’agissant du préjudice immatériel, le tribunal avait jugé que la clause nécessitait interprétation et n’était donc « ni formelle ni limitée ». La Cour adopte une position inverse.

Elle relève que « le vocable de préjudice immatériel consécutif est répertorié dans le lexique des différentes expressions utilisées dans la police, en lui donnant un contenu spécifique et déterminé, et non sujet à une quelconque interprétation ». Elle précise que « la locution verbale renvoie au préjudice de jouissance subi par le cocontractant de l’assuré ».

En conséquence, la Cour juge que « la clause d’exclusion explicitée dans les conditions générales ne peut encourir le grief selon lequel elle serait non formelle et limitée au sens des dispositions de l’article L. 113-1 du code des assurances ». L’existence d’un lexique contractuel définissant les termes employés suffit à satisfaire l’exigence de clarté.

Cette solution rappelle que le caractère formel et limité d’une clause d’exclusion s’apprécie au regard de sa rédaction et non de ses effets. Une clause utilisant des termes définis dans la police répond aux exigences légales. L’assureur n’est dès lors tenu qu’à hauteur de 1 200 euros correspondant aux frais de démontage et remontage du kota, seule prestation entrant dans le périmètre résiduel de la garantie.

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Hassan KOHEN
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