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Cour d’appel de Besançon, 9 septembre 2025. La juridiction d’appel statue, à la suite d’un jugement de rejet, sur la demande d’un descendant visant à voir reconnaître et fixer une créance de salaire différé au titre de sa collaboration à l’exploitation paternelle entre 1975 et 1984. Les faits tiennent à une participation alléguée aux travaux agricoles, malgré des emplois extérieurs intermittents, sans rémunération ni association aux résultats, contestée par une cohéritière qui invoquait des contreparties en nature et une donation postérieure. La procédure a vu le premier juge débouter le demandeur, faute de preuve suffisante et en raison de la concomitance d’emplois salariés. L’appelant a sollicité l’infirmation, la fixation de sa créance à 126 544,68 euros, sa réévaluation au partage, et le rejet d’un délai de paiement. L’intimée a conclu à la confirmation, subsidiairement au plafonnement à l’actif successoral et à l’octroi d’un délai. La question posée portait d’abord sur les conditions d’accès au salaire différé, notamment la preuve d’une participation directe et effective malgré des activités salariées, et l’absence de rémunération en argent ou d’association aux résultats. Elle portait ensuite sur les modalités de chiffrage et de paiement, incluant le plafond légal, l’indexation au SMIC, l’interdiction de soulte et l’opportunité d’un délai. La cour infirme, reconnaît le principe et fixe le montant, en rappelant que « Les dispositions précitées réservent le bénéfice d’une créance de salaire différé aux descendants d’un exploitant agricole, qualité d’exploitant qui ne se confond pas avec celle de propriétaire », et que « Il est enfin constant qu’il appartient au bénéficiaire du salaire différé d’apporter la preuve qu’il n’a pas été associé aux bénéfices au cours de l’exploitation en commun et n’avait reçu aucun salaire en contrepartie de sa collaboration ».
I. Les conditions du salaire différé et leur appréciation probatoire
A. Qualité d’exploitant et champ personnel d’application
La décision rappelle avec netteté l’exigence d’un exploitant agricole au sens fonctionnel et non patrimonial. La formule selon laquelle « Les dispositions précitées réservent le bénéfice d’une créance de salaire différé aux descendants d’un exploitant agricole, qualité d’exploitant qui ne se confond pas avec celle de propriétaire » évite toute confusion entre détention d’un fonds et exercice effectif de l’activité. L’office de la cour consiste à vérifier l’existence de cette qualité au regard des indices administratifs et factuels produits, sans ériger un formalisme probatoire excessif.
La solution s’inscrit dans un courant protecteur du travail familial agricole, en privilégiant les éléments convergents d’une activité d’exploitation au long cours. Elle sanctionne, à juste titre, une argumentation purement négative de la partie adverse qui ne proposait aucun élément de substitution établissant une activité différente. Cette exigence d’objectivation, mesurée et réaliste, conforte le rattachement du mécanisme au travail agricole réel, non au titre de propriété ou au seul état civil.
B. Participation, absence de rémunération et tolérance à l’emploi extérieur
La cour précise l’ampleur de la participation requise. L’extrait suivant résume la position retenue: « les dispositions précitées n’exigent pas une participation quotidienne à l’exploitation agricole ni que celle-ci soit permanente et exclusive, dès lors qu’elle n’est pas simplement occasionnelle ». La participation peut donc être régulière et significative, sans exclure des activités salariées intermittentes, dès lors que l’aide familiale conserve consistance et ne se réduit pas à l’épisodique.
Cette approche s’accorde avec la physionomie saisonnière de nombreux travaux agricoles. Elle est d’ailleurs entérinée par l’analyse concrète du rythme de l’emploi extérieur, que la cour ne juge pas incompatible avec les tâches relatées. Elle énonce, dans une formule dépourvue d’ambiguïté quant à la charge probatoire de l’absence de contrepartie, que « Il est enfin constant qu’il appartient au bénéficiaire du salaire différé d’apporter la preuve qu’il n’a pas été associé aux bénéfices au cours de l’exploitation en commun et n’avait reçu aucun salaire en contrepartie de sa collaboration ». La preuve, appréciée in concreto, peut résulter d’attestations circonstanciées, croisées avec des documents anciens, ce que la juridiction valorise sans rigidité formaliste.
La décision rejette la thèse d’un paiement en nature ou d’un avantage équivalent. Elle opère une distinction nette entre avantages inhérents à la vie familiale et rémunération en argent prohibée par le texte. Elle ajoute utilement que « La donation-partage d’un bien immobilier est sans incidence sur l’appréciation d’une rétribution du salaire différé en ce qu’elle ne constitue qu’une avance sur le partage successoral prise en compte lors des opérations de liquidation-partage ». La donation n’efface donc pas la créance, sauf désintéressement exprès dans les formes prévues, ce qui rétablit la cohérence du régime en évitant une confusion des logiques patrimoniales.
II. Montant et modalités de règlement de la créance
A. Barème légal, plafond temporel et période ouvrant droit
Le chiffrage s’aligne sur les textes. La cour rappelle que, « Aux termes de l’article L. 321-17 du code rural et de la pêche maritime, les droits de créance au titre du salaire différé ne peuvent en aucun cas, et quelle que soit la durée de la collaboration apportée à l’exploitant, dépasser, pour chacun des ayants droit, la somme représentant le montant de la rémunération due pour une période de dix années ». Elle applique ensuite la règle de détermination annuelle, en citant que « Cette dernière disposition prévoit que le taux annuel du salaire sera égal, pour chacune des années de participation, à la valeur des deux tiers de la somme correspondant à 2 080 fois le taux du salaire minimum interprofessionnel de croissance ».
La période utile commence à la majorité, immédiatement après le service national, et s’achève à la date retenue par la demande, l’intéressé ayant limité sa prétention à quatre-vingt-quatorze mois. Le calcul actualise sur la base du SMIC applicable au 1er mai 2023 et prévoit une mise à jour au jour du partage. La solution ménage un double impératif: respecter le plafond décennal et assurer un ancrage économique réaliste, indexé sur l’évolution du salaire minimum.
Cette méthode, conforme au texte, assure sécurité et prévisibilité. Elle évite les évaluations arbitraires et rétablit un équilibre entre la valorisation du travail familial et la protection des cohéritiers, grâce au plafond et à l’indexation finalisée au partage. Le montant retenu répond ainsi aux critères légaux, sans se laisser entraîner par des considérations extrinsèques à la collaboration effectivement démontrée.
B. Paiement au partage, absence de soulte et dénégation des délais
La décision consacre deux axes majeurs du régime de paiement. D’abord, l’interdiction d’une charge personnelle des cohéritiers au-delà de l’actif: « L’article L. 321-13 du code rural et de la pêche maritime […] dispose que la prise en compte du salaire différé pour la détermination des parts successorales ne peut donner lieu au paiement d’une soulte à la charge des cohéritiers ». Ensuite, l’exigibilité au moment du partage, qui reflète la nature liquidative de la créance et évite les tensions prématurées de trésorerie au sein de l’indivision.
La cour articule ces principes avec les règles relatives aux délais de paiement. Elle rappelle que les délais sont régis par les dispositions de réduction et, surtout, demeurent bornés, sans pouvoir reporter l’exigibilité au-delà d’une certaine limite. Le refus de délais se justifie ici par la qualification de la créance, appelée à être réglée au partage, dans un cadre légal déjà aménagé en faveur de l’équilibre des intérêts en présence. La combinaison de l’interdiction de la soulte et de l’exigibilité différée confère au mécanisme une cohérence patrimoniale remarquable.
La valeur de l’arrêt tient à sa pédagogie juridique et à sa prudence probatoire. La juridiction d’appel clarifie l’intensité de la participation exigée, sans surplomb théorique, et admet l’intermittence d’emplois extérieurs dès lors que l’aide familiale conserve corps et régularité. Elle entérine une ligne constante, en phase avec la saisonnalité des travaux et la réalité socioprofessionnelle des exploitations familiales. Elle confirme, de manière convaincante, l’étanchéité entre donation-partage et rémunération du travail, préservant l’économie du régime successoral.
La portée pratique est nette. Les praticiens disposent d’un canevas probatoire: attestations concrètes, indices continus d’activité, documents antérieurs à l’ouverture de la succession, et articulation intelligente des périodes salariées avec les cycles agricoles. Les cohéritiers voient leurs risques maîtrisés par l’interdiction de la soulte et le règlement au partage, alors que le bénéficiaire obtient une valorisation substantielle, plafonnée et indexée. La solution favorise des liquidations plus sereines, en désamorçant deux contentieux récurrents: l’argument du « paiement en nature » et la confusion entre libéralités antérieures et désintéressement du salaire différé.
Enfin, l’arrêt contribue à stabiliser le droit positif en réaffirmant des jalons simples et maniables. En matière de participation, la cour écarte les conceptions maximalistes de l’exclusivité, sans abaisser la barre probatoire. En matière de paiement, elle confirme l’assise liquidative de la créance, son ancrage dans l’actif successoral, et une temporalité rythmée par le partage. Par sa rigueur mesurée, la motivation confère à la solution une légitimité technique et une utilité opérationnelle durables.