Cour d’appel de Bordeaux, le 1 juillet 2025, n°22/03324

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Rendue par la cour d’appel de Bordeaux le 1er juillet 2025, la décision tranche un contentieux de licenciement pour motif économique à la suite d’une réorganisation logistique. Un salarié, cadre responsable d’entrepôt, a vu son poste supprimé après transfert d’activité et fermeture de site, l’employeur invoquant pertes d’exploitation, baisse de chiffre d’affaires et économies attendues. Le conseil de prud’hommes avait rejeté les demandes indemnitaires. En cause d’appel, l’intéressé soutenait l’insuffisance de motivation, l’erreur de périmètre d’appréciation du motif et l’absence de menace sur la compétitivité, ainsi qu’une exécution déloyale du contrat. L’employeur arguait d’une lettre précise, d’une sectorisation pertinente et d’une réorganisation nécessaire pour sauvegarder la compétitivité. La cour valide la motivation de la lettre, mais censure le périmètre retenu et l’insuffisance des preuves à l’échelle pertinente, en écartant la cause réelle et sérieuse. Elle alloue 50 000 euros sur le fondement du barème légal et ordonne le remboursement partiel des allocations.

I. La caractérisation du motif économique

A. Une motivation de la lettre jugée suffisante
La cour rappelle la norme gouvernant la motivation de la rupture en retenant que « la lettre de licenciement doit comporter l’énoncé des motifs économiques invoqués par l’employeur, ainsi que leurs conséquences sur l’emploi ou le contrat de travail du salarié ». L’énonciation des pertes d’exploitation, de la baisse du chiffre d’affaires, du déficit propre au site fermé, et des économies attendues du transfert d’activité a été jugée circonstanciée. Le raisonnement lie des données chiffrées identifiées à une mesure de fermeture de site et à la suppression de six postes, dont celui du salarié. En conséquence, la juridiction retient une motivation suffisante, considérant que les griefs d’imprécision ne sont pas fondés.

L’économie de la solution est classique. La motivation n’exige pas une démonstration probatoire complète, mais une articulation intelligible entre les difficultés invoquées et l’impact sur l’emploi. Le contrôle opère ici sur la cohérence interne de la lettre et son intelligibilité. La cour refuse d’ériger l’exposé en preuve, sans diluer toutefois l’exigence d’un lien concret entre motifs et mesure. Le cadre légal est ainsi respecté, sans qu’il soit exigé des comparaisons sectorielles dans le courrier.

B. Le périmètre de l’appréciation recentré au niveau du groupe
La décision déplace ensuite le regard vers le périmètre pertinent au sens de l’article L. 1233-3 du code du travail. Elle pose que « lorsque l’entreprise appartient à un groupe, les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise s’apprécient au niveau du secteur d’activité commun ». Ce secteur se définit par la nature des produits, la clientèle et les réseaux de distribution. Il « appartient à l’employeur qui se prévaut d’un motif économique d’en justifier l’existence, tant au regard de la réalité des difficultés invoquées que de la pertinence du périmètre retenu ». La cour relève que les pièces produites ne caractérisent ni une autonomie de produits, ni une clientèle propre, ni des circuits distincts, et que les documents d’organisation ne démontrent pas un rattachement exclusif à une division autonome.

Le faisceau d’indices défavorable conduit à neutraliser la sectorisation alléguée. Les documents capitalistiques tardifs et les rapports généraux ne suffisent pas à prouver une segmentation économique réelle et étanche. La cour constate l’existence de recoupements de clientèles et de produits, ainsi qu’une possible mutualisation des canaux. Elle en déduit l’inadaptation du périmètre choisi. La conséquence est nette et brève dans l’arrêt: « Le licenciement est donc de ce chef dépourvu de cause réelle et sérieuse ». La solution s’inscrit dans le fil d’une jurisprudence vigilante sur les sectorisations de convenance.

II. La portée et les conséquences de la solution

A. Un contrôle probatoire renforcé de la menace compétitive
La juridiction rappelle son office: « Il appartient au juge de contrôler le caractère réel et sérieux du motif économique invoqué ». Elle précise que la menace n’implique pas la comparaison avec tous les concurrents, mais requiert, au périmètre pertinent, des éléments objectifs et vérifiables. Or, la cour constate l’absence de données consolidées à l’échelle du groupe, pourtant exigée après la remise en cause du périmètre restreint. Elle relève encore une inflexion favorable des indicateurs individuels, sans preuve que le maintien du site supprimé compromettait, au niveau pertinent, la compétitivité.

Le défaut de preuve opère ici comme un révélateur méthodologique. Dès lors que le secteur pertinent excède la seule société, l’employeur doit produire des éléments consolidés ou, à tout le moins, des données corrélant la réorganisation locale à une menace globale. L’arrêt souligne que « les seuls indicateurs propres » à l’entité employeur sont impropres à établir la menace. La phrase de principe est décisive et ferme: « La cour considère en conséquence que l’employeur ne rapporte pas la preuve du motif économique de licenciement invoqué ». L’exigence probatoire s’en trouve clarifiée.

B. Incidences indemnitaires et enseignements pratiques
La solution indemnitaire applique le barème légal, rappelé en ces termes: « Aux termes des dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail, l’indemnité […] est comprise entre 3 et 19,5 mois de salaire brut ». Eu égard à l’ancienneté de vingt-huit années, à la rémunération et aux circonstances, la cour fixe à 50 000 euros l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Elle met en œuvre le mécanisme de remboursement partiel, en relevant qu’« en application des dispositions de l’article L. 1235-4 du code du travail, il sera ordonné le remboursement […] dans la limite de 6 mois ». La demande distincte au titre de l’exécution déloyale est rejetée, faute de préjudice démontré.

L’arrêt offre deux enseignements convergents. D’abord, la motivation de la lettre peut être suffisamment précise tout en demeurant inapte à fonder la cause si le périmètre d’appréciation est erroné. Ensuite, la preuve de la menace sur la compétitivité doit épouser ce périmètre, ce qui impose des données consolidées et des corrélations établies. La censure s’ancre donc moins dans la contestation des difficultés locales que dans l’exigence d’une démonstration globale, cohérente avec la définition légale du secteur d’activité commun.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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