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L’arrêt rendu par la cour d’appel de Bordeaux le 1er juillet 2025 offre une illustration éclairante des règles protectrices applicables au salarié victime d’un accident du travail lorsque celui-ci fait l’objet d’un licenciement pour motif économique pendant la suspension de son contrat. La décision examine les conditions dans lesquelles l’employeur peut légitimement rompre le contrat de travail d’un salarié en arrêt consécutif à un accident professionnel.
Un ouvrier agricole, engagé depuis 2008 par une exploitation viticole girondine, a été victime d’un accident du travail le 17 août 2020 lui occasionnant une entorse à la cheville. Le caractère professionnel de cet accident a été reconnu par la caisse de mutualité sociale agricole. Alors que le salarié se trouvait toujours en arrêt de travail, l’employeur a engagé une procédure de licenciement pour motif économique en juin 2021, fondée sur la cessation totale d’activité de l’exploitation consécutive à la mise à disposition des vignes au profit de la SAFER. Le salarié a accepté le contrat de sécurisation professionnelle et la rupture est intervenue le 9 juillet 2021.
Le salarié a saisi le conseil de prud’hommes de Libourne le 9 décembre 2021 pour contester son licenciement et obtenir diverses sommes au titre de rappels de salaire et d’heures supplémentaires. Par jugement du 8 décembre 2022, le conseil a dit le licenciement fondé, alloué des sommes limitées au titre des heures supplémentaires et débouté le salarié du surplus de ses demandes. L’intéressé a relevé appel de cette décision le 4 janvier 2023.
Devant la cour, le salarié soutenait que son licenciement était nul au motif que l’employeur ne justifiait pas de l’impossibilité de maintenir le contrat de travail, la seule mention d’un motif économique étant insuffisante à cet effet. L’employeur faisait valoir que la cessation totale d’activité rendait impossible le maintien du contrat et excluait tout reclassement.
La question posée à la cour était de déterminer si un employeur peut valablement licencier pour motif économique un salarié dont le contrat est suspendu par l’effet d’un arrêt de travail consécutif à un accident professionnel lorsqu’il justifie d’une cessation totale d’activité excluant toute possibilité de reclassement.
La cour d’appel de Bordeaux a confirmé que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse. Elle a jugé que la lettre de licenciement caractérisait suffisamment l’impossibilité de maintenir le contrat de travail dès lors qu’elle énonçait la cessation totale d’activité et l’absence de possibilité de reclassement interne ou externe.
Cette décision mérite analyse tant au regard de l’articulation entre protection du salarié accidenté et motif économique de licenciement (I) qu’au regard des conséquences indemnitaires attachées à la rupture du contrat (II).
I. La protection limitée du salarié accidenté face à la cessation d’activité de l’entreprise
L’arrêt illustre d’abord le régime dérogatoire applicable au licenciement du salarié en arrêt pour accident du travail (A), avant d’en préciser les conditions d’application strictes (B).
A. Le principe d’interdiction de licencier et ses exceptions légales
L’article L. 1226-9 du code du travail pose un principe clair : « au cours des périodes de suspension du contrat de travail, l’employeur ne peut rompre ce dernier que s’il justifie soit d’une faute grave de l’intéressé, soit de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l’accident ou à la maladie ». La sanction de la méconnaissance de cette règle est la nullité du licenciement, prévue par l’article L. 1226-13 du même code.
La cour rappelle cette exigence en soulignant que « le contrat de travail du salarié victime d’un accident du travail ne peut être rompu que si son maintien est impossible ». Cette formulation stricte traduit le caractère exceptionnel de la dérogation au principe protecteur. Le législateur a entendu prémunir le salarié contre tout licenciement qui trouverait sa cause dans l’accident du travail lui-même ou ses conséquences.
La cessation d’activité de l’entreprise constitue l’une des hypothèses dans lesquelles l’impossibilité de maintenir le contrat peut être caractérisée. L’article L. 1233-3 du code du travail reconnaît expressément la cessation d’activité comme un motif économique de licenciement. La combinaison de ces textes impose toutefois à l’employeur une double démonstration : établir la réalité de la cessation d’activité et justifier de l’impossibilité de reclassement.
B. L’exigence d’une motivation circonstanciée de la lettre de licenciement
La cour précise que « l’employeur est tenu de préciser, dans la lettre de licenciement, le ou les motifs pour lesquels il se trouve dans l’impossibilité de maintenir le contrat de travail, l’existence d’un motif économique ne caractérisant pas à elle seule cette impossibilité en l’absence de toute mention d’une impossibilité de reclassement ». Cette exigence de motivation renforcée distingue le licenciement du salarié protégé du licenciement économique de droit commun.
En l’espèce, la lettre de licenciement énonçait que l’employeur n’avait « plus d’activité agricole puisqu’elle n’a plus de vignes à exploiter » et que « la cessation totale de l’activité viticole de l’exploitation entraîne la suppression de tous les postes de travail ». Elle précisait également que des recherches de reclassement avaient été effectuées en interne et en externe sans succès.
La cour en déduit que l’employeur « a spécialement énoncé et caractérisé les circonstances qui rendaient impossible le maintien du contrat de travail, faute de poursuite de l’activité par l’entreprise ». La production des contrats conclus avec la SAFER confirmait la réalité de la mise à disposition des vignes et donc la cessation effective de l’exploitation. L’absence d’appartenance à un groupe établissait l’impossibilité de tout reclassement interne.
II. Les incidences indemnitaires de la rupture du contrat du salarié accidenté
L’arrêt se prononce ensuite sur les conséquences financières de la rupture, distinguant le droit à l’indemnité légale de licenciement (A) et les demandes rejetées faute de fondement juridique (B).
A. Le droit au reliquat de l’indemnité légale de licenciement
Le salarié sollicitait le bénéfice de l’indemnité spéciale de licenciement prévue par l’article L. 1226-14 du code du travail, égale au double de l’indemnité légale. La cour écarte cette prétention en relevant que « M. [K] qui n’a pas été déclaré inapte médicalement à son poste et a été licencié pour un motif économique, ne peut pas prétendre au paiement de l’indemnité spéciale de licenciement ».
Cette solution est conforme à la jurisprudence constante de la Cour de cassation qui réserve le bénéfice de l’indemnité spéciale aux seuls cas de licenciement pour inaptitude d’origine professionnelle. Le fait que le salarié soit en arrêt de travail consécutif à un accident du travail ne suffit pas à lui ouvrir ce droit dès lors que la rupture intervient pour un autre motif que l’inaptitude.
La cour procède néanmoins au calcul de l’indemnité légale de licenciement due au salarié. Elle retient une ancienneté de treize ans et un salaire de référence de 2 378,79 euros pour fixer l’indemnité à 8 325,76 euros. Après déduction de la somme de 3 754,58 euros déjà versée, elle condamne l’employeur au paiement d’un reliquat de 4 571,18 euros.
B. Le rejet des demandes au titre du préavis et du travail dissimulé
Le salarié réclamait une indemnité compensatrice de préavis de deux mois. La cour rappelle que « l’adhésion du salarié au contrat de sécurisation professionnelle emporte rupture du contrat de travail » et que « cette rupture ne comporte ni préavis ni indemnité compensatrice de préavis ». Le licenciement ayant été jugé fondé sur une cause réelle et sérieuse, le salarié ne peut prétendre au versement de cette indemnité.
Concernant la demande de dommages et intérêts pour travail dissimulé fondée sur l’article L. 8223-1 du code du travail, la cour confirme le rejet prononcé par les premiers juges. Elle relève que « le caractère intentionnel du travail dissimulé ne peut se déduire de la seule absence de mention des heures supplémentaires sur les bulletins de paie ». La seule circonstance que des heures supplémentaires n’aient pas été rémunérées est insuffisante à établir l’intention frauduleuse de l’employeur.
Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence bien établie qui exige du salarié qu’il rapporte la preuve positive de l’élément intentionnel. La simple négligence ou l’erreur de l’employeur dans le décompte du temps de travail ne caractérise pas le travail dissimulé. En l’espèce, la complexité du système de rémunération à la tâche prévu par la convention collective des exploitations agricoles de la Gironde pouvait expliquer les discordances relevées sans qu’il soit démontré une volonté délibérée de dissimuler des heures de travail.