- Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre) LinkedIn
- Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Facebook
- Cliquez pour partager sur WhatsApp(ouvre dans une nouvelle fenêtre) WhatsApp
- Cliquez pour partager sur Telegram(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Telegram
- Cliquez pour partager sur Threads(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Threads
- Cliquer pour partager sur X(ouvre dans une nouvelle fenêtre) X
- Cliquer pour imprimer(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Imprimer
La conversion d’une procédure de redressement judiciaire en liquidation judiciaire obéit à un formalisme strict dont la méconnaissance emporte nullité de la décision. La Cour d’appel de Bordeaux, par un arrêt du 1er juillet 2025, rappelle avec fermeté les conditions dans lesquelles le tribunal de commerce peut exercer son pouvoir d’office en la matière.
Une société avait fait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire ouverte par jugement du tribunal de commerce de Bordeaux le 22 février 2023. Après plusieurs prolongations de la période d’observation, le débiteur avait déposé un projet de plan de redressement le 17 juillet 2024. Les administrateurs judiciaires et le juge-commissaire avaient émis un avis favorable à ce projet. Les mandataires judiciaires et le ministère public s’y étaient en revanche opposés. Par jugement du 22 janvier 2025, le tribunal de commerce de Bordeaux avait rejeté le plan de redressement et prononcé la liquidation judiciaire de la société.
La société débitrice a interjeté appel de ce jugement le 31 janvier 2025, sollicitant in limine litis son annulation pour irrégularité de la saisine d’office du tribunal. À titre subsidiaire, elle demandait l’infirmation du jugement et l’adoption de son plan de redressement. Les administrateurs judiciaires ont soutenu cette demande d’annulation. Les mandataires liquidateurs ont reconnu l’irrégularité apparente de la procédure et s’en sont rapportés à justice.
La question posée à la Cour d’appel de Bordeaux était de déterminer si le tribunal de commerce pouvait prononcer d’office la liquidation judiciaire sans avoir respecté le formalisme prévu par les articles L.631-15 II et R.631-3 du code de commerce, notamment l’obligation de joindre à la convocation une note exposant les faits de nature à motiver l’exercice de ce pouvoir d’office.
La Cour d’appel de Bordeaux prononce la nullité du jugement. Elle constate que la convocation du débiteur pour l’audience du 9 octobre 2024 avait pour seul objet l’examen du plan de redressement et ne mentionnait nullement que le tribunal envisageait une conversion en liquidation judiciaire. La cour relève que « cette convocation […] est irrégulière, en ce qu’elle ne mentionne aucunement que le débiteur était convoqué dans le cadre de l’examen d’office d’une conversion du redressement judiciaire en liquidation judiciaire ». Elle ajoute que « contrairement aux dispositions de l’article R.631-3 du code de commerce, la convocation ne comportait aucune note dans laquelle auraient été exposés les faits de nature à motiver l’exercice par le tribunal de son pouvoir d’office ». La cour refuse d’évoquer le fond, considérant que l’effet dévolutif n’a pu jouer dès lors que la nullité affectait la saisine elle-même du tribunal.
La rigueur du formalisme imposé par le code de commerce pour la saisine d’office du tribunal aux fins de conversion en liquidation judiciaire constitue une garantie procédurale essentielle (I). La sanction de la méconnaissance de ce formalisme, par l’annulation du jugement sans effet dévolutif, traduit l’importance attachée par la jurisprudence aux droits de la défense du débiteur (II).
I. L’exigence d’un formalisme strict pour la saisine d’office aux fins de liquidation judiciaire
L’article L.631-15 II du code de commerce autorise le tribunal à prononcer d’office la liquidation judiciaire « si le redressement est manifestement impossible ». Ce pouvoir d’office est toutefois encadré par l’article R.631-3 du même code, qui impose un formalisme précis (A). La convocation litigieuse méconnaissait l’ensemble de ces prescriptions (B).
A. Les prescriptions textuelles encadrant le pouvoir d’office du tribunal
L’article R.631-3 du code de commerce subordonne l’exercice du pouvoir d’office à deux formalités cumulatives. Le tribunal doit faire convoquer le débiteur par lettre recommandée avec demande d’avis de réception. Cette convocation doit être accompagnée d’« une note dans laquelle sont exposés les faits de nature à motiver l’exercice par le tribunal de son pouvoir d’office ».
Ces exigences ne sont pas de pure forme. Elles visent à garantir le caractère contradictoire de la procédure et à permettre au débiteur de préparer utilement sa défense. Le débiteur doit savoir qu’il risque une conversion en liquidation judiciaire et connaître les griefs retenus contre lui. Sans cette information préalable, il ne peut présenter d’observations pertinentes ni réunir les éléments de nature à démontrer que son redressement n’est pas « manifestement impossible ».
La Cour de cassation a précisé que ces règles s’appliquent même lorsque l’audience avait initialement un autre objet. La chambre commerciale a jugé, dans un arrêt du 22 janvier 2013, que les règles relatives à la saisine d’office doivent être respectées « que l’audience au cours de laquelle la conversion a été décidée ait eu pour objet l’éventuel renouvellement ou non de la période d’observation ». La Cour d’appel de Bordeaux rappelle expressément cette jurisprudence au paragraphe 13 de son arrêt.
B. La caractérisation de l’irrégularité de la convocation litigieuse
En l’espèce, la convocation adressée au débiteur le 24 juillet 2024 présentait une double irrégularité. D’une part, elle avait pour seul objet l’« examen du plan » et ne mentionnait pas l’éventualité d’une conversion en liquidation judiciaire. D’autre part, elle n’était accompagnée d’aucune note exposant les faits susceptibles de justifier une telle mesure.
La cour relève que la convocation indiquait au débiteur que le tribunal « statuerait sur le projet de plan de redressement déposé au greffe le 17 juillet 2024 ». Rien ne laissait présager que le tribunal pourrait, lors de cette audience, rejeter le plan et prononcer d’office la liquidation judiciaire. Le débiteur s’est ainsi trouvé confronté à une décision de liquidation alors qu’il croyait assister à l’examen de son plan de redressement, lequel avait reçu l’avis favorable des administrateurs judiciaires et du juge-commissaire.
La cour note également que la convocation comportait une référence erronée à l’article 54 6° du code de procédure civile « dans une rédaction qui n’était plus en vigueur depuis le 31 décembre 2020 ». Cette erreur, bien que non déterminante, témoigne d’un manque de rigueur procédurale.
II. La sanction de l’irrégularité : nullité du jugement et absence d’effet dévolutif
La méconnaissance du formalisme de saisine d’office conduit la cour à prononcer la nullité du jugement (A). Cette nullité affectant la saisine du tribunal, l’effet dévolutif de l’appel ne peut jouer et la cour refuse d’évoquer le fond (B).
A. L’annulation du jugement pour vice affectant la saisine du tribunal
La cour conclut que « le formalisme strict imposé par les textes précités n’a pas été respecté » et que « l’acte de saisine du tribunal de commerce est irrégulier ». Cette irrégularité conduit à la nullité du jugement dans son intégralité.
Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante. Les exigences de l’article R.631-3 du code de commerce constituent des règles protectrices des droits du débiteur. Leur violation affecte la régularité de la saisine elle-même du tribunal. Le jugement rendu sur une saisine irrégulière ne peut subsister, quand bien même la solution au fond serait juridiquement fondée.
La nullité présente un caractère absolu. Elle ne peut être couverte par la comparution du débiteur à l’audience ni par l’exercice d’une voie de recours. Le débiteur qui n’a pas été informé de ce que le tribunal envisageait une conversion n’a pas pu préparer sa défense sur ce point. Cette atteinte aux droits de la défense justifie l’annulation, sans qu’il soit besoin de démontrer l’existence d’un grief particulier.
B. L’absence d’effet dévolutif et le renvoi au tribunal de commerce
La cour refuse d’évoquer le fond de l’affaire. Elle relève que « dès lors que la nullité affectait la saisine du tribunal, et que la société […], appelante, n’a conclu au fond devant la cour qu’à titre subsidiaire […], l’effet dévolutif n’a pu jouer, et la cour ne peut statuer sur le fond ».
L’article 562 du code de procédure civile prévoit que l’appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement critiqués. Lorsque la nullité affecte la saisine même du tribunal, il n’existe pas de jugement valable susceptible de produire un effet dévolutif. La cour d’appel ne peut se substituer au premier juge pour statuer sur une demande dont celui-ci n’a pas été régulièrement saisi.
La solution est d’autant plus nette que l’appelante n’avait présenté de conclusions au fond qu’à titre subsidiaire, sa demande principale tendant à l’annulation du jugement. La cour ordonne le « retour du dossier au tribunal de commerce saisi pour la poursuite de la procédure de redressement judiciaire ». Cette solution permet au tribunal de reprendre la procédure sur des bases régulières, en respectant le formalisme requis s’il entend à nouveau examiner l’opportunité d’une conversion en liquidation judiciaire.
La portée de cet arrêt mérite attention. Il rappelle aux juridictions commerciales l’impérieuse nécessité de respecter le formalisme de la saisine d’office, même lorsque la situation économique du débiteur paraît justifier une conversion immédiate. La protection des droits de la défense ne saurait céder devant des considérations d’opportunité. Le débiteur doit être mis en mesure de contester les faits allégués et de présenter des éléments de nature à démontrer qu’un redressement demeure possible.