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L’essor de la digitalisation des activités commerciales a conduit de nombreuses entreprises à recourir à des prestataires spécialisés dans la création et l’exploitation de sites internet. Ces relations contractuelles, souvent nouées à la suite d’un démarchage, soulèvent la question de la protection du professionnel sollicité. La Cour d’appel de Bordeaux, dans un arrêt du 1er septembre 2025, apporte une contribution notable à cette problématique en précisant les conditions d’application du droit de rétractation au profit d’un professionnel assimilé à un consommateur.
Une société spécialisée dans la réparation de machines et équipements mécaniques a conclu, le 28 octobre 2020, un contrat de licence d’exploitation de site internet avec une société de communication par Internet, pour une durée de quatre ans moyennant quarante-huit échéances mensuelles de 438 euros TTC, outre des frais d’adhésion de 1 291,20 euros. Le contrat a été signé hors établissement, à la suite d’un démarchage. Un procès-verbal de livraison a été signé le 24 novembre 2020, puis le contrat a été cédé à une société de financement qui a adressé une facture unique comportant un échéancier des paiements.
Par courriers recommandés du 8 novembre 2021, la société cocontractante a notifié aux deux autres sociétés sa volonté d’exercer son droit de rétractation en application de l’article L. 221-3 du Code de la consommation et a sollicité l’anéantissement du contrat. Cette rétractation a été contestée par les sociétés destinataires. La société a alors assigné ses cocontractantes devant le Tribunal de commerce de Bordeaux aux fins de voir le contrat anéanti et d’obtenir restitution des sommes versées.
Par jugement du 14 septembre 2023, le Tribunal de commerce de Bordeaux a prononcé la nullité du contrat pour erreur sur les qualités substantielles, condamné la société prestataire à restituer les frais d’adhésion et à désactiver le site, mais a débouté la société demanderesse de ses prétentions à l’encontre de la société cessionnaire. La société prestataire a interjeté appel de cette décision.
Devant la Cour d’appel de Bordeaux, la société appelante soutenait que la législation consumériste était inapplicable à l’espèce et que le contrat avait été résilié aux torts exclusifs de l’autre partie. La société cessionnaire formait appel incident aux mêmes fins. La société intimée sollicitait la confirmation de la nullité prononcée ou, subsidiairement, l’anéantissement du contrat pour violation des obligations d’information, et demandait la condamnation des deux autres sociétés à restituer les sommes versées.
La Cour d’appel de Bordeaux était ainsi amenée à déterminer si un professionnel employant moins de cinq salariés, ayant conclu hors établissement un contrat dont l’objet n’entre pas dans son activité principale, peut se prévaloir du droit de rétractation prévu par le Code de la consommation, nonobstant le caractère personnalisé de la prestation convenue, et si le défaut d’information claire sur les modalités d’exercice de ce droit justifie la prolongation du délai de rétractation.
La Cour d’appel de Bordeaux, par arrêt du 1er septembre 2025, a infirmé partiellement le jugement entrepris. Elle a rejeté le moyen tiré de l’erreur sur les qualités substantielles mais a retenu que le contrat avait été valablement anéanti par l’exercice du droit de rétractation, le délai ayant été prolongé en raison du défaut d’information conforme aux exigences légales. Elle a condamné la société cessionnaire à restituer les loyers perçus.
Cet arrêt invite à examiner successivement le domaine d’application du régime protecteur au profit du professionnel assimilé au consommateur (I), puis les conséquences attachées au défaut d’information sur le droit de rétractation (II).
I. Le domaine d’application du régime protecteur au profit du professionnel
La Cour précise les conditions d’assimilation du professionnel au consommateur (A), avant d’écarter l’exception relative aux biens personnalisés (B).
A. Les conditions d’assimilation du professionnel au consommateur
La Cour rappelle que l’article L. 221-3 du Code de la consommation étend le bénéfice des dispositions protectrices aux contrats conclus hors établissement entre professionnels, sous trois conditions cumulatives. Elle relève que le contrat litigieux a été signé à un lieu distinct du siège social de la société prestataire, ce qui caractérise un contrat hors établissement. Elle constate ensuite que la société sollicitée n’employait aucun salarié, selon l’attestation URSSAF produite. Elle observe enfin que cette société, spécialisée dans la réparation de machines mécaniques, avait souscrit un contrat relatif à un site internet, lequel « n’entre pas dans le champ de son activité principale, celui-ci n’étant qu’un support destiné à développer sa clientèle, dans un but de promotion de son activité manuelle ».
Cette analyse mérite approbation. Le législateur a entendu protéger le professionnel qui se trouve, face à un démarcheur, dans une situation de vulnérabilité comparable à celle d’un consommateur. L’absence de lien direct entre l’objet du contrat et l’activité exercée justifie l’application des dispositions protectrices. La Cour fait une application rigoureuse des critères légaux sans les étendre ni les restreindre.
B. Le rejet de l’exception relative aux biens personnalisés
Les sociétés appelantes invoquaient l’article L. 221-28 du Code de la consommation, qui exclut le droit de rétractation pour les « contrats de fourniture de biens confectionnés selon les spécifications du consommateur ou nettement personnalisés ». La Cour rejette cette argumentation en relevant que « le contrat du 28 octobre 2020 ne concerne pas la fourniture d’un bien, à savoir un objet mobilier corporel, mais une prestation de services ».
Cette distinction entre fourniture de bien et prestation de service emporte des conséquences décisives. Le texte vise expressément les biens, non les services. Un site internet, quoique personnalisé, ne constitue pas un bien corporel au sens du texte. La Cour ajoute que ces dispositions « doivent être d’interprétation stricte, dès lors qu’elles ont pour conséquence de limiter les droits octroyés à un professionnel ». Cette position s’inscrit dans une jurisprudence constante hostile à l’extension des exceptions au détriment du consommateur ou du professionnel assimilé.
II. Les conséquences du défaut d’information sur le droit de rétractation
La Cour caractérise le manquement à l’obligation d’information (A), puis en tire les conséquences sur l’exercice du droit de rétractation et les restitutions (B).
A. La caractérisation du manquement à l’obligation d’information
L’article L. 221-5 du Code de la consommation impose au professionnel de communiquer de manière lisible et compréhensible les informations relatives au droit de rétractation. La Cour relève que l’article 17.1 des conditions générales faisait référence à l’article « L. 121-20-12 du code de la consommation », lequel « n’existait pas à la date du contrat ». Elle en déduit que la société sollicitée « n’était pas en mesure de saisir, à la lecture de la clause, si sa situation lui permettait ou non d’exercer le droit de rétractation ».
La Cour ajoute que « la rédaction ambigüe de l’article 17.1 des conditions générales de vente laisse à penser que pour être régulier (…) le droit de rétractation doit obligatoirement s’accompagner de l’envoi concomitant d’un justificatif concernant l’effectif de l’entreprise ». Cette exigence supplémentaire, non prévue par la loi, rendait l’information incompréhensible. La clause de reconnaissance précontractuelle ne constitue qu’un « indice » insuffisant à établir le respect de l’obligation d’information.
Cette analyse traduit une appréciation concrète de l’accessibilité de l’information. Le formalisme informatif du droit de la consommation vise à permettre au cocontractant de mesurer l’étendue de ses droits. Une référence textuelle erronée ou des conditions d’exercice surajoutées privent l’information de toute portée utile.
B. La prolongation du délai de rétractation et les restitutions
L’article L. 221-20 du Code de la consommation prévoit que le délai de rétractation est prolongé de douze mois lorsque les informations requises n’ont pas été fournies. La Cour en déduit que la société était « fondée (…) à notifier (…) l’exercice de ce droit de rétractation » par courriers du 8 novembre 2021, soit dans le délai prolongé.
La Cour tire les conséquences de cette rétractation régulière en relevant qu’elle « a mis fin aux obligations des parties d’exécuter le contrat » et que « les professionnels ont l’obligation de rembourser les sommes reçues ». Elle confirme ainsi la condamnation de la société prestataire à restituer les frais d’adhésion et condamne la société cessionnaire, en sa qualité de partie au contrat cédé, à restituer les loyers perçus, soit 6 511,59 euros, avec intérêts majorés conformément à l’article L. 242-4 du Code de la consommation.
Cette solution présente une portée pratique considérable. Elle rappelle aux professionnels du démarchage que le défaut d’information sur le droit de rétractation expose non seulement le prestataire initial, mais également le cessionnaire du contrat, aux restitutions consécutives à l’anéantissement de l’opération. La cession de contrat ne fait pas obstacle à la transmission des vices affectant l’information précontractuelle.