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Par un arrêt du 10 juillet 2025, la cour d’appel de Bordeaux a confirmé la condamnation d’un agriculteur au paiement des factures émises par une coopérative agricole dont il était associé. Cette décision met en lumière la rigueur du régime d’engagement coopératif et les conditions strictes encadrant le retrait d’un associé.
Un exploitant agricole, devenu propriétaire de parcelles de luzerne par legs universel en 2010, a adhéré le 5 juillet 2016 à une société coopérative agricole ayant pour objet l’utilisation commune d’un séchoir à luzerne. Par arrêt de la Cour de cassation du 8 mars 2017, le legs universel a été annulé, confirmant une décision de la cour d’appel de Bordeaux du 3 novembre 2015. L’intéressé a néanmoins réglé les factures d’utilisation du séchoir pour les années 2016, 2017 et 2018. Par courrier du 8 avril 2019, il a notifié sa démission d’adhérent, sans toutefois en motiver les raisons. Il a ensuite refusé de payer les factures des années 2019, 2020 et 2021, représentant un montant global de 7 668 euros, estimant n’être plus tenu en raison de l’annulation du legs.
La coopérative l’a assigné en paiement devant le tribunal judiciaire de Périgueux. Par jugement du 23 janvier 2023, cette juridiction a condamné l’agriculteur au paiement des sommes réclamées et l’a débouté de sa demande reconventionnelle en restitution des sommes antérieurement versées. L’intéressé a interjeté appel de cette décision le 2 mars 2023. Devant la cour, il soutenait principalement l’absence de fondement des factures en l’absence d’obligation contractuelle de payer une redevance. Subsidiairement, il invoquait la nullité de son adhésion consécutive à l’annulation du legs. Très subsidiairement, il arguait de la caducité de son engagement en raison de la disparition de son but.
La question posée à la cour était double. Il s’agissait d’abord de déterminer si l’adhésion à une coopérative agricole emporte obligation de payer les factures d’utilisation émises, même en l’absence de stipulation contractuelle explicite sur le montant. Il convenait ensuite d’examiner si l’annulation judiciaire d’un legs, ayant constitué le motif de l’adhésion, peut justifier le retrait d’un associé ou la caducité de son engagement.
La cour d’appel de Bordeaux a confirmé le jugement en toutes ses dispositions. Elle a retenu que « ces paiements non contestés jusqu’à la présente procédure établissent l’existence d’une participation financière des associés pendant 8 années, correspondant à l’objet social de la CUMA ». S’agissant du retrait, elle a considéré que « faute d’avoir notifié son retrait conformément aux dispositions statutaires, l’appelant avait toujours la qualité d’associé coopérateur, sans que soit opérant la nullité judiciaire du legs universel sur son engagement statutaire, ni même la caducité de cet engagement ».
Cette décision invite à examiner d’une part la nature et le fondement de l’obligation financière de l’associé coopérateur (I), d’autre part les conditions et limites du retrait d’une coopérative agricole (II).
I. La nature et le fondement de l’obligation financière de l’associé coopérateur
La cour fonde l’obligation de paiement sur le caractère indissociable de la double qualité d’associé et d’utilisateur (A), tout en admettant la preuve de l’engagement par le comportement des parties (B).
A. Le caractère indissociable de la double qualité d’associé et d’utilisateur
La cour rappelle les dispositions fondamentales du droit coopératif agricole. L’article L. 521-1-1 du code rural et de la pêche maritime dispose que la relation entre l’associé coopérateur et la coopérative « repose, notamment, sur le caractère indissociable de la double qualité d’utilisateur de services et d’associé ». L’article L. 521-3 du même code précise que « ne peuvent prétendre à la qualité et à la dénomination de coopérative […] que les sociétés dont les statuts prévoient […] l’obligation pour chaque coopérateur d’utiliser tout ou partie des services de la société pour une durée déterminée, et corrélativement, de souscrire une quote-part du capital en fonction de cet engagement d’activité ».
Cette architecture juridique distingue les coopératives agricoles des sociétés de droit commun. L’associé n’est pas un simple apporteur de capitaux attendant un retour sur investissement. Il est avant tout un utilisateur des services mutualisés. Cette utilisation constitue le fondement même de sa participation au capital et de ses obligations financières. La coopérative n’a pas pour objet de distribuer des bénéfices mais de permettre à ses membres de bénéficier de moyens qu’ils ne pourraient individuellement acquérir.
La cour en déduit logiquement que l’adhésion à la coopérative emporte par elle-même une obligation de participation financière. Les statuts prévoyaient certes que l’adhésion « entraîne pour l’associé coopérateur l’engagement d’utiliser […] un ou plusieurs des services que la coopérative est en mesure de lui procurer en contre partie de l’acquisition de parts sociales ». Mais l’absence de fixation précise du montant de la contribution n’anéantit pas l’existence même de l’obligation. Le principe de participation découle directement de la loi et de l’économie générale du contrat coopératif.
B. La preuve de l’engagement par le comportement des parties
L’appelant soutenait que les factures étaient dépourvues de fondement, « aucune obligation n’étant faite aux adhérents de payer une quelconque redevance ni dans le principe ni dans le montant ». La cour écarte cette argumentation par une analyse pragmatique du comportement contractuel.
Elle relève que les statuts n’avaient pas défini précisément la participation financière de chaque associé. Cependant, elle constate que « entre 2016 et 2018, M. [S] a réglé les factures émises par la CUMA pour l’utilisation du séchoir pour ses 15 hectares de terre dans les délais et sans s’y opposer ». Ces paiements volontaires et réitérés sur trois années constituent selon la cour la preuve de l’existence d’une obligation de participation.
Cette solution s’inscrit dans la logique de l’article 1342 du code civil selon lequel « le paiement est l’exécution volontaire de la prestation due ». En payant sans réserve pendant plusieurs années, l’associé a reconnu l’existence et le quantum de son obligation. Il ne saurait ensuite prétendre que cette obligation n’existe pas. La cour applique ainsi le principe de cohérence contractuelle qui interdit à une partie de contredire son propre comportement antérieur.
Cette approche mérite approbation sur le plan de l’équité. L’acquisition du séchoir a été financée par un emprunt bancaire dont le remboursement repose sur les contributions des associés. Permettre à l’un d’eux de se soustraire à son obligation après plusieurs années de paiement reviendrait à faire supporter aux autres membres une charge supplémentaire non prévue. La mutualisation des coûts suppose nécessairement la solidarité des engagements.
II. Les conditions et limites du retrait d’une coopérative agricole
La décision illustre la rigueur du formalisme requis pour le retrait (A) et l’inopérance des événements extérieurs sur l’engagement coopératif (B).
A. La rigueur du formalisme requis pour le retrait
L’article R. 522-4 du code rural et de la pêche maritime énonce que « sauf en cas de force majeure dûment justifié et soumis à l’appréciation du conseil d’administration, nul associé coopérateur ne peut se retirer de la coopérative avant l’expiration de sa période d’engagement ». Ce même article prévoit que « le conseil d’administration peut, à titre exceptionnel, accepter sa démission au cours de cette période si son départ ne doit porter aucun préjudice au bon fonctionnement de la coopérative ».
Les statuts de la coopérative reprenaient fidèlement ces dispositions. Ils exigeaient une lettre recommandée motivée adressée au président du conseil d’administration. Le conseil disposait alors de trois mois pour apprécier les raisons invoquées et notifier sa décision motivée. Un recours devant l’assemblée générale était prévu, sans préjudice d’une action judiciaire.
En l’espèce, l’agriculteur avait adressé un courrier de démission le 8 avril 2019 « sans en motiver les raisons ». La cour en déduit que « la CUMA n’a pu se prononcer en l’absence de motivation, aucun cas de force majeur n’étant par ailleurs invoqué ». L’intéressé « ne justifie pas avoir notifié, au cours de la période des huit ans de son engagement, sa volonté de se retirer ni avoir reçu l’autorisation de se retirer au cours de cette période dans les conditions prévues par les statuts ».
Ce formalisme peut paraître contraignant. Il trouve cependant sa justification dans la nature même de l’engagement coopératif. La coopérative a contracté un emprunt sur la base des engagements de ses membres. Le retrait anticipé de l’un d’eux compromet l’équilibre financier de l’ensemble. La procédure permet au conseil d’administration d’apprécier si le départ peut être compensé et ne nuira pas au fonctionnement collectif.
B. L’inopérance des événements extérieurs sur l’engagement coopératif
L’appelant invoquait subsidiairement la nullité de son adhésion et très subsidiairement la caducité de son engagement, en raison de l’annulation judiciaire du legs universel. Il soutenait que « la cause objective du contrat n’est pas tant dans sa qualité de propriétaire des parcelles mais dans l’utilité et l’intérêt qu’il peut retirer du séchoir à Luzerne ».
La cour écarte ces arguments de manière lapidaire. Elle considère que « faute d’avoir notifié son retrait conformément aux dispositions statutaires, l’appelant avait toujours la qualité d’associé coopérateur, sans que soit opérant la nullité judiciaire du legs universel sur son engagement statutaire, ni même la caducité de cet engagement ».
Cette solution mérite examen. L’intimée faisait valoir qu’au moment de l’adhésion en juillet 2016, l’intéressé n’était déjà plus propriétaire des parcelles puisque la cour d’appel de Bordeaux avait annulé le legs le 3 novembre 2015. L’adhésion avait donc été souscrite alors que le fondement factuel invoqué n’existait plus, ce qui rend difficilement recevable l’argument tiré de la disparition ultérieure de ce fondement.
Surtout, la coopérative soulignait que « la propriété des parcelles contenues dans le legs n’a jamais été érigée en condition à son engagement auprès de la CUMA, seule étant exigé d’être exploitant agricole, ce qu’il est toujours ». L’intéressé a d’ailleurs continué à utiliser le séchoir jusqu’en 2018, postérieurement à l’arrêt de la Cour de cassation confirmant l’annulation du legs. Ce comportement démontre que la perte des parcelles litigieuses ne l’empêchait nullement de poursuivre une activité agricole justifiant son appartenance à la coopérative.
La portée de cet arrêt réside dans l’affirmation de l’autonomie de l’engagement coopératif. Celui-ci ne constitue pas un acte accessoire ou subséquent d’une autre opération juridique. L’annulation de l’acte ayant motivé l’adhésion ne rejaillit pas automatiquement sur la validité de cette adhésion. Seules les voies de retrait prévues par la loi et les statuts permettent à l’associé de mettre fin à son engagement avant son terme.