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L’aide sociale à l’hébergement constitue un dispositif essentiel permettant aux personnes âgées dépendantes de bénéficier d’une prise en charge de leurs frais d’hébergement en établissement spécialisé. Le législateur a néanmoins prévu des mécanismes de récupération sur la succession du bénéficiaire afin de préserver l’équilibre financier des collectivités territoriales.
La Cour d’appel de Bordeaux, dans un arrêt rendu le 10 juillet 2025, apporte des précisions utiles sur les conditions de mise en oeuvre de ce droit de récupération et sur les obligations d’information pesant sur le département.
Une personne avait été admise en 2013 au sein d’un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes situé en Charente. Le président du conseil départemental lui avait accordé l’aide sociale à l’hébergement pour la période du 14 février 2013 au 28 février 2015, cette aide ayant été renouvelée jusqu’au décès de l’intéressée survenu le 13 juin 2018. En décembre 2015, le département avait inscrit une hypothèque légale sur les biens immobiliers de la bénéficiaire pour garantir le recouvrement des avances consenties. Après le décès, le conseil départemental avait autorisé un recours contre la succession pour un montant de 30 826,38 euros.
La fille de la défunte, en qualité d’héritière, avait contesté cette décision de récupération devant le pôle social du tribunal judiciaire d’Angoulême après avoir formé un recours administratif préalable obligatoire. Elle soutenait notamment ne pas avoir été informée de l’inscription d’hypothèque et contestait le montant de la créance départementale. Le tribunal l’avait déboutée de son recours par jugement du 6 novembre 2023.
La question posée à la cour d’appel était double. Il s’agissait d’une part de déterminer si le département avait l’obligation d’informer les débiteurs d’aliments de l’inscription d’une hypothèque légale sur les biens du bénéficiaire de l’aide sociale. D’autre part, la cour devait apprécier si la contestation du montant de la créance formulée pour la première fois en appel constituait une prétention nouvelle irrecevable.
La cour confirme le jugement en toutes ses dispositions. Elle juge que « le département n’a pas l’obligation de leur notifier la décision litigieuse de sorte que c’est tout à fait vainement que Mme [H] se plaint de ne pas avoir été informée de l’inscription d’hypothèque ». Elle considère également que la contestation du montant de la créance ne constitue pas une prétention nouvelle mais « un moyen nouveau pour étayer sa prétention originaire ».
Cet arrêt mérite attention tant sur la question de l’étendue des obligations d’information du département lors de l’inscription d’une hypothèque légale (I) que sur la distinction entre prétention nouvelle et moyen nouveau en matière de contentieux de l’aide sociale (II).
I. L’absence d’obligation d’information des débiteurs d’aliments lors de l’inscription d’hypothèque
La cour d’appel de Bordeaux circonscrit strictement les obligations d’information du département (A) tout en soulignant l’absence d’incidence de ce défaut d’information sur le droit de récupération (B).
A. La limitation des destinataires de la notification
L’article L.132-9 du code de l’action sociale et des familles prévoit que « lorsque le Département décide de procéder à l’inscription d’une hypothèque légale sur les biens immobiliers appartenant à un bénéficiaire de l’aide sociale, la lettre d’intention et la décision d’inscription sont adressées à l’intéressé ou à son représentant légal ». La cour relève que le département avait satisfait à cette obligation en informant l’organisme tutélaire de son intention puis de sa décision d’inscrire l’hypothèque.
L’appelante invoquait sa qualité de débiteur d’aliments pour soutenir qu’elle aurait dû être personnellement informée de cette inscription. La cour rejette cet argument en rappelant que si les obligés alimentaires peuvent exercer un recours contre la décision d’inscription d’hypothèque, cette faculté ne crée pas corrélativement une obligation de notification à leur égard. Le texte est clair : seuls l’intéressé ou son représentant légal doivent être destinataires de l’information.
Cette interprétation stricte se justifie par la nature même de l’hypothèque légale qui grève les biens du bénéficiaire et non ceux des débiteurs d’aliments. Ces derniers ne disposent que d’un intérêt indirect à contester cette inscription.
B. L’indifférence du défaut d’information sur le droit de récupération
La cour ajoute une motivation surabondante en relevant qu’« il est inopérant pour Mme [H] de faire valoir qu’elle n’a pas été informée de l’inscription de l’hypothèque dès lors que cette situation n’a aucune incidence sur le droit de récupération des sommes versées par le département au titre de l’aide sociale à l’hébergement ».
Cette précision revêt une portée pratique considérable. Même à supposer qu’une irrégularité ait affecté la procédure d’inscription d’hypothèque, celle-ci n’aurait pas pour effet de priver le département de son droit de récupérer les sommes avancées au titre de l’aide sociale. L’hypothèque n’est qu’une garantie du recouvrement et non le fondement du droit de créance lui-même.
Le droit de récupération sur la succession du bénéficiaire trouve son fondement autonome dans l’article L.132-8 du code de l’action sociale et des familles. Il existe indépendamment de toute inscription d’hypothèque. La cour distingue ainsi utilement le mécanisme de garantie et le droit substantiel de créance.
II. La recevabilité de la contestation du montant de la créance en cause d’appel
La cour procède à une analyse rigoureuse de la distinction entre prétention et moyen (A) avant d’examiner la charge de la preuve du montant de la créance (B).
A. La distinction clarifiée entre prétention nouvelle et moyen nouveau
Le département soutenait que la contestation du montant de la créance formulée pour la première fois en appel constituait une prétention nouvelle irrecevable au sens de l’article 564 du code de procédure civile. La cour écarte cette analyse après avoir rappelé les définitions respectives de ces notions.
Elle énonce qu’« une prétention peut être définie comme étant l’objet de la demande dont la juridiction est saisie tandis que les moyens sont des considérations de droit (moyens de droit) ou des circonstances de fait (moyens de fait), invoquées par une partie à l’appui de ses prétentions ». Elle en déduit qu’« en contestant le montant de la créance d’aide sociale, Mme [H] ne formule pas une prétention nouvelle au sens de l’article 564 du code de procédure civile mais soutient seulement un moyen nouveau pour étayer sa prétention originaire ».
La prétention originaire tendait à l’annulation de la décision de récupération. Contester le quantum de la créance revient à discuter l’un des éléments de cette décision sans modifier l’objet de la demande. Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante qui admet la présentation de moyens nouveaux en appel dès lors qu’ils tendent aux mêmes fins que la demande initiale.
B. L’appréciation de la preuve du montant de la créance
Sur le fond de la contestation, la cour examine le document comptable produit par le département. Elle relève que ce document fait apparaître de manière détaillée le montant des frais d’hébergement réglés période par période, les contributions versées par la bénéficiaire et par les obligés alimentaires, ainsi que le solde de la créance départementale.
La cour considère que ce document « est suffisamment précis et détaillé pour permettre à Mme [H] de produire ses propres éléments de contestation, ce qu’elle ne fait pas ». Elle procède ainsi à un renversement de la charge de la preuve une fois que le département a fourni un document circonstancié. Il appartenait alors à l’héritière de produire des éléments contraires.
Cette solution pragmatique évite d’imposer au département la production de l’intégralité des factures et justificatifs sur plusieurs années. Le document récapitulatif suffit dès lors qu’il permet au contradicteur d’identifier les postes contestables. L’absence totale de contestation étayée conduit logiquement au rejet du moyen.