Cour d’appel de Bordeaux, le 11 septembre 2025, n°23/03291

Par un arrêt du 11 septembre 2025, la Cour d’appel de Bordeaux, deuxième chambre civile, statue sur un litige de rénovation immobilière et confirme le rejet des prétentions du maître d’ouvrage. Le différend naît d’un devis accepté et d’un acompte versé, puis d’une interruption du chantier suivie d’une mise en demeure restée sans effet et de démarches unilatérales de réception. Le premier juge avait déclaré l’action recevable contre l’entreprise mais avait débouté le demandeur de la résolution et des dommages, ainsi que de ses prétentions dirigées contre un intermédiaire. En appel, le maître d’ouvrage persiste, invoquant l’abandon de chantier, la responsabilité contractuelle et l’absence de couverture décennale, tandis que l’entreprise a été placée en liquidation et son liquidateur appelé à la cause. La cour confirme, après avoir retenu l’existence du contrat à l’égard de l’entreprise, écarté tout lien contractuel prouvé avec l’intermédiaire, refusé la résolution et rejeté les demandes indemnitaires faute de preuve suffisante.

La question centrale porte sur la preuve du lien contractuel en matière de contrat d’entreprise, les conditions de la résolution judiciaire au regard des articles 1224 et 1227 du code civil, et l’administration de la preuve du préjudice contractuel au sens de l’article 1231-1. La solution confirme une exigence probatoire élevée, tant pour caractériser l’inexécution suffisamment grave et la notification de résolution que pour établir l’existence et le quantum d’un dommage réparable.

I – Le sens de la décision: formation du lien contractuel et charge de la preuve

A – Le contrat d’entreprise réaffirmé comme consensuel

La cour s’appuie sur une jurisprudence constante de la troisième chambre civile pour rappeler la nature consensuelle du marché d’entreprise. Elle énonce que « le contrat d’entreprise est un contrat consensuel qui se forme par le seul échange du consentement des parties et qui ne nécessite donc pas la rédaction d’un devis ». Cette affirmation conforte l’idée que la formation du contrat peut résulter d’un faisceau d’indices concordants, dont un devis signé, des échanges comportant des mentions d’assurance et des écrits reconnaissant l’accord.

Le raisonnement est classique et rigoureux. Sont visés des éléments matériels portant l’en-tête de l’entreprise, l’identification de son dirigeant et la transmission d’une attestation d’assurance, ce qui assoit l’existence du contrat. La solution confirme la recevabilité de l’action contre l’entrepreneur, en cohérence avec l’économie probatoire du contrat consensuel d’entreprise.

B – L’absence de lien contractuel établi avec l’intermédiaire

La cour refuse d’étendre ce lien à l’intermédiaire présenté comme apporteur d’affaires, en raison de preuves jugées insuffisantes. Des photographies, une facture de matériel et une liste de virements unilatérale ne suffisent pas à démontrer une relation contractuelle distincte et effective. La motivation souligne que la pièce centrale produite est « dénuée de force probante, en application du principe selon lequel on ne peut pas se constituer une preuve à soi-même ». L’exigence d’une preuve objective, extériorisée et contradictoire est nettement réaffirmée.

La solution est pragmatique: le rôle d’intermédiation, même suivi d’une présence sur chantier, ne vaut pas contrat en l’absence d’éléments probants sur la qualité d’intervention et la période. Elle s’inscrit dans la ligne d’un contrôle attentif des écrits privés et des pièces non contradictoires, surtout lorsque la qualité alléguée emporte des obligations contractuelles spécifiques.

II – Valeur et portée: résolution judiciaire et exigence probatoire du préjudice

A – La résolution encadrée par l’inexécution grave et la notification claire

La cour rappelle le cadre légal en des termes précis: « la résolution résulte soit de l’application d’une clause résolutoire, soit, en cas d’inexécution suffisamment grave, d’une notification du créancier au débiteur ou d’une décision de justice »; et « la résolution peut, en toute hypothèse, être demandée en justice ». Appliquée à l’espèce, la mise en demeure n’exprimait pas une volonté non équivoque de résoudre le contrat, mais annonçait l’intention de saisir le juge pour faire terminer les travaux aux frais de l’entrepreneur.

La motivation relève en outre l’incertitude entourant l’origine de l’arrêt du chantier, l’entrepreneur invoquant des circonstances extérieures et une demande de retrait. Cette indétermination prive le juge des éléments nécessaires pour qualifier une inexécution suffisamment grave imputable. La portée normative est nette: la résolution judiciaire requiert un manquement caractérisé et une manifestation non ambiguë de la résolution, distincte d’une simple interpellation ou d’une mesure conservatoire.

B – La preuve du dommage contractuel et la faible valeur des constats unilatéraux

Sur la réparation, la cour vise l’article 1231-1 en rappelant que « le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure ». Le demandeur devait donc établir la faute contractuelle, le préjudice et le lien de causalité, avec des pièces suffisamment probantes quant au principe et au quantum.

Or, la pièce déterminante avancée pour chiffrer les manquements et le trop-versé ne satisfaisait pas aux exigences minimales de fiabilité: « le document intitulé ‘procès-verbal de réception’ ne comporte aucune signature ». La cour souligne aussi le caractère unilatéral des évaluations techniques produites, non étayées par d’autres pièces objectivables ou par une démarche contradictoire. Cette approche rejoint une tendance sélective à l’égard des rapports privés non contradictoires, souvent considérés comme de simples éléments d’information à corroborer.

La portée pratique de l’arrêt est double. D’une part, l’absence de résolution en l’état des preuves invite à soigner la rédaction des mises en demeure, en y exprimant clairement la volonté de résoudre en cas d’inexécution grave. D’autre part, la stratégie probatoire doit privilégier des constats réguliers, des justificatifs de paiements traçables et, si nécessaire, une expertise judiciaire, afin de sécuriser la démonstration du dommage contractuel. L’invocation d’un défaut de couverture d’assurance ne supplée pas, à elle seule, la preuve d’un préjudice indemnisable, surtout lorsque des attestations ont été communiquées et que l’imputabilité des désordres ou des inachèvements demeure discutée.

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