Cour d’appel de Bordeaux, le 16 juin 2025, n°23/01785

Par un arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux du 16 juin 2025, la première chambre civile tranche un litige né d’un contrat de conciergerie conclu pour la gestion locative d’une maison. La relation contractuelle débute en mars 2020 et s’achève par une résiliation notifiée en juin 2021 avec effet au 31 août 2021. L’appelante reproche divers manquements d’exécution et réclame rétrocession de revenus, remboursement de frais et dommages-intérêts.

En première instance, les demandes indemnitaires et de remboursement ont été rejetées, tout en enjoignant la production des factures. En appel, l’appelante maintient ses prétentions en les précisant, tandis que l’intimé sollicite la confirmation intégrale. Le débat se concentre sur la preuve d’inexécutions imputées au prestataire et sur la justification des sommes prélevées en sus, au regard des stipulations contractuelles et du droit commun.

La question posée est celle de l’allocation de la charge probatoire des manquements allégués, sous l’empire de la responsabilité contractuelle. La cour rappelle le texte cardinal: « En application de l’article 1231-1 du code civil, le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts… ». Elle décide une réformation partielle, condamnant l’intimé à rembourser 214 euros de frais non justifiés, tout en déboutant l’appelante du surplus, faute de preuve suffisante, y compris pour la location annulée et les prétendues sommes non reversées.

I. L’exigence probatoire en responsabilité contractuelle

A. Le fondement légal et sa mise en œuvre concrète

La cour ordonne l’analyse sous l’angle du droit commun de l’inexécution, en exigeant la démonstration cumulative du manquement, du dommage et du lien causal. La norme mobilisée est claire et d’application directe. Le rappel selon lequel « le débiteur est condamné… s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure » éclaire la grille retenue. La décision inscrit l’office du juge dans un contrôle serré des justificatifs, pièces datées et données de gestion, sans présomption d’imputabilité.

La demande de rétrocession de revenus échoue, la cour relevant l’insuffisance des éléments produits sur l’assiette exacte des loyers et des frais prévus par le contrat. Les calculs unilatéraux ne suffisent pas lorsque des frais par intervention sont stipulés et que la durée des séjours et les tarifs ne sont pas établis par pièces probantes. L’exigence documentaire gouverne; une lecture stricte des pièces disponibles s’impose et bloque l’indemnisation recherchée.

B. La preuve du manquement dans l’épisode d’annulation

La juridiction admet la réalité de l’annulation d’un séjour estival, comme l’atteste le message de plateforme, mais refuse d’y voir, à lui seul, la preuve d’un manquement. Les motifs visent un double déficit probatoire, quant à l’état du bien et à son imputabilité au prestataire. Le raisonnement se noue autour de deux extraits significatifs: « après avoir reçu les informations et la documentation de la voyageuse, nous avons annulé la réservation et remboursé la voyageuse. » Puis, surtout, « Ce seul courriel ne saurait toutefois suffire à caractériser le manquement… ».

Au-delà, les photographies non datées et une attestation isolée se heurtent à des témoignages contraires et ne renversent pas l’incertitude. La cour en déduit l’insuffisance des preuves de l’inexécution alléguée, conformément à une méthode exigeant des éléments objectifs, datés et concordants. La prétention indemnitaire est donc rejetée, en cohérence avec le standard probatoire rappelé en début de motivation.

II. L’encadrement des frais accessoires et la portée pratique

A. Le tri entre frais contractuellement admis et prélèvements injustifiés

S’agissant des frais accessoires, la décision distingue avec précision les postes justifiés par le contrat de ceux dépourvus de fondement. Le service de remise de clés est admis, dès lors qu’il correspond à une prestation prévue et clairement tarifée; la contestation échoue faute d’atteindre le seuil probatoire requis. En revanche, la facturation d’une privatisation ponctuelle, au motif d’une annulation imputée à l’hôte, se heurte à l’absence de preuve d’une réservation effectivement confirmée. La cour souligne ainsi: « Force est cependant de constater qu’il n’est pas démontré que le logement était loué ».

Cette approche conduit à ordonner le remboursement des 214 euros correspondant aux sommes indûment perçues. À l’inverse, une demande relative à une intervention de ménage est écartée faute d’appui documentaire suffisant, la formule employée étant limpide: « cette demande en paiement n’est étayée par aucun élément justificatif ». La solution illustre un contrôle concret, factuel et proportionné, réservé aux frais dûment contractualisés et prouvés.

B. Conséquences pour les acteurs de la gestion locative

La portée pratique est nette. Les opérateurs doivent tracer de façon rigoureuse leurs interventions, leurs frais et les réservations, en conservant preuves datées, factures, confirmations de séjours et supports photographiques horodatés. À défaut, leurs prétentions, qu’elles soient offensives ou défensives, s’exposent à l’échec. La décision montre que l’absence de factures ne suffit pas, seule, à caractériser un préjudice fiscal indemnisable, la cour retenant que la partie « procède par affirmation, aucune pièce justificative n’étant produite à ce titre. »

Le contrôle juridictionnel s’exerce également sur les frais d’annulation prétendument dus en cas de privatisation par l’hôte. Seule une réservation certaine et prouvée peut fonder une telle facturation. L’équilibre contractuel s’en trouve consolidé, au bénéfice de la prévisibilité des relations et de la loyauté probatoire. Sur les accessoires de procédure, la solution demeure sobre et cohérente: « Il n’y a pas lieu à condamnation sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile. » L’essentiel réside dans la preuve, et dans la stricte articulation entre clauses et justificatifs.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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