- Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre) LinkedIn
- Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Facebook
- Cliquez pour partager sur WhatsApp(ouvre dans une nouvelle fenêtre) WhatsApp
- Cliquez pour partager sur Telegram(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Telegram
- Cliquez pour partager sur Threads(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Threads
- Cliquer pour partager sur X(ouvre dans une nouvelle fenêtre) X
- Cliquer pour imprimer(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Imprimer
La Cour d’appel de Bordeaux, dans son arrêt du 17 juin 2025, a statué sur un litige opposant une salariée à son ancien employeur, une agence d’architecture, au sujet de la rupture de son contrat de travail et de l’exécution de celui-ci. L’affaire illustre les enjeux contemporains du droit du licenciement et du régime des heures supplémentaires.
Une salariée a été engagée le 3 octobre 2016 en qualité d’assistante technique et administrative par une société d’architecture, d’abord en contrat à durée déterminée puis en contrat à durée indéterminée à compter du 11 janvier 2017. Des négociations en vue d’une rupture conventionnelle ont échoué début mars 2020. La salariée a ensuite été convoquée à un entretien préalable et mise à pied à titre conservatoire. Elle a été licenciée pour faute grave le 2 avril 2020, l’employeur lui reprochant de ne pas avoir respecté ses fonctions d’accueil, de s’être isolée de l’équipe et d’avoir dénigré l’agence sur sa messagerie professionnelle.
Le conseil de prud’hommes de Bordeaux, par jugement du 14 octobre 2022, a requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse. Il a condamné l’employeur au paiement de diverses indemnités de rupture et de sommes au titre des repos compensateurs. La salariée a interjeté appel le 14 novembre 2022, sollicitant que son licenciement soit déclaré sans cause réelle et sérieuse. L’employeur a formé un appel incident, demandant la confirmation de la faute grave.
La question principale soumise à la Cour d’appel de Bordeaux était double : d’une part, le licenciement reposait-il sur une faute grave, une cause réelle et sérieuse, ou était-il dépourvu de fondement ? D’autre part, la salariée pouvait-elle prétendre à une indemnité au titre de la contrepartie obligatoire en repos pour les heures supplémentaires effectuées au-delà du contingent annuel ?
La cour d’appel a confirmé le droit de la salariée à une indemnité au titre des repos compensateurs et s’est prononcée sur la qualification du licenciement. L’arrêt appelle une analyse tant sur le régime de la contrepartie obligatoire en repos (I) que sur les conditions de qualification de la faute grave en matière de licenciement (II).
I. Le régime de la contrepartie obligatoire en repos : une protection effective du salarié
A. Les fondements légaux du droit à repos compensateur
La cour rappelle avec précision le cadre normatif applicable en visant les articles L. 3121-30, D. 3121-19 et D. 3121-23 du code du travail. Selon ces dispositions, « toute heure supplémentaire accomplie au-delà du contingent annuel d’heures supplémentaires donne droit à une contrepartie obligatoire en repos ». Cette contrepartie « est assimilée à une période de travail effectif pour le calcul des droits du salarié ».
Le législateur a entendu protéger la santé des travailleurs en imposant un repos effectif lorsque le volume d’heures supplémentaires dépasse le seuil fixé par la loi ou la convention collective. La convention collective des entreprises d’architecture fixe ce contingent et la salariée soutenait l’avoir dépassé au cours de la relation de travail.
L’employeur contestait le caractère effectif des heures déclarées. Il affirmait n’avoir jamais contrôlé ces heures et s’être aperçu ultérieurement que la salariée compensait des temps non travaillés par des déclarations d’heures supplémentaires. Cette argumentation, fondée sur la confiance accordée puis retirée, n’a pas convaincu la juridiction.
B. La charge de la preuve et l’obligation d’information de l’employeur
La cour distingue deux hypothèses concernant l’indemnisation du repos non pris. Lorsque la rupture du contrat empêche le salarié d’exercer ses repos compensateurs, les sommes versées constituent des salaires. En revanche, lorsque le salarié n’a pu prendre ses repos « en raison d’un manquement de l’employeur à son obligation d’information », il s’agit alors d’une indemnité distincte.
Cette distinction emporte des conséquences pratiques. L’employeur supporte une obligation d’information sur les droits à repos acquis. Son défaut de vigilance dans le suivi des heures ne saurait priver le salarié de ses droits. La cour confirme ainsi la condamnation de l’employeur au paiement de 2 115,28 euros au titre des repos compensateurs et 211,52 euros de congés payés afférents.
La solution témoigne d’une application rigoureuse du droit des heures supplémentaires. Elle rappelle que l’employeur ne peut se prévaloir de sa propre négligence dans le contrôle du temps de travail pour contester les droits du salarié.
II. La qualification du licenciement : de la faute grave à la cause réelle et sérieuse
A. Les exigences de caractérisation de la faute grave
Le licenciement pour faute grave suppose l’existence d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié constituant une violation des obligations contractuelles d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. La charge de la preuve incombe à l’employeur.
En l’espèce, la lettre de licenciement reprochait à la salariée de ne pas avoir respecté ses fonctions d’accueil, de s’être isolée de l’équipe et d’avoir dénigré l’agence et son gérant sur sa messagerie professionnelle. Ces griefs, pour justifier une faute grave, devaient être établis avec certitude et présenter un caractère de gravité suffisant.
Le conseil de prud’hommes avait écarté la faute grave tout en retenant une cause réelle et sérieuse. La salariée contestait cette qualification devant la cour, sollicitant la reconnaissance d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. L’employeur, par appel incident, maintenait que les faits constituaient une faute grave.
B. L’appréciation souveraine des juges du fond
La cour d’appel dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation des faits et de leur qualification. Le contexte de l’affaire révèle que des discussions en vue d’une rupture conventionnelle avaient échoué peu avant l’engagement de la procédure de licenciement. Cette chronologie invite à examiner avec attention la réalité et la gravité des griefs invoqués.
L’utilisation de la messagerie professionnelle à des fins de dénigrement constitue un manquement aux obligations de loyauté. Sa gravité dépend de la teneur des propos, de leur publicité et de leur impact sur le fonctionnement de l’entreprise. Le reproche d’isolement et de non-respect des fonctions d’accueil relève davantage d’insuffisances professionnelles que d’une faute disciplinaire caractérisée.
La requalification opérée par les premiers juges traduit cette nuance. Les faits, s’ils peuvent justifier un licenciement, ne présentaient pas le degré de gravité rendant impossible le maintien de la salariée pendant la durée du préavis. Cette analyse s’inscrit dans une jurisprudence constante qui distingue la faute grave de la cause réelle et sérieuse selon l’intensité du manquement et ses conséquences sur la relation de travail.