Cour d’appel de Bordeaux, le 24 juillet 2025, n°23/02009

Rendue par la cour d’appel de Bordeaux le 24 juillet 2025, l’arrêt commente une double série de questions, procédurale et matérielle. Sur le terrain procédural, la cour écarte l’appel incident de l’intimée dépourvu d’effet dévolutif faute d’infirmation expresse au dispositif. Sur le fond, elle confirme la résiliation judiciaire aux torts de l’employeur, retient divers manquements d’exécution et de sécurité, et statue sur les conséquences indemnitaires.

La salariée avait été engagée en 2019, puis affectée à des fonctions de responsable de site à compter d’octobre 2019, avec reprise d’ancienneté. Des difficultés sont survenues quant à la rémunération contractuelle, à la formalisation du lien contractuel, aux conditions de travail et à l’organisation de la prévention, suscitant une demande de résiliation judiciaire en juin 2020. Déclarée inapte en janvier 2021, la salariée a été licenciée pour inaptitude avec impossibilité de reclassement début février 2021.

Le conseil de prud’hommes a prononcé la résiliation judiciaire aux torts de l’employeur avec effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et alloué diverses sommes. L’employeur a interjeté appel principal contre ces chefs. L’intimée a entendu former un appel incident afin d’obtenir, notamment, une nullité de la rupture, des dommages supplémentaires, et une indemnité pour travail dissimulé. La cour devait trancher, d’une part, si l’absence d’infirmation explicite rendait l’appel incident sans effet, et, d’autre part, si les manquements allégués justifiaient la résiliation judiciaire et les indemnisations afférentes.

Sur le premier point, la cour retient la règle selon laquelle « lorsque l’appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions ni l’infirmation ni l’annulation du jugement, la cour d’appel ne peut que confirmer le jugement ». Relevant l’absence d’infirmation au dispositif des conclusions d’intimée, elle conclut que « le dispositif des conclusions de l’intimée ne comporte aucune demande d’infirmation ou de réformation du jugement entrepris ». Dès lors, la cour limite l’instance aux prétentions visées par l’appel principal.

Sur le second point, la cour constate plusieurs manquements. S’agissant de la rémunération, elle rappelle que « en application des articles L.3241-1 et R.3242-1 du code du travail, le paiement de la rémunération est effectué une fois par mois, un jour ouvrable sauf en ce cas de virement, lorsqu’il est mensualisé ». Elle souligne aussi que « il est rappelé que la délivrance du bulletin de paie doit avoir lieu au moment du paiement de la rémunération ». Elle relève une méconnaissance du salaire contractuel en début de relation, un paiement mensuel retardé pour un mois, une régularisation tardive du lien contractuel, et des réservations exigées pour un navire sans certificat valable. Au titre de la sécurité, la cour rappelle le standard probatoire et opérationnel, en relevant que « il appartient en outre à l’employeur de rapporter la preuve de ce qu’il a respecté son obligation de sécurité » et « ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment en matière de harcèlement moral, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail et qui, informé de l’existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser conformément à l’article L.1152-4 du même code ». Plusieurs carences sont établies: locaux partiellement non conformes, absence d’affiliation établie au service de santé au travail dès l’embauche, défaut d’affichage des coordonnées à jour de la médecine du travail, absence de DUER, et absence de réponse adaptée aux alertes sur des faits susceptibles de harcèlement.

Enfin, au regard du droit de la résiliation judiciaire, la cour rappelle que « les manquements de l’employeur susceptibles de justifier la résiliation judiciaire à ses torts doivent être d’une gravité suffisante pour empêcher la poursuite de la relation de travail ». L’addition des manquements, malgré la régularisation salariale intervenue, justifie la résiliation judiciaire avec effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Les indemnités de préavis et congés payés afférents, le solde d’indemnité de licenciement et des dommages pour perte injustifiée d’emploi, dans les bornes du barème applicable aux structures de moins de onze salariés, sont confirmés. La demande de procédure abusive est rejetée, la cour rappelant que « l’action en justice constitue un droit qui ne dégénère en abus qu’en cas de faute » et que, « dès lors que l’action du demandeur a été reconnue légitime par la juridiction du premier degré », aucune faute ne saurait être retenue.

I – Effet dévolutif et formalisme de l’appel incident

A – L’exigence du dispositif

La cour d’appel de Bordeaux applique la jurisprudence consolidée sur la portée du dispositif, selon laquelle la demande d’infirmation ou d’annulation doit figurer au dispositif des conclusions. Elle cite littéralement que « lorsque l’appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions ni l’infirmation ni l’annulation du jugement, la cour d’appel ne peut que confirmer le jugement ». Le rappel des décisions de la deuxième chambre civile du 17 septembre 2020 et du 1er juillet 2021 éclaire la solution, la première marquant la prise en compte de l’article 6, § 1 CEDH pour les appels antérieurs à une certaine date, la seconde précisant le régime temporel des appels incidents.

La décision retient ici l’exigence, en relevant que « le dispositif des conclusions de l’intimée ne comporte aucune demande d’infirmation ou de réformation du jugement entrepris ». L’absence de mention expresse ne peut être suppléée par l’économie générale des écritures, l’effet dévolutif se déterminant par le seul dispositif. Cette rigueur forme un garde-fou procédural cohérent avec l’office de la cour, tout en restant conciliée avec le droit au procès équitable au regard de la temporalité des textes et des interprétations.

B – Les conséquences sur l’instance

La sanction conduit à restreindre la connaissance de la cour aux chefs critiqués par l’appel principal. La formation rappelle sobrement que « la cour doit donc examiner les prétentions formulées par les parties dans les limites de l’appel principal uniquement ». Sont par conséquent réputées non soumises les prétentions de l’intimée visant une aggravation des condamnations ou la nullité de la rupture.

La portée pratique demeure notable. D’un côté, le formalisme renforce la lisibilité des prétentions et la sécurité du périmètre du débat. De l’autre, la sanction prive l’intimée d’une discussion utile sur l’évaluation des préjudices ou la qualification de la rupture. L’équilibre retenu s’inscrit dans une ligne jurisprudentielle désormais stable, dont la prévisibilité justifie l’issue.

II – Manquements contractuels et obligation de sécurité

A – L’exécution déloyale caractérisée

La cour adopte une analyse graduée des griefs, distinguant ceux établis et ceux insuffisamment prouvés. Elle rappelle le cadre légal des versements, en soulignant que « en application des articles L.3241-1 et R.3242-1 du code du travail, le paiement de la rémunération est effectué une fois par mois, un jour ouvrable sauf en ce cas de virement, lorsqu’il est mensualisé ». Elle précise encore que « il est rappelé que la délivrance du bulletin de paie doit avoir lieu au moment du paiement de la rémunération ».

Au regard de ces références, plusieurs manquements sont retenus: exécution déloyale par manquement au salaire convenu en début de relation, un retard de versement ponctuel, l’atermoiement dans la formalisation contractuelle alors que le travail était déjà exécuté, et l’exigence d’opérations commerciales alors que le navire n’était pas couvert par un certificat en vigueur. L’ensemble révèle une loyauté défaillante dans l’exécution, distincte du préjudice de rupture, et justement indemnisée par des dommages-intérêts spécifiques.

B – La prévention et la réaction insuffisantes

La cour met au centre l’obligation de sécurité et sa dimension organisationnelle. Elle affirme le standard de preuve: « il appartient en outre à l’employeur de rapporter la preuve de ce qu’il a respecté son obligation de sécurité ». Elle précise le modèle d’exonération désormais classique: « ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment en matière de harcèlement moral, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention […] et qui, informé de l’existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser ».

Or, il est établi que les locaux d’affectation ont présenté des non-conformités d’hygiène et d’électricité, que l’affiliation au service de santé au travail n’est pas démontrée dès l’embauche, que l’affichage des coordonnées actualisées de la médecine du travail fait défaut, et qu’aucun DUER n’est justifié avant la saisine. La réaction aux alertes relatives à des faits susceptibles de harcèlement a, en outre, été inexistante ou inadaptée, alors qu’une démarche effective était attendue. La combinaison de ces carences révèle une politique de prévention insuffisante, caractérisant le manquement.

Sur ces bases, la cour rattache logiquement la résiliation judiciaire aux torts de l’employeur. Elle se conforme au critère de gravité, rappelant que « les manquements de l’employeur […] doivent être d’une gravité suffisante pour empêcher la poursuite de la relation de travail ». Le maintien des indemnisations accessoires s’articule avec le barème légal applicable selon l’effectif, la prise en compte conventionnelle du préavis et la reconstitution de l’ancienneté pertinente. Enfin, la demande de dommages pour procédure abusive est écartée, la cour rappelant que « l’action en justice constitue un droit qui ne dégénère en abus qu’en cas de faute ». La confirmation partielle en première instance excluait, en soi, une sanction pour abus.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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