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Cour d’appel de Bordeaux, chambre sociale, 24 juin 2025. L’arrêt statue sur la nullité d’un licenciement motivé par une inaptitude consécutive à un harcèlement sexuel, et sur des demandes d’heures supplémentaires et de travail dissimulé.
Un serveur a été engagé en contrat à durée indéterminée avec un horaire hebdomadaire de trente-neuf heures, dans un établissement de restauration exploité sur deux sites. Placé en arrêt de travail puis déclaré inapte par le médecin du travail, il a été licencié pour inaptitude. Entre-temps, le gérant a été définitivement déclaré coupable de harcèlement sexuel par le tribunal correctionnel de Périgueux le 2 juin 2021, jugement confirmé par la chambre des appels correctionnels de la cour d’appel de Bordeaux le 24 octobre 2023.
Le conseil de prud’hommes de Périgueux, le 3 septembre 2024, a retenu le harcèlement sexuel, prononcé la nullité du licenciement, alloué des dommages-intérêts, accordé un rappel d’heures supplémentaires, et rejeté la demande pour travail dissimulé. L’employeur, en liquidation, et le liquidateur ont interjeté appel. Le salarié a sollicité confirmation et ajustement des montants. L’organisme de garantie des salaires est intervenu pour limiter certaines créances dans la stricte mesure légale.
Les questions posées portaient, d’abord, sur l’articulation entre la condamnation pénale pour harcèlement et la nullité du licenciement pour inaptitude, ainsi que l’étendue de la réparation associée. Elles concernaient, ensuite, la preuve des heures supplémentaires et la condition d’intention pour l’indemnité forfaitaire de travail dissimulé. La cour confirme la nullité du licenciement, ajuste les montants alloués au titre du harcèlement et des heures supplémentaires, rejette le travail dissimulé, et règle le point des intérêts légaux.
I – Harcèlement sexuel et nullité du licenciement pour inaptitude
A – Autorité de la décision pénale et manquement de l’employeur
La condamnation pénale définitivement prononcée assoit la réalité des agissements de harcèlement sexuel dans l’entreprise. En droit du travail, l’employeur demeure tenu d’une obligation de prévention et de protection de la santé et de la dignité du salarié. L’inaptitude médicalement constatée, lorsqu’elle trouve sa cause dans ces agissements, vicie le licenciement qui s’ensuit, faute de cause autonome acceptable. La cour approuve donc la nullité, en cohérence avec l’économie des textes protégeant la personne au travail et l’effectivité de la prohibition du harcèlement.
Le raisonnement se distingue par sa sobriété, car la discussion ne porte plus sur la caractérisation du harcèlement, devenue indiscutable après l’arrêt pénal. Le contrôle se concentre sur les effets civils, ce qui préserve la cohérence entre les deux ordres de juridictions sans méconnaître l’autonomie du droit du travail.
B – Indemnité minimale, préavis et intérêts
La cour rappelle le standard de réparation en ces termes: « Le salarié victime d’un licenciement nul, qui ne sollicite pas sa réintégration, a droit à une indemnité réparant l’intégralité du préjudice subi et au moins égale à celle prévue par l’article L. 1235-3 dans sa version applicable à la date de la rupture, soit six mois de salaire. » La solution garantit un plancher protecteur, distinct de tout barème, adapté à la gravité de l’atteinte et à la nécessité d’une réparation intégrale.
La cour précise le contexte salarial d’appréciation en retenant que « Le salaire mensuel contractuellement prévu était de 1 873,50 euros. » Elle confirme l’indemnité de préavis et corrige les congés afférents, puis fixe l’indemnité pour licenciement nul à un montant conforme au plancher légal, ce qui manifeste une application ferme mais mesurée des textes.
S’agissant des intérêts, la motivation s’inscrit dans le droit commun des obligations: « Il n’y a pas lieu de déroger aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil en application desquelles les créances salariales produisent intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le conseil de prud’hommes et les créances indemnitaires produisent intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant, tout en précisant que l’ouverture de la procédure collective a suspendu le cours des intérêts. » Le rappel assure la sécurité juridique des modalités de calcul, malgré la procédure collective ouverte.
II – Heures supplémentaires et travail dissimulé
A – Répartition de la preuve et pouvoir d’appréciation du juge
Le contentieux des heures supplémentaires appelle la règle probatoire désormais constante, exposée par la cour: « En cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. » La cour complète: « Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande et au regard des exigences rappelées aux dispositions légales précitées, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. »
L’application concrète suit cette méthode. Le salarié produit un relevé journalier et un décompte hebdomadaire. L’employeur réplique avec des pièces internes, des attestations et surtout la contestation des pauses repas. Le juge retient des éléments convergents sur l’existence d’heures supplémentaires, mais déduit une heure de pause par service, faute de décompte exact du temps de pause par le salarié.
Cette opération de tri, appuyée sur des écritures adverses suffisamment documentées, aboutit à une fixation notablement inférieure au montant initialement accordé. La solution illustre un contrôle probatoire équilibré, qui refuse l’allocation forfaitaire déconnectée des réalités d’organisation et de fermeture des établissements.
B – Condition d’intention et refus de l’indemnité forfaitaire
La demande fondée sur le travail dissimulé est écartée pour défaut d’élément intentionnel. La cour observe que le rappel d’heures n’est obtenu qu’au terme d’un débat technique et partiellement, tandis que des heures supplémentaires ont été réglées à d’autres salariés sur demande. Le faisceau d’indices milite contre l’idée d’une volonté délibérée de dissimulation.
La solution s’inscrit dans la jurisprudence exigeante sur l’intention. La simple inexactitude ou l’insuffisance du décompte ne saurait suffire. Il faut établir une soustraction volontaire aux obligations déclaratives ou de paie, ce qui ne ressort pas de l’espèce. Le rejet préserve la finalité sanctionnatrice du dispositif sans en faire un prolongement automatique des litiges d’heures supplémentaires.
En définitive, l’arrêt concilie fermeté et mesure. La nullité du licenciement, adossée au harcèlement, reçoit une réparation conforme aux standards protecteurs. Les heures supplémentaires sont réévaluées avec rigueur probatoire. L’indemnité pour travail dissimulé est logiquement refusée, et les intérêts suivent le droit commun, l’arrêt étant déclaré opposable à l’organisme de garantie dans ses limites légales.