Cour d’appel de Bordeaux, le 24 juin 2025, n°24/04992

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Rendue par la Cour d’appel de Bordeaux le 24 juin 2025, la décision tranche un incident procédural né d’une assignation en matière successorale. Le litige oppose deux héritiers au sujet de la validité d’un testament, de demandes en réduction et du rapport de libéralités, dans la perspective d’une liquidation-partage. Les faits importent peu en eux-mêmes, hormis l’existence de deux successions enchevêtrées et d’un testament contesté, lesquels structurent les prétentions opposées des parties.

La procédure a débuté par une assignation délivrée devant le tribunal judiciaire de Libourne. Saisi d’un incident, le juge de la mise en état a rejeté l’exception de nullité de l’assignation tirée des règles de postulation, ainsi qu’une fin de non‑recevoir, puis a renvoyé à la mise en état. L’appelant a interjeté appel, sollicitant l’infirmation, la nullité de l’assignation et l’allocation de frais irrépétibles. L’intimé a conclu à la confirmation, sollicitant en outre une indemnité et les dépens d’appel.

Deux thèses se sont opposées. L’appelant a soutenu que l’assignation visait la liquidation-partage, domaine excluant la multipostulation lorsque l’avocat postulant n’est pas maître de l’affaire. L’intimé a répondu qu’il s’agissait principalement d’une action en nullité de testament, que la postulation demeurait régulière, et qu’à tout le moins une régularisation était intervenue. La question de droit portait sur la qualification procédurale de l’action au regard de la postulation territoriale, puis sur l’opposabilité d’une régularisation postérieure en application de l’article 121 du code de procédure civile.

La cour retient d’abord que la demande saisissait bien le tribunal d’une liquidation-partage, ce qui entraîne l’application de la dérogation légale à la libre postulation. Elle rappelle que, « Aux termes de l’article 414 du code de procédure civile, une partie n’est admise à se faire représenter que par une seule des personnes, physiques ou morales, habilitées par la loi. » Elle cite ensuite le texte spécial, selon lequel « Les avocats ne peuvent postuler […] ni dans le cadre des procédures de saisie immobilière, de partage et de licitation, ni au titre de l’aide juridictionnelle, ni dans des instances dans lesquelles ils ne seraient pas maîtres de l’affaire chargés également d’assurer la plaidoirie. » La Cour précise encore que « L’alinéa 3 de ce texte […] doit être interprété strictement. » Enfin, s’agissant de la régularisation, elle rappelle que « L’article 121 du code de procédure civile dispose que dans les cas où elle est susceptible d’être couverte, la nullité ne sera pas prononcée si sa cause a disparu au moment où le juge statue », pour constater que « la cause de la nullité n’avait pas disparu au moment où le juge de la mise en état a statué ». La solution s’impose dès lors : « La décision doit donc être infirmée en ce qu’elle a rejeté l’exception de nullité de l’assignation », la cour prononçant la nullité de l’acte introductif, avec dépens et frais irrépétibles.

I. Qualification de l’action et contrôle de la postulation

A. La saisie en liquidation-partage, critère directeur de compétence postulationnelle
La cour redresse l’analyse initiale en constatant la présence de prétentions autonomes en liquidation-partage, d’ailleurs structurées selon l’issue de la contestation testamentaire. Le cœur de l’assignation emportait ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage, quand bien même la nullité du testament était discutée. Cette qualification gouverne le régime de postulation, qui ne s’apprécie pas selon l’intitulé des demandes, mais d’après leur objet procédural réel et leur finalité liquidative. L’exigence de cohérence commande que l’office juridictionnel se détermine à partir du contenu effectif des prétentions et de leur incidence sur l’organisation des opérations de partage.

Ce choix s’accorde avec l’économie des articles 414 du code de procédure civile et 5 de la loi du 31 décembre 1971. En rappelant que « Aux termes de l’article 414 du code de procédure civile, une partie n’est admise à se faire représenter que par une seule des personnes […] habilitées par la loi », la cour recompose l’articulation entre représentation obligatoire, postulation et nature de l’instance. Le lien entre l’objet liquidatif et la représentation qualifiée justifie un contrôle vigilant de la régularité de la postulation dès l’acte introductif, sans attendre l’instance au fond.

B. L’exception au principe de libre postulation, d’interprétation strictement restrictive
La cour mobilise la clause dérogatoire en matière de partage, en soulignant son interprétation stricte. Elle cite expressément que « Les avocats ne peuvent postuler […] ni dans le cadre des procédures de saisie immobilière, de partage et de licitation, ni […] dans des instances dans lesquelles ils ne seraient pas maîtres de l’affaire chargés également d’assurer la plaidoirie. » La ratio legis tient à l’exigence de proximité juridictionnelle des actes de procédure dans des opérations techniques et lourdes, qui impliquent un pilotage processuel resserré.

L’affirmation selon laquelle « L’alinéa 3 de ce texte […] doit être interprété strictement » verrouille toute dilution de l’exception par des qualifications opportunistes. La portée en pratique est nette : dès lors que la demande emporte ouverture ou conduite du partage, la postulation doit être territorialement conforme, sauf à justifier de la maîtrise effective de l’affaire par le même avocat, plaidant inclus.

II. Nullité de fond et régularisation au stade de l’incident

A. Le défaut de maîtrise de l’affaire, cause autonome de nullité en partage
La cour ne se contente pas de relever l’incompétence territoriale de postulation. Elle vérifie la condition cumulative tenant à la qualité de maître de l’affaire. Le texte spécial vise « des instances dans lesquelles [les avocats] ne seraient pas maîtres de l’affaire chargés également d’assurer la plaidoirie. » L’exigence recouvre une direction procédurale effective, incluant la conduite des écritures et la plaidoirie par le même conseil. À défaut, la nullité affecte la validité de l’assignation en tant qu’acte de saisine irrégulièrement postulé.

Cette approche protège la loyauté du procès et la clarté des responsabilités techniques. Elle évite que la multipostulation contourne l’esprit de la règle par une dissociation artificielle entre rédaction, dépôts et audience, surtout en matière de partage où les actes structurent des opérations complexes et séquencées.

B. La régularisation au regard de l’article 121, cantonnée au moment où le juge statue
La cour replace la discussion dans le temps du contrôle incident. Elle rappelle que « L’article 121 du code de procédure civile dispose que dans les cas où elle est susceptible d’être couverte, la nullité ne sera pas prononcée si sa cause a disparu au moment où le juge statue ». Or elle constate, en termes dépourvus d’ambiguïté, que « la cause de la nullité n’avait pas disparu au moment où le juge de la mise en état a statué ». La substitution ultérieure d’un postulant territorialement compétent ne rétrospecte pas sur l’incident déjà jugé, de sorte que la nullité demeure acquise.

Ce rappel du principe d’appréciation in tempore litis renforce la sécurité des incidents procéduraux. Il incite les plaideurs à régulariser avant l’audience d’incident, faute de quoi la sanction frappe l’acte introductif. La conséquence pratique est lourde mais prévisible : l’irrégularité de postulation en partage, non couverte à temps, commande l’infirmation et la nullité, comme l’énonce la décision lorsqu’elle affirme que « La décision doit donc être infirmée en ce qu’elle a rejeté l’exception de nullité de l’assignation ».

La solution présente un double intérêt. Elle clarifie la méthode de qualification des demandes hybrides portant à la fois sur la validité d’un testament et la liquidation-partage. Elle confirme, avec mesure, une interprétation stricte de l’exception à la libre postulation et une application rigoureuse de la régularisation procédurale, dans le seul cadre temporel fixé par le texte.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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