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La responsabilité décennale des constructeurs constitue l’un des piliers du droit français de la construction. Elle suppose toutefois, pour son application, la réunion de conditions strictes, parmi lesquelles figure la réception de l’ouvrage. L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Bordeaux le 26 juin 2025 offre une illustration topique des difficultés entourant la preuve de cette réception lorsqu’aucun acte formel n’a été établi.
En l’espèce, une propriétaire avait confié à un auto-entrepreneur la réfection de la couverture de sa maison pour un montant de 10 750 euros TTC, complété par des travaux d’isolation pour 740 euros. Deux acomptes avaient été versés en mars et avril 2021, puis le solde réglé le 21 avril 2021, après que le couvreur eut indiqué par SMS que ses travaux étaient achevés et restitué les clés du garage confiées pour les besoins du chantier. Peu après ce règlement, la propriétaire constata de nombreux désordres et malfaçons. Une expertise amiable réalisée le 4 août 2021 conclut à la méconnaissance des règles de l’art et à la nécessité de reprendre l’intégralité des travaux. Le couvreur révéla alors ne pas disposer d’assurance décennale.
La propriétaire assigna le couvreur devant le Tribunal judiciaire de Périgueux, qui la débouta par jugement du 22 décembre 2023. Le premier juge estima que la responsabilité décennale ne pouvait être retenue faute de preuve d’une réception, que la responsabilité contractuelle n’était pas davantage établie en l’absence de preuve d’une faute, et qu’une mesure d’expertise ne pouvait pallier la carence probatoire de la demanderesse. Celle-ci interjeta appel le 19 janvier 2024. Devant la cour, l’intimé constitua avocat mais ne conclut pas.
La question posée à la Cour d’appel de Bordeaux était de déterminer si le règlement intégral du prix des travaux, conjugué à d’autres circonstances, pouvait caractériser une réception tacite de nature à ouvrir le régime de la garantie décennale.
Par son arrêt du 26 juin 2025, la cour réforma le jugement entrepris. Elle jugea que « le règlement du solde du marché de travaux emporte présomption de réception » et fixa la réception tacite au 21 avril 2021. Retenant la responsabilité décennale du couvreur, elle le condamna à verser 15 206,12 euros au titre des travaux de reprise, 2 500 euros en réparation du préjudice moral et de jouissance, ainsi que 3 500 euros au titre des frais irrépétibles.
Cette décision mérite examen tant pour la reconnaissance de la réception tacite comme fondement de la garantie décennale (I) que pour l’appréciation des responsabilités et préjudices en résultant (II).
I. La reconnaissance de la réception tacite comme fondement de la garantie décennale
La cour procède d’abord à un rappel des principes régissant la réception (A), avant d’en faire application aux circonstances de l’espèce pour caractériser une réception tacite (B).
A. Le rappel des principes gouvernant la réception
L’article 1792-6 du Code civil définit la réception comme « l’acte par lequel le maître de l’ouvrage déclare accepter l’ouvrage avec ou sans réserves ». Cette définition suggère un acte volontaire et formel. Le texte précise que la réception « est, en tout état de cause, prononcée contradictoirement ».
La cour rappelle cependant que « la réception n’obéit à aucun formalisme particulier ». Cette affirmation trouve son fondement dans une jurisprudence constante de la Cour de cassation qui admet depuis longtemps la réception tacite. Celle-ci peut résulter de la prise de possession de l’ouvrage par le maître de l’ouvrage, manifestant ainsi sa volonté non équivoque d’accepter les travaux.
La cour observe toutefois qu’en l’espèce, s’agissant d’une toiture, la prise de possession au sens classique du terme n’était pas concevable. Elle énonce alors que « le règlement du solde du marché de travaux emporte présomption de réception ». Cette formulation mérite attention. La jurisprudence antérieure considérait généralement le paiement comme un indice parmi d’autres de la volonté de réceptionner. L’arrêt commenté semble aller plus loin en posant une véritable présomption.
Cette solution répond à une logique pratique. Dans de nombreux marchés de travaux réalisés par de petits artisans, aucun procès-verbal de réception n’est établi. Priver le maître de l’ouvrage du bénéfice de la garantie décennale au motif qu’il n’a pas formalisé la réception reviendrait à le sanctionner pour un défaut de formalisme dont le professionnel porte généralement la responsabilité.
B. La caractérisation d’une réception tacite en l’espèce
La cour ne se contente pas du seul paiement pour retenir la réception tacite. Elle relève un faisceau d’indices convergents. Le règlement intégral des factures intervint le 21 avril 2021, « sans réserve quant à la réalisation des travaux ». Ce paiement faisait suite à un SMS du couvreur du 14 avril 2021 par lequel celui-ci « considérait que ses travaux étaient achevés ». Cette déclaration fut confirmée par « la remise des clés du garage aux enfants de l’appelante, clés qui lui avaient été confiées pour les besoins du chantier ».
La cour souligne également que les critiques relatives aux travaux n’intervinrent que « peu de temps après, mais postérieurement » au règlement. Cette précision temporelle revêt une importance particulière. Elle permet de distinguer la situation d’un maître de l’ouvrage qui paie en connaissance des désordres de celle de celui qui découvre les malfaçons après avoir manifesté son acceptation.
L’ensemble de ces éléments conduit la cour à fixer « une réception tacite des travaux réalisés par M. [K] au 21 avril 2021 ». Le choix de cette date correspond au paiement du solde, moment où la volonté d’acceptation s’est manifestée de la façon la plus caractérisée.
Cette analyse se situe dans la continuité de la jurisprudence de la Cour de cassation. Elle présente l’intérêt de protéger le maître de l’ouvrage profane confronté à un constructeur qui, comme en l’espèce, ne dispose pas des compétences requises et ne respecte pas ses obligations, notamment en matière d’assurance.
II. L’appréciation des responsabilités et préjudices découlant des désordres
Une fois la réception admise, la cour examine la responsabilité décennale du couvreur (A) et procède à l’évaluation des différents chefs de préjudice (B).
A. La mise en œuvre de la responsabilité décennale
Le tribunal avait estimé que la preuve des fautes du couvreur n’était pas rapportée. La cour adopte une approche différente. Elle relève que l’appelante a versé aux débats un rapport d’expertise amiable « corroboré par d’autres éléments de preuve dont un procès-verbal de constat et des échanges de messages ».
La recevabilité et la force probante de l’expertise amiable sont expressément admises. La cour énonce que « ces pièces régulièrement versées aux débats et ainsi discutées sont parfaitement recevables ». Cette solution n’allait pas nécessairement de soi. Le rapport d’expertise amiable est en principe librement discuté par le juge. Son absence de caractère contradictoire peut en limiter la portée. Ici, la cour note que l’expert « a pu entendre M. [K] qui avait été régulièrement convoqué », ce qui renforce la valeur probante du rapport.
Sur la qualification des travaux, la cour retient que « la réfection de la toiture et notamment du faîtage par l’apport de nouveaux éléments tels que des liteaux ou des tuiles constituent un ouvrage au sens de l’article 1792 ». Cette qualification ouvre le champ d’application de la garantie décennale.
La cour apporte une précision importante concernant l’absence d’assurance décennale. Elle juge que celle-ci « ne modifie pas le périmètre de sa responsabilité vis-à-vis de l’appelante ». Le défaut d’assurance n’exonère pas le constructeur. Il aggrave au contraire sa situation puisqu’il devra personnellement assumer les condamnations. La cour ajoute que ce défaut peut donner lieu à des poursuites pénales, l’intimé ayant « manifestement enfreint le régime obligatoire d’une telle garantie ».
L’expertise amiable établit que « les règles de l’art avaient été méconnues ». La cour relève que « l’intimé ne semble disposer ni de diplôme ni de connaissances propres à la matière pour laquelle il a néanmoins réalisé un devis de travaux ». Cette observation, bien qu’incidente, illustre la situation de professionnels qui s’engagent dans des domaines dépassant leurs compétences réelles.
B. L’évaluation des préjudices matériel et moral
Le préjudice matériel correspond au coût des travaux de reprise. L’expert a préconisé la dépose de l’ensemble de la couverture, le nivelage du chevronnage, le remplacement des chevrons de rives, la réfection de l’écran de sous-toiture non conforme aux normes, la réalisation des entourages de cheminées « facturés mais non réalisés » et la reprise de la gouttière défectueuse.
La cour juge le montant de 15 206,12 euros « parfaitement justifié alors qu’il répond en totalité aux préconisations de l’expert ». Elle ordonne l’indexation de cette somme sur l’indice BT 01 du coût de la construction entre le 4 août 2021 et la date de l’arrêt, puis l’application du taux d’intérêt légal jusqu’à parfait paiement. Cette indexation vise à préserver la valeur réelle de l’indemnisation face à l’augmentation des coûts de construction constatée depuis 2021.
S’agissant du préjudice moral et de jouissance, la cour alloue 2 500 euros, soit une somme inférieure aux 10 000 euros demandés. Elle retient que la propriétaire « a incontestablement subi un préjudice complémentaire alors qu’ayant fait appel à un professionnel, elle s’est rendu compte mais trop tard qu’elle avait été trompée par une personne incompétente pour réaliser de tels travaux et qui de surcroît n’était pas assuré, ce qu’il s’est bien gardé de lui dire préalablement à toute intervention ».
Cette motivation mêle plusieurs éléments. Le préjudice moral résulte de la déception d’avoir été trompée sur les compétences et la situation assurantielle du couvreur. Le trouble de jouissance découle de l’impossibilité de disposer d’une toiture conforme aux règles de l’art. La cour sanctionne également le comportement du professionnel qui a dissimulé son absence d’assurance, manquement à l’obligation d’information qui pèse sur tout constructeur en vertu de l’article L. 243-2 du Code des assurances.
Cet arrêt illustre la protection accordée au maître de l’ouvrage profane face à des constructeurs défaillants. La reconnaissance de la réception tacite par le paiement du solde des travaux permet d’ouvrir le régime de la garantie décennale sans exiger un formalisme que les particuliers ignorent généralement. La solution retenue assure ainsi l’effectivité du régime légal de responsabilité des constructeurs.