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La Cour d’appel de Bordeaux, par un arrêt du 3 juillet 2025, se prononce sur un litige opposant un particulier à une société de paysagisme au sujet du paiement du solde de factures relatives à des travaux d’aménagement de jardin. Cette décision illustre le régime de l’exception d’inexécution et les exigences probatoires en matière de responsabilité contractuelle.
Un particulier avait confié à une société de paysagisme la réalisation de travaux d’aménagement de son jardin pour un montant total de 39 304,50 euros, selon quatre devis établis entre janvier et juin 2020. Après paiement partiel de 23 000 euros, il refusait de s’acquitter du solde, invoquant diverses malfaçons et l’inachèvement des prestations.
La société saisissait le tribunal judiciaire de Bordeaux, lequel, par jugement du 5 janvier 2022, condamnait le client au paiement de 11 404 euros. Ce dernier interjetait appel le 1er mars 2022. Le conseiller de la mise en état rejetait sa demande d’expertise par ordonnance du 22 février 2023.
L’appelant soutenait à titre principal que la société ne rapportait pas la preuve de sa créance et qu’il était fondé à opposer l’exception d’inexécution en raison de l’inexécution partielle du contrat. Subsidiairement, il sollicitait une réduction du prix. Il formait en outre des demandes reconventionnelles en réparation de préjudices matériel, de jouissance et moral.
La société intimée demandait la confirmation du jugement et le paiement du solde des factures, soutenant avoir correctement exécuté ses obligations contractuelles.
La question posée à la Cour d’appel de Bordeaux était donc la suivante : dans quelle mesure un maître d’ouvrage peut-il opposer l’exception d’inexécution au paiement du solde de factures relatives à des travaux, et quelles sont les conditions de mise en oeuvre de la responsabilité contractuelle de l’entrepreneur ?
La Cour confirme le jugement de première instance en toutes ses dispositions. Elle condamne l’appelant au paiement de 11 404 euros, rejette ses demandes reconventionnelles et déclare irrecevables ses demandes nouvelles formées pour la première fois en appel.
La solution retenue par la Cour d’appel de Bordeaux appelle un examen sous deux aspects. L’appréciation de l’exception d’inexécution opposée par le maître d’ouvrage révèle une application rigoureuse des conditions légales (I). Le rejet des demandes reconventionnelles illustre quant à lui l’exigence probatoire stricte imposée au créancier de dommages et intérêts (II).
I. L’appréciation mesurée de l’exception d’inexécution
La Cour procède à un examen poste par poste des prestations réalisées (A), avant de déterminer le quantum de la réduction admissible (B).
A. L’examen méthodique des inexécutions alléguées
L’article 1219 du code civil dispose qu’« une partie peut refuser d’exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l’autre n’exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave ». La Cour applique ce texte avec discernement en procédant à une analyse factuelle détaillée.
S’agissant de la clôture, la Cour relève que « les photographies versées aux débats ne laissent pas apparaître de débordements de béton significatifs autour des poteaux », de sorte qu’elle ne peut se convaincre du mauvais scellement allégué. L’absence de brise-vues étant toutefois admise par la société, l’exception d’inexécution est accueillie sur ce point précis.
Concernant la toile géotextile, la Cour estime que « les seules constatations de l’huissier de justice relatives à la présence de mauvaises herbes ne suffisent pas à caractériser l’absence de la toile géotextile ». Cette appréciation souligne l’exigence d’une corrélation directe entre le désordre constaté et le manquement allégué.
Pour le gazon, la Cour rejette l’exception en se fondant sur la mention contractuelle selon laquelle il s’agissait d’« une seule et unique intervention » sans contrat d’entretien. Le professionnel n’était donc pas tenu d’une obligation de résultat quant à la pérennité de la pelouse.
B. La détermination proportionnée de la réduction de prix
La Cour ne retient l’exception d’inexécution que de manière partielle et proportionnée aux manquements effectivement établis. Elle confirme une déduction de 1 000 euros au titre de l’absence du système de pompage du bassin, le jugement ayant « estimé qu’il convenait de déduire des sommes réclamées une somme de 1000 euros » sur une prestation facturée 3 000 euros.
Cette approche révèle le souci de la Cour de ne pas faire de l’exception d’inexécution un instrument de blocage disproportionné. Le mécanisme doit rester mesuré, limité aux inexécutions démontrées et suffisamment graves au sens de l’article 1219 du code civil.
La Cour confirme par ailleurs que le solde de la facture relative à la terrasse n’est dû qu’à hauteur des travaux effectivement réalisés, à savoir les dalles en béton pour 2 760 euros. La société elle-même avait admis n’avoir pas réalisé la terrasse en bois exotique.
Cette méthodologie rigoureuse d’examen des prestations, qui conduit à la confirmation du quantum de 11 404 euros, témoigne d’une application équilibrée de l’exception d’inexécution. Elle impose au débiteur de démontrer précisément les manquements qu’il invoque, sans pouvoir se prévaloir de griefs généraux ou insuffisamment étayés.
II. L’exigence probatoire stricte en matière de responsabilité contractuelle
La Cour rejette l’ensemble des demandes reconventionnelles en raison de carences probatoires (A) et déclare certaines demandes irrecevables comme nouvelles en appel (B).
A. L’insuffisance des éléments de preuve produits
L’article 1231-1 du code civil subordonne l’allocation de dommages et intérêts à la démonstration d’une inexécution ou d’un retard imputable au débiteur. La Cour applique cette exigence avec rigueur.
S’agissant de la demande de remise en état du jardin, la Cour estime que le procès-verbal de constat « ne permet pas à la cour d’appel de se convaincre de la mauvaise exécution du scellement des poteaux en béton de la clôture, les photographies n’étant pas probantes ». Le constat d’huissier, bien qu’émanant d’un officier ministériel, ne suffit pas lorsque les éléments visuels annexés ne corroborent pas les descriptions.
La demande relative au préjudice moral est écartée pour deux raisons. La main-courante produite « reprend les déclarations de M. [T] et est dénuée de force probante, en application du principe selon lequel on ne peut se constituer une preuve à soi-même ». Le certificat médical, quant à lui, « ne permet pas d’établir un lien de causalité entre une éventuelle faute de la sas [M], qui n’est pas démontrée, et l’état de santé » de l’intéressé.
Cette motivation rappelle les exigences cumulatives de la responsabilité civile : une faute, un préjudice et un lien de causalité, chacun devant être prouvé par le demandeur.
B. L’irrecevabilité des demandes nouvelles en appel
La Cour déclare irrecevables les demandes relatives à la réfection du seuil du portail et au préjudice de jouissance, en application de l’article 564 du code de procédure civile. Ces demandes, formées pour la première fois en cause d’appel, ne répondaient pas aux exceptions prévues par ce texte.
Cette solution s’inscrit dans la fonction première de l’appel, qui est de critiquer le jugement de première instance et non de soumettre un litige entièrement nouveau. La Cour observe « à titre surabondant » que la demande relative au seuil du portail n’était en tout état de cause « étayée par aucun élément », l’huissier se bornant à rapporter les dires de l’appelant.
La décision de la Cour d’appel de Bordeaux présente une portée essentiellement didactique. Elle confirme que l’exception d’inexécution ne peut être opposée qu’à proportion des manquements effectivement démontrés. Elle rappelle également que la charge de la preuve pèse sur celui qui réclame réparation, conformément à l’article 1353 du code civil. Enfin, elle souligne l’impossibilité de formuler des demandes nouvelles en appel hors les cas limitativement prévus par le code de procédure civile. Cette décision d’espèce ne paraît pas appelée à modifier l’état du droit positif, mais elle constitue une illustration pédagogique des mécanismes probatoires applicables aux litiges contractuels en matière de travaux.