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Le cautionnement constitue une sûreté personnelle essentielle au fonctionnement du crédit, mais la protection de la caution personne physique face aux établissements bancaires demeure une préoccupation constante du législateur et de la jurisprudence. La question de la disproportion de l’engagement de caution et de son régime juridique applicable dans le temps illustre cette tension entre efficacité de la garantie et protection du garant.
En l’espèce, une société a souscrit le 6 juin 2000 un prêt auprès d’un établissement bancaire. Par acte du 17 juin 2002, une personne physique s’est portée caution personnelle et solidaire de tous les engagements de cette société, dans la limite de 274 000 euros. La société débitrice principale a été placée en redressement judiciaire le 25 septembre 2002, puis en liquidation judiciaire le 17 mars 2004, procédure clôturée pour insuffisance d’actif le 8 avril 2007. Les créances ont été admises au passif pour un montant total supérieur à 539 000 euros. Par acte de cession du 31 juillet 2008, la banque a cédé ses créances à une société de recouvrement, laquelle a assigné la caution le 6 avril 2022 en paiement de la somme de 271 741,11 euros. Un fonds commun de titrisation est ultérieurement venu aux droits du cessionnaire initial.
Le tribunal de commerce de Bordeaux, par jugement du 20 juillet 2023, a rejeté les demandes de nullité et de prescription soulevées par la caution, mais a déclaré l’acte de cautionnement inopposable à cette dernière, déboutant ainsi le créancier cessionnaire de l’ensemble de ses demandes. Le cessionnaire a interjeté appel de cette décision.
La caution intimée soutenait que l’engagement était disproportionné au regard de sa situation patrimoniale et financière, tant lors de sa souscription qu’au moment de l’appel. Le fonds commun de titrisation appelant faisait valoir que le cessionnaire ne pouvait être tenu responsable d’un manquement du cédant antérieur à la cession.
La question posée à la Cour d’appel de Bordeaux était double : d’une part, la caution peut-elle opposer au cessionnaire d’une créance un manquement du cédant à son obligation de bonne foi ? D’autre part, quel est le régime juridique applicable à la disproportion de l’engagement de caution souscrit antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 1er août 2003 ?
Par arrêt du 30 juin 2025, la Cour d’appel de Bordeaux a infirmé le jugement entrepris. Elle a jugé que « le cessionnaire d’une créance ne peut être tenu d’une dette née d’un manquement du cédant, antérieure à la cession, sauf connexité avec la créance cédée » et que « tel n’est pas le cas d’une créance de dommages-intérêts fondée sur une faute commise par le cédant à l’encontre de la caution garantissant le paiement de la créance cédée ». La cour a également relevé que « le moyen tiré de la disproportion manifeste de l’engagement de la caution au regard de ses revenus et de ses biens est inopérant, dès lors que [la caution] n’en a pas tiré les conséquences légales, qui étaient seules susceptibles d’être invoquées à la date à laquelle elle a souscrit son cautionnement (antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi n° 2003-721 du 1er août 2003) ». La caution a été condamnée à payer la somme réclamée.
La solution retenue par la cour mérite examen tant sur le terrain de l’opposabilité des exceptions au cessionnaire de la créance (I) que sur celui du régime de la disproportion applicable aux cautionnements antérieurs à la loi du 1er août 2003 (II).
I. L’inopposabilité au cessionnaire des manquements du créancier cédant
La cour rappelle le principe selon lequel la cession de créance transfère au cessionnaire les droits attachés à la créance, mais non les dettes nées de manquements du cédant (A), avant d’en tirer les conséquences quant à l’impossibilité pour la caution d’invoquer la faute du banquier originaire (B).
A. Le principe de non-transmission des dettes du cédant au cessionnaire
L’arrêt s’inscrit dans une jurisprudence constante de la Cour de cassation. La cession de créance, régie par les articles 1321 et suivants du code civil, opère un transfert des droits et actions appartenant au cédant et attachés à la créance cédée. Elle ne saurait en revanche avoir pour effet de transférer au cessionnaire les obligations personnelles du cédant nées de ses propres manquements.
La cour énonce que « la cession de créance ne transfère au cessionnaire que les droits et actions appartenant au cédant et attachés à la créance cédée ». Cette formulation reprend la solution classique selon laquelle le cessionnaire bénéficie des accessoires de la créance, conformément à l’article 1321 alinéa 3 du code civil, mais ne supporte pas les dettes personnelles du cédant.
Une exception existe toutefois : la connexité avec la créance cédée. La cour précise que le cessionnaire pourrait être tenu d’une dette née d’un manquement du cédant s’il existait un lien de connexité suffisant avec la créance cédée, permettant alors une compensation. Cette réserve traduit l’exigence d’un rapport étroit entre les créances réciproques pour admettre leur compensation.
B. L’exclusion de la créance indemnitaire de la caution du champ de la connexité
La cour exclut expressément du champ de la connexité « une créance de dommages-intérêts fondée sur une faute commise par le cédant à l’encontre de la caution garantissant le paiement de la créance cédée ». Cette solution mérite approbation sur le plan des principes.
La créance de la caution à l’encontre du banquier pour manquement à son devoir de mise en garde ou à son obligation de bonne foi présente un caractère personnel et indemnitaire. Elle naît du rapport contractuel entre la banque et la caution, distinct du rapport principal garanti. Cette créance ne constitue pas un accessoire de la dette cautionnée et ne présente pas avec elle le lien de connexité exigé pour être opposable au cessionnaire.
La caution qui entendait se prévaloir d’un manquement du banquier originaire devait donc agir contre celui-ci avant la cession ou, à tout le moins, avant l’expiration du délai de prescription applicable. La cession de créance ne saurait avoir pour effet de priver la caution de son action contre le cédant, mais elle fait obstacle à ce que cette action soit exercée contre le cessionnaire qui n’est pas l’auteur du manquement allégué.
II. L’application du droit antérieur à la loi du 1er août 2003 en matière de disproportion
La cour écarte le moyen tiré de la disproportion en se fondant sur le droit applicable à la date de souscription du cautionnement (A), ce qui conduit à s’interroger sur les voies de recours dont disposait la caution sous l’empire de ce droit antérieur (B).
A. L’inapplicabilité du régime issu de la loi du 1er août 2003 aux cautionnements antérieurs
La loi du 1er août 2003 pour l’initiative économique a introduit à l’article L. 341-4 du code de la consommation, devenu L. 332-1, un mécanisme de protection des cautions personnes physiques contre les engagements manifestement disproportionnés. Ce texte prévoyait que le créancier professionnel ne pouvait se prévaloir d’un cautionnement manifestement disproportionné aux biens et revenus de la caution, sauf si le patrimoine de celle-ci lui permettait de faire face à son obligation au moment où elle était appelée.
La cour relève que le cautionnement litigieux a été souscrit le 17 juin 2002, soit « antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi n° 2003-721 du 1er août 2003 ». Cette constatation est décisive. Les dispositions protectrices issues de cette loi ne s’appliquent qu’aux cautionnements souscrits postérieurement à son entrée en vigueur, conformément au principe de non-rétroactivité des lois.
La caution ne pouvait donc invoquer l’inopposabilité de son engagement sur le fondement de la disproportion telle que prévue par le droit postérieur. Le régime applicable était celui résultant du droit commun de la responsabilité contractuelle antérieur à la réforme.
B. La sanction limitée de la disproportion sous le régime antérieur
Sous l’empire du droit antérieur à la loi du 1er août 2003, la disproportion de l’engagement de caution ne constituait pas une cause d’inopposabilité de plein droit. La jurisprudence avait néanmoins élaboré un devoir de mise en garde du banquier à l’égard de la caution non avertie, dont la méconnaissance était sanctionnée par l’allocation de dommages-intérêts.
La cour précise que la caution aurait dû tirer « les conséquences légales » de la disproportion alléguée « en formant une demande de dommages-intérêts au titre de la responsabilité contractuelle du prêteur sur le fondement de l’article 1147 du code civil dans sa version applicable au litige ». Cette indication révèle que la sanction de la disproportion, avant 2003, résidait exclusivement dans l’engagement de la responsabilité du banquier pour manquement à son obligation de conseil ou de mise en garde.
La caution n’ayant pas formulé de demande indemnitaire recevable contre l’établissement bancaire originaire, elle ne pouvait obtenir la réduction ou l’extinction de son obligation par le seul constat de la disproportion. La cour tire les conséquences de cette carence procédurale en condamnant la caution au paiement de l’intégralité des sommes réclamées, soit 271 741,11 euros outre intérêts.
Cette solution, juridiquement fondée, illustre la différence substantielle entre le régime antérieur et postérieur à 2003. Depuis cette réforme, la disproportion entraîne l’impossibilité pour le créancier de se prévaloir du cautionnement, sauf retour à meilleure fortune de la caution. Avant cette date, seule une action en responsabilité, soumise à la preuve d’une faute du banquier et d’un préjudice, permettait à la caution d’obtenir réparation. L’arrêt confirme ainsi la rigueur du droit antérieur à l’égard des cautions dont l’engagement, même excessif, demeurait pleinement efficace en l’absence de contestation judiciaire appropriée.