Cour d’appel de Bordeaux, le 4 septembre 2025, n°22/05826

Par un arrêt du 4 septembre 2025, la Cour d’appel de Bordeaux, chambre sociale, statue sur un litige relatif à des rappels de salaire consécutifs à la réduction de la durée du travail. La décision tranche, en outre, une demande de dommages et intérêts fondée sur l’exécution déloyale du contrat.

Le salarié, embauché d’abord en contrats à durée déterminée puis maintenu en contrat à durée indéterminée depuis 1997, travaillait sur la base habituelle de trente-neuf heures hebdomadaires. À la suite d’une réunion du 21 novembre 2014, l’employeur a supprimé les quatre heures au-delà de la durée légale, sans mise en œuvre du formalisme exigé, entraînant une rémunération limitée à trente-cinq heures.

Après deux réunions internes en 2019 restées sans suite utile, le salarié a saisi la juridiction prud’homale le 17 avril 2020, avant son départ à la retraite en 2021. Le jugement du 5 décembre 2022 a accueilli partiellement les demandes, en retenant la prescription pour la période antérieure au 17 avril 2017 et en allouant un rappel de salaire, tout en rejetant la demande indemnitaire pour déloyauté.

En appel, l’employeur invoquait principalement la prescription biennale de l’article L. 1471-1 du code du travail, soutenant un point de départ en 2014, et contestait la base contractuelle de trente-neuf heures. Le salarié sollicitait la confirmation des rappels postérieurs au 17 avril 2017, l’application de la prescription triennale de l’article L. 3245-1, ainsi que des dommages et intérêts pour exécution déloyale.

La question portait sur l’articulation des prescriptions applicables, leur point de départ concret, puis sur la qualification de la durée contractuelle et la licéité de sa modification. La cour confirme la recevabilité des rappels postérieurs au 17 avril 2017, retient la base de trente-neuf heures, condamne l’employeur à un rappel de salaire de 15 805,14 euros bruts, et accorde 3 000 euros pour exécution déloyale.

I – Le traitement de la prescription salariale et du point de départ de l’action

A – La nature salariale de la demande et l’application de la prescription triennale

La cour rappelle d’abord le principe selon lequel « La durée de la prescription est déterminée par la nature de la créance invoquée ». La qualification de la prétention dirige donc l’analyse, et exclut les artifices consistant à solliciter des dommages et intérêts équivalant à des salaires.

Elle énonce ensuite que « l’action en paiement du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ». Ce rappel recentre le débat sur l’assiette et la temporalité des créances, plutôt que sur la seule chronologie des événements contractuels.

La chambre sociale avait déjà précisé le point de départ glissant en matière salariale. La cour cite utilement que « Il résulte de la combinaison des articles L 3245-1 et L 3242-1 du code du travail que le délai de prescription des salaires court à compter de la date à laquelle la créance salariale est devenue exigible ». L’exigibilité mensuelle commande ici la borne des trois dernières années en cours de contrat.

Transition naturelle vers le point de départ effectif, l’arrêt rattache la recevabilité au moment où les faits étaient réellement connus ou connaissables, sans rigidifier le débat autour d’une date ancienne contestée.

B – La connaissance effective des faits et l’exigibilité mensuelle des créances

L’arrêt articule la prescription biennale de l’article L. 1471-1, invoquée par l’employeur, avec la prescription triennale des créances salariales, en distinguant soigneusement objet et point de départ. Il rappelle que « Toute action portant sur l’exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où […] [le demandeur] a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit ». La nature salariale des sommes réclamées demeure toutefois décisive.

La cour retient que, dans le contexte d’une modification annoncée comme temporaire, puis d’échanges tardifs et indécis en 2019, l’information utile n’a pas été clairement fournie au salarié. Elle en déduit souverainement que la connaissance effective des faits n’était pas acquise en 2014, et que chaque créance mensuelle suivait, pour le surplus, son régime propre d’exigibilité.

Elle applique, en cohérence, la borne triennale en amont de la saisine, concluant à la recevabilité des rappels à compter du 17 avril 2017. Elle souligne encore, de façon opératoire, que « Pour les salariés payés au mois, la date d’exigibilité du salaire correspond à la date habituelle du paiement des salaires en vigueur dans l’entreprise ». Le cadre temporel des rappels se trouve ainsi stabilisé.

II – La détermination de la durée contractuelle et les conséquences de la modification illicite

A – L’interprétation convergente des clauses et des bulletins vers trente-neuf heures

La cour mobilise le droit commun des contrats pour fonder la qualification de la durée de travail. Elle rappelle que « le contrat s’interprète d’après la commune intention des parties plutôt qu’en s’arrêtant au sens littéral des termes ». Le faisceau d’indices inclut ici les clauses initiales et les bulletins de paie.

Les bulletins antérieurs à décembre 2014 mentionnaient une rémunération à 151,67 heures au taux normal et 17,33 heures majorées de 25 %, révélant un horaire hebdomadaire de trente-neuf heures. L’économie générale du contrat ne visait pas de simples heures supplémentaires discrétionnaires, mais un horaire moyen pratiqué et rémunéré de façon stable.

Dans ce cadre, la cour écarte l’argument d’un temps plein à trente-cinq heures assorti d’heures supplémentaires facultatives, car une telle analyse rendrait inutile la décision collective de 2014. La qualification d’un engagement à trente-neuf heures s’impose donc nettement au vu des pièces produites.

B – La sanction de la modification unilatérale et la réparation du préjudice distinct

La cour qualifie la réduction d’horaire en modification d’un élément essentiel, soumise au formalisme économique. Elle cite à propos: « En application de l’article L 1222-6 du code du travail, lorsque l’employeur envisage la modification d’un élément essentiel du contrat de travail […] il en fait la proposition au salarié par lettre recommandée avec avis de réception ». L’absence de ce formalisme prive d’effet la réduction salariale.

Elle ajoute un attendu de principe limpide: « La réduction comme l’augmentation de la durée du travail constitue une modification du contrat de travail que l’employeur ne pouvait pas imposer au salarié ». Il en résulte l’obligation corrélative de rémunérer sur la base contractuelle de trente-neuf heures, indépendamment de l’activité réellement fournie certains mois.

Sur les conséquences, la cour chiffrée un rappel de salaire dans la limite temporelle retenue, tout en réparant un préjudice moral distinct causé par l’exécution déloyale. La persistance de l’ambiguïté après 2019 et l’avantage indu tiré d’un aménagement présenté comme provisoire caractérisent la déloyauté. La condamnation accessoire fondée sur l’article 700 du code de procédure civile est confirmée dans une appréciation mesurée des frais irrépétibles.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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