Cour d’appel de Bordeaux, le 4 septembre 2025, n°23/01405

Par un arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux du 4 septembre 2025, la formation sociale a tranché un contentieux de redressement pour travail dissimulé. Un contrôle du 17 mars 2017, réalisé dans deux établissements, a conduit à une lettre d’observations du 7 juillet 2017, puis à une mise en demeure du 11 octobre 2017. Le montant réclamé s’élevait à 133 608 euros, comprenant cotisations, majoration complémentaire pour travail dissimulé et majorations de retard, au titre des années 2016 et 2017. La commission de recours amiable a confirmé la position de l’organisme, et le pôle social a validé intégralement le redressement par jugement du 28 février 2023. L’employeur a interjeté appel en contestant la régularité du contrôle, la qualification de dissimulation d’emploi salarié et l’évaluation forfaitaire des assiettes. L’organisme de recouvrement a demandé la confirmation, avec ajustements chiffrés, sur la base d’omissions de déclarations préalables à l’embauche, d’absence de bulletins de paie et d’exploitation d’un établissement non déclaré. La question posée portait, d’une part, sur les garanties procédurales applicables aux contrôles orientés vers la lutte contre le travail illégal, et, d’autre part, sur la caractérisation et les effets de la dissimulation d’emploi. La cour a validé la procédure, a retenu plusieurs hypothèses de dissimulation, a admis un cas d’entraide amicale, puis a révisé l’assiette et les majorations en conséquence.

I. La régularité d’un contrôle orienté vers la lutte contre le travail dissimulé

A. Exclusion de l’avis de contrôle et de la charte du cotisant

La cour rappele la spécificité des contrôles finalisés vers la recherche d’infractions. Elle juge que « les dispositions de l’article R.243-59 ne sont pas applicables aux opérations ayant pour objet la recherche et la constatation d’infractions constitutives de travail illégal, engagées sur le fondement des art. L. 8271-1 et suivants du code du travail ». En l’absence d’extension du contrôle à d’autres points de la réglementation, l’envoi d’un avis préalable et la remise de la charte ne s’imposaient pas.

Cette solution s’inscrit dans une conception finaliste du régime du contrôle. L’obligation d’avis constitue une garantie substantielle, mais elle cède lorsque le contrôle est exclusivement dédié au travail illégal. La cour en déduit que « le contrôle n’avait pas à être précédé de l’envoi d’un avis ni accompagné de la remise de la charte du cotisant contrôlé ». La distinction entre contrôle de droit commun et contrôle de lutte contre le travail dissimulé est ainsi réaffirmée, avec une exigence de circonscription de l’objet initial.

B. Audition libre et lettre d’observations : garanties suffisantes

S’agissant des auditions, la cour vérifie le respect du consentement informé. Elle constate, au vu du procès-verbal, que « l’employeur a été entendu avec son consentement et qu’il s’est expliqué après avoir été informé de l’objet de l’audition, singulièrement l’infraction de travail dissimulé ». Le cadre de l’article L. 8271-6-1 du code du travail est correctement mobilisé, la liberté de quitter les lieux et l’information sur la qualification étant rappelées.

La lettre d’observations demeure une formalité substantielle, mais son envoi n’est pas enfermé dans un délai légal. La cour souligne que « Il s’agit d’une formalité substantielle qui n’est toutefois soumise à aucun délai ». Cette précision confirme que l’exigence porte sur le contenu et la contradiction, non sur un terme bref, dès lors que le cotisant peut présenter ses observations. L’économie générale du dispositif de lutte contre le travail illégal est donc respectée, sans affaiblir les droits de la défense.

II. La caractérisation du travail dissimulé et la détermination des bases et majorations

A. Indices matériels et intentionnels, et l’exception d’entraide amicale

La décision réaffirme que la dissimulation d’emploi résulte, notamment, de l’omission ou de la tardiveté de la déclaration préalable à l’embauche. La cour énonce que « L’emploi de salariés, dont la déclaration à l’embauche est intervenue postérieurement à l’entrée en fonctions, est constitutif du délit de travail dissimulé ». Elle retient aussi des indices complémentaires, tels que l’absence de bulletins de paie et l’utilisation d’un établissement non déclaré. Elle précise que « L’absence de remise de bulletin de salaire à un salarié et l’emploi d’un salarié dans un établissement non déclaré sont constitutfs du délit de travail dissimulé ». La combinaison de ces éléments objectifs révèle l’intentionnalité requise par les textes, sans qu’il soit nécessaire d’établir un dol distinct.

La cour opère toutefois un contrôle exigeant sur la notion d’entraide amicale, et en borne l’usage. Elle rappelle sa définition normative : « L’entraide amicale se caractérise par une aide ou assistance apportée à une personne proche de manière occasionnelle et spontanée en dehors de toute rémunération et de toute contrainte ». Au regard des circonstances constatées, elle écarte la qualification de salariat pour la personne ponctuellement présente en caisse, faute d’indices durables de subordination, d’horaires imposés ou de rémunération. L’annulation partielle du redressement sur ce seul point illustre une approche factuelle, respectueuse de la frontière entre solidarité de voisinage et travail salarié dissimulé.

B. Évaluation forfaitaire et majorations : rigueur probatoire et impact financier

En matière d’assiette, le texte de référence est appliqué sans dévier. La cour cite que « les rémunérations versées ou dues à un salarié en contrepartie d’un travail dissimulé sont, à défaut de preuve contraire en termes de durée effective d’emploi et de rémunération versée, évaluées forfaitairement ». Elle ajoute que « Pour faire obstacle à l’application de l’évaluation forfaitaire de la rémunération servant de base au calcul du redressement, l’employeur doit apporter la preuve pendant les opérations de contrôle de la durée réelle d’emploi du travailleur dissimulé et du montant exact de la rémunération versée à ce dernier pendant cette période ». La charge et le moment de la preuve sont ainsi fermement posés : les pièces doivent être produites au stade du contrôle, non ultérieurement.

La cour constate l’absence de documents versés en temps utile pour plusieurs personnes, et en tire les conséquences. Elle décide que « Il s’en déduit que la société n’a pas produit lors des opérations de contrôle les éléments nécessaires pour faire obstacle à l’application de l’évaluation forfaitaire de la rémunération servant de base au calcul du redressement ». Cette rigueur probatoire, déjà classique, incite les employeurs à une tenue documentaire stricte et à une coopération loyale pendant les opérations. Elle limite, en outre, les discussions ex post sur la durée et le quantum des rémunérations.

Enfin, le traitement des majorations s’aligne sur les textes combinés. La cour retient que « la majoration de redressement complémentaire s’établit à 40 % du montant des cotisations et contributions sociales ». L’ampleur financière du redressement se comprend alors par l’accumulation des sanctions spécifiques au travail dissimulé, outre les majorations de retard. La réduction opérée pour tenir compte de l’entraide amicale, avec validation de la mise en demeure à 126 816 euros et condamnation à 106 544,26 euros, manifeste une proportionnalité raisonnable. Elle traduit une double exigence : neutraliser la dissimulation objectivement caractérisée et ne pas faire entrer, par surqualification, des situations d’aide ponctuelle dans le champ du salariat.

L’arrêt commente donc, avec constance, le régime procédural des contrôles ciblés, et précise, sur le fond, les indices opérants de dissimulation d’emploi. Il réaffirme la portée de l’évaluation forfaitaire quand la preuve n’est pas fournie à temps, tout en ménageant l’exception d’entraide lorsque ses critères sont strictement réunis. Cette articulation contribue à la sécurité juridique des contrôles et à la cohérence des redressements, en conjuguant fermeté et mesure.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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