Cour d’appel de Bordeaux, le 8 juillet 2025, n°23/00129

Par un arrêt du 8 juillet 2025, la Cour d’appel de Bordeaux statue au fond sur un litige successoral mêlant rapport d’une donation, exécution de legs et prescription de l’action en réduction. La défunte laisse un enfant et des petits-enfants venant par représentation. Deux testaments olographes, en 1977 et 2006, organisent au profit de l’un des héritiers des attributions portant sur trois immeubles. Une donation d’un immeuble avait été consentie en 1977, revendue en 1985, puis suivie d’une acquisition en 1987 dont certains héritiers invoquent la subrogation réelle pour majorer le montant du rapport. Saisi d’une assignation en partage, un jugement de 2017 ordonne les opérations, rejette l’annulation du testament de 2006 et renvoie chez notaire. Par jugement de 2021, le tribunal judiciaire fixe le rapport à la valeur du prix de vente, ordonne l’exécution des legs et déclare prescrite l’action en réduction. Les héritiers réservataires interjettent appel, contestant la valeur du rapport par la subrogation alléguée et la prescription, tandis que l’héritier légataire sollicite divers comptes. La cour confirme l’absence de subrogation, retient l’exécution des legs hors part, mais infirme sur la prescription en déclarant recevable l’action en réduction, tout en statuant sur les comptes croisés.

I. Le rapport de la donation et le statut des legs

A. Subrogation réelle et charge de la preuve

Le débat porte sur l’application de l’article 860 du code civil lorsque le bien donné a été aliéné puis que le donataire a acquis un autre bien dans un délai rapproché. La cour réaffirme que « il appartenait à l’héritier qui allègue d’une subrogation de l’établir » et constate l’insuffisance des éléments versés. Deux années séparent la vente et l’acquisition, aucune clause de remploi n’est stipulée, l’acte d’achat mentionne un apport commun et la valeur des biens diffère notablement. La preuve d’un lien direct et certain entre le prix de vente et l’apport personnel fait défaut, comme l’énonce la motivation selon laquelle « les appelants n’apportent pas davantage d’éléments permettant de démontrer la réalité de la subrogation ». Dans ces conditions, l’évaluation du rapport s’effectue sur la valeur du bien aliéné, déterminée au prix de cession, minoré des frais nécessaires, solution confirmée « de ce chef ».

Cette solution est conforme à la logique de l’article 860, qui réserve la prise en compte du bien subrogé à la démonstration d’une affectation directe des fonds issus de l’aliénation. Elle évite une extension incertaine de la subrogation par de simples proximités temporelles ou des raisonnements présomptifs. Elle rappelle aux ayants droit l’utilité pratique des clauses de remploi et de la traçabilité financière dans les opérations familiales.

B. Legs hors part et absence de rapport

La cour retient ensuite le principe, non discuté en appel, de l’exécution des legs à titre particulier issus des testaments de 1977 et 2006. Elle précise que, « faute de mention contraire dans les testaments, ces legs sont réputés faits hors part successorale, conformément aux dispositions de l’article 843 alinéa 2 du code civil, donc non rapportables ». Le légataire devient propriétaire des biens légués dès le décès, de sorte qu’aucune indivision n’existe sur ces biens avec les autres héritiers. Il s’ensuit un régime de comptes distinct: les dépenses utiles engagées par des héritiers sur des biens légués ouvrent une créance contre le légataire, quand les frais supportés par ce dernier pour ces biens ne pèsent pas sur une indivision inexistante. Cette clarification du périmètre des comptes prépare l’examen du cœur du litige, centré sur la réduction des libéralités.

II. La prescription de l’action en réduction et son interruption

A. Inclusion virtuelle et portée interruptive de la demande en partage

La question principale tient à la prescription quinquennale de l’action en réduction, son point de départ et ses causes d’interruption. La cour rappelle que « [c]e délai de prescription est susceptible d’interruption et de suspension dans les conditions de droit commun, il peut notamment être interrompu par une demande en justice ». Elle vise la règle selon laquelle l’interruption « s’étend […] lorsque les deux actions, quoique ayant des causes distinctes, tendent à un seul et même but, de telle sorte que la seconde soit virtuellement comprise dans la première ». Dans la lignée de la jurisprudence, elle affirme que « la demande en réduction d’une libéralité excessive n’était soumise à aucun formalisme particulier » et « pouvait résulter de la demande visant à l’ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de la succession […] laquelle pouvait interrompre la prescription de l’action en réduction ».

S’appuyant sur les écritures déposées avant l’expiration du délai quinquennal, la cour en déduit que « l’action en partage contient implicitement l’action en réduction ». Les conclusions antérieures, consacrées au partage, à la validité du testament et aux rapports nécessaires à la reconstitution de la masse, « tendaient au même but que l’action en réduction du legs » et « doivent s’analyser en une volonté tacite de voir procéder à la réduction des libéralités portant atteinte à leur réserve ». La prescription se trouve donc valablement interrompue, rendant l’action recevable.

B. Appréciation critique et conséquences pratiques

La solution s’inscrit dans la jurisprudence de la première chambre civile et confirme la protection de la réserve par une lecture finaliste des demandes. En reconnaissant l’inclusion virtuelle de la réduction dans la demande de partage, la cour prévient des forclusions artificielles, lorsque les héritiers ont d’emblée contesté l’économie des libéralités et sollicité la reconstitution de la masse. Elle affine la cohérence procédurale en rattachant l’effet interruptif à l’unité de finalité poursuivie.

Cette orientation emporte cependant des exigences de rigueur. Les praticiens doivent veiller à formuler des écritures révélant sans ambiguïté le but de reconstituer la masse et de préserver la réserve, afin de sécuriser l’effet interruptif. Elle recommande au notaire commis de signaler clairement, dans les procès-verbaux de difficultés, l’incidence des libéralités sur la quotité disponible, pour informer utilement la stratégie des parties. Sur le terrain des effets, la recevabilité de l’action permet l’examen ultérieur de l’atteinte éventuelle, tandis que l’absence d’indivision sur les biens légués consolide la ventilation des comptes: les dépenses de conservation ouvrent une créance des héritiers contre le légataire, les frais funéraires étant répartis au prorata des droits. L’arrêt équilibre ainsi exigence de preuve en matière de subrogation et souplesse raisonnable dans l’identification de l’action en réduction.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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