- Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre) LinkedIn
- Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Facebook
- Cliquez pour partager sur WhatsApp(ouvre dans une nouvelle fenêtre) WhatsApp
- Cliquez pour partager sur Telegram(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Telegram
- Cliquez pour partager sur Threads(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Threads
- Cliquer pour partager sur X(ouvre dans une nouvelle fenêtre) X
- Cliquer pour imprimer(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Imprimer
La Cour d’appel de Bordeaux, chambre sociale, 9 septembre 2025, se prononce sur la validité d’un licenciement pour insuffisance professionnelle d’un cadre commercial expérimenté. La décision interroge le niveau de preuve exigé pour caractériser une inaptitude durable, ainsi que l’office du juge face à un échec isolé.
Le salarié, directeur du développement commercial depuis 2010, pilotait notamment des réponses à appels d’offres stratégiques. Un dossier déposé six secondes après l’heure limite, mal référencé sur la plateforme dédiée, n’a pas été admis par l’acheteur public, ce qui a suscité un reproche de négligence. L’employeur a ensuite notifié un licenciement pour cause réelle et sérieuse, en invoquant des « échecs commerciaux répétés » et une contribution qualifiée de marginale.
Saisi, le conseil de prud’hommes de Bordeaux, le 25 novembre 2022, a requalifié la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse et a alloué une indemnité. L’employeur a interjeté appel. En cause d’appel, les écritures tardives ont été écartées pour communication non utilement réalisée, la cour retenant les premières conclusions régulières des parties.
La question de droit portait sur la suffisance des éléments établissant une insuffisance professionnelle objective et durable, au regard d’un manquement ponctuel et de résultats discutés, en l’absence d’objectifs fixés et d’alertes antérieures. La cour confirme l’absence de cause réelle et sérieuse, réduit toutefois l’indemnité et précise les exigences probatoires qui incombent à l’employeur.
I. Le sens de la décision: preuve de l’insuffisance et contrôle du juge
A. Le standard applicable et la délimitation du litige
La cour rappelle que « Les motifs énoncés dans la lettre de licenciement fixent les termes du litige, et le juge apprécie le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur et forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties. » Cette affirmation recentre l’analyse sur les griefs précisément articulés, non sur des insuffisances diffuses ou implicites.
Elle précise le cadre probatoire en ces termes: « Si un doute persiste, il profite au salarié. » La règle gouverne l’appréciation des pièces en présence, particulièrement lorsque l’activité du salarié s’inscrit dans des cycles longs et collectifs.
La définition substantielle est clairement posée: « Par ailleurs, l’insuffisance professionnelle se définit comme l’incapacité objective et durable d’un salarié à exécuter de façon satisfaisante un emploi correspondant à sa qualification. » Et la caractérisation est poursuivie: « Elle se caractérise par une mauvaise qualité du travail, due soit à une incompétence professionnelle, soit à une inadaptation à l’emploi. » Le contrôle exige ainsi des griefs « suffisamment pertinents, matériellement vérifiables » et corrélés à une perturbation de l’entreprise.
B. L’application aux faits: contribution commerciale et échec isolé
Sur la contribution, la cour écarte l’allégation d’un apport marginal au développement. Elle retient la production de multiples dossiers et marchés significatifs sur la période, l’absence d’objectifs assignés, et l’absence d’alertes antérieures. Elle conclut nettement: « Par conséquent, la contribution marginale au développement commercial de la société alléguée par l’employeur n’est pas établie. »
Sur l’épisode du dépôt tardif, la cour admet la défaillance ponctuelle mais refuse d’en inférer une inaptitude structurelle. Elle juge que « Il ne peut être tiré de cette unique défaillance dans l’exécution de ses fonctions une incapacité générale et durable à appréhender les enjeux stratégiques d’un marché ni des échecs commerciaux répétés, comme allégué par l’employeur à l’appui du licenciement. » La preuve d’une insuffisance professionnelle durable n’est donc pas rapportée.
II. Valeur et portée: exigences d’objectivation et calibrage de la réparation
A. Les enseignements probatoires pour la gestion des performances
La décision souligne la nécessité d’objectiver les attentes et d’en tracer l’exécution. En l’absence d’objectifs, d’entretiens réguliers et d’alertes circonstanciées, l’argument d’un pilotage insuffisant demeure fragile. La cour exige des griefs « suffisamment pertinents, matériellement vérifiables et [qui] perturb[ent] la bonne marche de l’entreprise ou [soient] préjudiciables aux intérêts de celle-ci. » L’échec ponctuel, même coûteux, ne vaut pas preuve d’inaptitude lorsque la trajectoire professionnelle atteste par ailleurs des contributions identifiables.
La délimitation par la lettre de licenciement commande une précision accrue dans l’énoncé des reproches. Un décalage entre fonctions réellement confiées, moyens alloués et reproches ultérieurs, non documenté en temps utile, affaiblit la justification de la rupture. L’arrêt incite à une discipline managériale de la preuve, avant toute décision de licenciement.
B. La réparation sous barème et la rigueur procédurale
Sur la réparation, la cour applique l’article L. 1235-3 du code du travail, retient l’ancienneté, l’âge, le salaire de référence et la durée du chômage. Elle énonce: « La cour est en mesure de lui allouer la somme de 45 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. » L’ajustement à un niveau intermédiaire du barème reflète une mise en balance pragmatique des éléments du dossier.
La décision confirme en outre le remboursement partiel des allocations à l’organisme compétent, conformément à l’article L. 1235-4, et consacre une rigueur procédurale accrue. Les écritures tardives ont été déclarées irrecevables pour défaut de communication en temps utile, ce qui sécurise l’égalité des armes et éclaire l’office de la cour dans la conduite loyale de l’instance.
Dans l’ensemble, l’arrêt articule un contrôle attentif: la preuve d’une insuffisance professionnelle exige des éléments concrets, répétés et durables, tandis qu’un manquement unique, non précédé d’objectifs ni d’alertes, ne suffit pas à fonder une rupture. L’indemnisation est corrélée aux données personnelles et économiques, dans le cadre contraint du barème.