- Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre) LinkedIn
- Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Facebook
- Cliquez pour partager sur WhatsApp(ouvre dans une nouvelle fenêtre) WhatsApp
- Cliquez pour partager sur Telegram(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Telegram
- Cliquez pour partager sur Threads(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Threads
- Cliquer pour partager sur X(ouvre dans une nouvelle fenêtre) X
- Cliquer pour imprimer(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Imprimer
La Cour d’appel de Bordeaux, chambre sociale, a rendu le 9 septembre 2025 un arrêt au fond opposant une salariée comptable à son employeur agricole. Le litige naît d’un contrat à temps partiel à horaires variables, d’une mise en activité partielle durant la période sanitaire, puis d’un licenciement disciplinaire pour faute grave immédiatement après la reprise. La salariée sollicitait la requalification de son contrat en temps complet, des rappels de salaires, des indemnités de rupture et la reconnaissance de l’absence de cause réelle et sérieuse.
Les faits utiles tiennent à la fixation d’une durée annuelle de 1 107 heures dans un cadre conventionnel prévoyant la variation de l’horaire, à l’absence alléguée de programme indicatif annuel et de respect du délai de prévenance, et à des semaines pouvant atteindre 34 heures. Après un premier rejet par le conseil de prud’hommes de Libourne le 8 décembre 2022, la salariée a interjeté appel, sollicitant infirmation, requalification et indemnisation, tandis que l’employeur demandait confirmation et, subsidiairement, une limitation des indemnités.
La question tranchée portait sur deux points centraux. D’abord, les conditions de prévisibilité du temps partiel et les exigences probatoires de l’employeur permettant d’éviter la « mise à disposition permanente » du salarié. Ensuite, la qualification des manquements invoqués au regard de la frontière entre insuffisance professionnelle et faute disciplinaire ouvrant la voie à un licenciement pour faute grave. La cour requalifie le contrat en temps complet, accorde les rappels afférents, retient un manquement à l’obligation de sécurité limité aux pauses, et juge le licenciement sans cause réelle et sérieuse sous barémisation légale. Elle énonce notamment: « Il en résulte que le contrat de travail à temps partiel doit être requalifié en contrat à temps complet » ; puis, s’agissant du licenciement, « Par ailleurs, sauf mauvaise volonté délibérée, l’insuffisance professionnelle ne présente pas un caractère fautif et partant ne peut justifier un licenciement disciplinaire » et « Son licenciement est en conséquence sans cause réelle et sérieuse, contrairement à ce qu’a jugé le conseil de prud’hommes ».
I. Les exigences de prévisibilité du temps partiel et la requalification
A. Le cadre conventionnel mobilisé et l’exigence de traçabilité des horaires
L’arrêt s’appuie sur le dispositif propre aux exploitations agricoles, articulant la convention collective girondine et l’accord national du 23 décembre 1981. Ce dernier impose un programme indicatif annuel et un délai de prévenance minimal de sept jours, sauf circonstances exceptionnelles. La cour retient, après examen des pointages et des pièces, l’absence de communication régulière des horaires et du programme indicatif. Elle affirme: « L’employeur ne justifie ni avoir communiqué à la salariée le programme indicatif annuel de la répartition de la durée du travail, ni l’ avoir informée au moins 7 jours à l’avance de la modification de ses horaires de travail. »
Une telle carence probatoire résonne avec une ligne jurisprudentielle constante, qui sanctionne l’imprévisibilité structurelle des horaires à temps partiel. La clé ne se limite pas à l’écriture contractuelle, mais tient à la preuve d’une organisation concrète et stable, prévenant la mise à disposition permanente. Le choix d’ancrer la solution dans les stipulations conventionnelles sectorielles renforce la prévisibilité attendue dans un milieu soumis à des variations saisonnières, tout en maintenant des garde-fous quant à la notification des changements.
B. L’appréciation in concreto de l’imprévisibilité et ses effets pécuniaires
La cour constate des semaines de 34 heures et des alternances matin/après-midi sans prévenance. Dans ces conditions, l’imprévisibilité ne procède pas d’aléas ponctuels mais d’un fonctionnement habituel, incompatible avec le temps partiel légalement encadré. Elle en déduit la requalification en temps complet, posée en des termes nets: « Il en résulte que le contrat de travail à temps partiel doit être requalifié en contrat à temps complet. » Les conséquences indemnitaires suivent mécaniquement, avec un rappel de salaire significatif et l’indemnité de congés payés afférente.
L’arrêt illustre aussi une vigilance sur les congés imposés a posteriori en période d’activité partielle, la mise en congés d’office sept mois après la période litigieuse étant écartée faute de justification. La solution manifeste une cohérence d’ensemble: la prévisibilité attendue irrigue la durée du travail comme la gestion des repos, dans le respect cumulatif des régimes de droit commun et des règles spéciales de l’activité partielle. L’économie générale s’inscrit dans une jurisprudence attentive à la charge de la preuve pesant sur l’employeur en matière de temps partiel variable.
II. La qualification des manquements et les effets de la censure du licenciement
A. De l’insuffisance professionnelle à l’absence de faute disciplinaire
Les griefs articulés par l’employeur tiennent pour l’essentiel à des retards, erreurs et désordres allégués dans l’exécution des tâches comptables, notamment durant la période de reprise. La cour replace ces éléments dans le contexte des difficultés antérieures, de l’allègement des missions puis de l’absence prolongée liée à la crise sanitaire. Elle rappelle le principe directeur: « Par ailleurs, sauf mauvaise volonté délibérée, l’insuffisance professionnelle ne présente pas un caractère fautif et partant ne peut justifier un licenciement disciplinaire. »
L’analyse écarte l’insubordination, les propos n’excédant pas la liberté d’expression au sein de l’entreprise dès lors qu’ils portent, certes vivement, sur les conditions de travail et ne sont pas injurieux. Le grief lié au protocole sanitaire, isolé et immédiatement corrigé, demeure insuffisant. La conclusion s’impose donc, sans artifice: « Son licenciement est en conséquence sans cause réelle et sérieuse, contrairement à ce qu’a jugé le conseil de prud’hommes. » Cette solution s’inscrit dans une ligne protectrice, distinguant nettement le terrain disciplinaire du terrain de l’inaptitude professionnelle, qui appelle, le cas échéant, d’autres voies.
Dans le même mouvement, la cour identifie un manquement circonscrit à l’obligation de sécurité sur les pauses, et en fixe la réparation. Elle rappelle le principe probatoire, en des termes précis: « La charge de la preuve du respect du temps de pause incombe à l’employeur, et le seul constat du non-respect du temps de pause quotidien ouvre droit à réparation. » La sanction pécuniaire demeure mesurée, traduisant une approche proportionnée aux occurrences relevées.
B. L’ordonnancement des réparations et l’adhésion au barème légal
La censure du licenciement déclenche l’ensemble des conséquences induites: rappel de salaire pour la mise à pied conservatoire injustifiée, indemnité compensatrice de préavis, indemnité légale de licenciement, puis dommages-intérêts pour l’absence de cause réelle et sérieuse dans les bornes de l’article L. 1235-3 du code du travail. La cour confirme la compatibilité du barème avec les exigences internationales, en posant que « Les dispositions des articles précités sont ainsi de nature à permettre le versement d’une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT. »
L’évaluation, dans une petite entreprise et pour une ancienneté d’un an, retient un quantum maximal de deux mois, justifié par l’ensemble des éléments concrets relatifs à la situation du salarié. Cette motivation claire s’aligne sur les positions désormais stabilisées, conférant sécurité juridique et prévisibilité aux acteurs. Le rejet de la demande pour procédure vexatoire rappelle enfin que la seule notification d’une mise à pied conservatoire ne suffit pas, à elle seule, à caractériser des circonstances humiliantes. L’arrêt compose ainsi un ensemble cohérent, articulant une exigence de prévisibilité du temps partiel, une rigueur probatoire en matière disciplinaire, et une réparation calibrée par le droit positif.