Cour d’appel de Bordeaux, le 9 septembre 2025, n°23/00638

Par un arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux du 9 septembre 2025, la chambre sociale confirme un licenciement pour faute grave visant une salariée d’encadrement. Le litige porte sur des manipulations du chiffre d’affaires destinées à majorer des primes variables, et sur la régularité de la procédure disciplinaire.

La salariée, engagée en CDI puis promue à des fonctions d’encadrement, percevait une rémunération comprenant une part variable liée au chiffre d’affaires individuel. La lettre de rupture énonce notamment: « Nous ne pouvons accepter une telle situation frauduleuse, nuisible à la société. Au regard des faits de détournement qui constituent indiscutablement un manquement intolérable à vos obligations contractuelles, votre maintien dans l’entreprise est impossible. Aussi, nous vous confirmons que nous devons cesser notre collaboration et vous licencions pour faute grave ».

Après un rejet devant la juridiction prud’homale, l’appelante sollicite la requalification du licenciement, l’octroi des indemnités afférentes et des dommages-intérêts pour circonstances vexatoires. L’employeur conclut à la confirmation pour faute grave, conteste toute double sanction, nie un licenciement verbal et invoque l’altération fautive des données de chiffre d’affaires.

La cour tranche plusieurs points: l’épuisement du pouvoir disciplinaire, la régularité de la procédure, puis la qualification des faits de manipulation comme faute grave. Elle rappelle d’abord que « L’employeur ayant choisi de se placer sur le terrain d’un licenciement pour faute grave doit rapporter la preuve des faits allégués et démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien de la salariée au sein de l’entreprise ».

I. Régularité disciplinaire et procédurale

A. Épuisement du pouvoir disciplinaire

Sur la prétendue double sanction, la cour retient que de simples observations orales ne constituent pas une mesure disciplinaire consommant le pouvoir de l’employeur. Elle énonce sans ambiguïté: « L’employeur épuise son pouvoir disciplinaire à la date à laquelle il l’exerce. »

La preuve d’un avertissement préalable n’étant pas rapportée, le moyen tiré de la purge du pouvoir disciplinaire échoue, conformément à une jurisprudence désormais constante. La solution protège la cohérence de l’échelle des sanctions et évite l’irresponsabilité disciplinaire née d’allégations non démontrées.

B. Absence de licenciement verbal et respect de l’article L. 1232-2

La régularité de la procédure est ensuite examinée sous l’angle d’un hypothétique licenciement verbal consécutif à la remise des clefs avant l’entretien préalable. La cour rappelle le cadre légal: « L’article L. 1232-2 du code du travail dispose que l’employeur qui envisage de licencier un salarié le convoque, avant toute décision, à un entretien préalable. »

La notion de licenciement verbal est précisément circonscrite par la décision, qui rappelle que la remise des clefs ne suffit pas en soi sans empêchement de travailler. La cour constate l’absence d’empêchement d’exécuter le travail et l’absence d’engagement d’un remplaçant avant la rupture, de sorte que l’irrégularité alléguée est écartée. Une fois la procédure validée, reste la qualification des faits.

II. Faute grave et conséquences

A. Atteinte à l’obligation de loyauté par manipulation du chiffre

Le mécanisme de rémunération variable supposait un suivi individualisé du chiffre par identifiant unique sur le terminal de commande. La cour retient expressément: « Le chiffre d’affaires s’établit à partir du PAD (outil de commande) à la disposition de chaque serveur sur lequel il doit renseigner son identifiant personnel dont il est le seul à disposer, afin de générer son chiffre d’affaires. »

Les enregistrements opérés au nom de collègues absents altéraient la répartition des primes et, corrélativement, gonflaient la base de calcul de la prime encadrante. La qualification est nette: « En considération de ces éléments, les faits reprochés à la salariée consistant à prendre des commandes au nom de salariés absents afin de générer pour leur compte un chiffre d’affaires et consécutivement, une prime à son bénéfice sur le chiffre d’affaires global des serveurs, sont contraires à l’obligation générale de loyauté devant présider à toute relation contractuelle de travail et caractérisent une faute grave. »

L’argument d’équité invoqué, fondé sur la répartition supposée des tâches, ne peut justifier une redistribution unilatérale d’éléments de rémunération relevant du seul pouvoir de l’employeur. La cour relève d’ailleurs une concentration anormale des bénéfices de la manœuvre sur quelques agents, ce qui ruine la thèse d’une compensation générale.

B. Proportionnalité de la sanction et rejets indemnitaires

Le contrôle juridictionnel s’exerce aussi par l’épreuve de proportionnalité. La décision le formule clairement: « l’examen de proportionnalité auquel doit se livrer le juge conduit à retenir au vu des considérations qui précédent, que ce licenciement pour faute grave est justifié, rendant impossible le maintien […] dans l’entreprise. »

Le rejet des demandes indemnitaires en découle, y compris celles relatives au préavis et à l’indemnité de licenciement, exclus par la faute grave. La demande pour circonstances vexatoires est également écartée, la preuve d’un traitement humiliant ou public n’étant pas rapportée au-delà de la décision disciplinaire elle-même.

L’arrêt conforte ainsi la valeur préventive de l’obligation de loyauté dans la gestion des dispositifs de rémunération variables en contexte d’organisation contrainte. Sa portée pratique tient à l’affirmation nette que l’intégrité des identifiants de facturation conditionne la confiance, et tolère mal des arrangements autonomes.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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