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Cour d’appel de Bordeaux, 9 septembre 2025, chambre sociale, section A. Un salarié engagé en 2017 comme technicien d’isolation a été licencié pour faute lourde le 24 octobre 2019, après accident du travail survenu le 2 octobre. L’employeur imputait au salarié un vol de matériaux, prétendument utilisé sur un chantier non déclaré, et a convoqué un entretien préalable le 11 octobre. À la date de la rupture, l’ancienneté atteignait deux ans et un mois.
Après un jugement du 23 décembre 2022 du conseil de prud’hommes de Bordeaux retenant la faute lourde, le salarié a relevé appel le 8 février 2023. En appel, les écritures et pièces de l’employeur du 23 août 2023 ont été déclarées irrecevables sur le fondement de l’article 909 du code de procédure civile. L’ordonnance de clôture est intervenue le 9 mai 2025, et l’audience s’est tenue le 26 mai 2025.
Le salarié demandait l’annulation pour discrimination fondée sur l’état de santé, subsidiairement l’absence de cause réelle et sérieuse avec les indemnités afférentes. L’employeur sollicitait la confirmation, en visant la faute grave à titre principal dans ses écritures irrecevables. La question tenait à la preuve de la discrimination alléguée, à la célérité de la procédure disciplinaire, à l’existence d’un licenciement verbal, puis à la caractérisation d’une faute lourde ou, à défaut, aux conséquences indemnitaires.
La cour écarte la discrimination et retient un délai disciplinaire non excessif au regard de l’arrêt de travail. Elle rejette le grief de licenciement verbal. Surtout, en l’absence de pièces recevables établissant les faits, elle juge le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et alloue une indemnité modeste au titre du barème, ainsi que le préavis, les congés payés afférents et l’indemnité légale de licenciement.
I. Le rejet des griefs de discrimination et l’appréciation de la célérité procédurale
A. L’insuffisance de la concomitance des dates au regard de la preuve aménagée
La cour rappelle le régime probatoire en matière de discrimination, en ces termes: « Ainsi, il appartient au salarié qui se prétend lésé par une mesure discriminatoire de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une atteinte au principe d’égalité de traitement et il incombe à l’employeur qui en conteste le caractère discriminatoire d’établir que la disparité de situation constatée est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. » Ce rappel recentre le débat sur l’existence d’indices précis et concordants.
L’espèce ne révélait qu’un enchaînement rapide entre l’arrêt de travail et l’engagement de la procédure, sans autre élément corroborant. La cour le formule nettement: « Cependant, cette seule temporalité qui n’est étayée par aucune autre pièce est insuffisante pour constituer un élément laissant supposer l’existence d’une discrimination. » La solution s’inscrit dans une ligne constante, attentive à la réalité des éléments de comparaison ou de traitement différencié.
La portée de la motivation est double. Elle préserve l’office du juge dans l’examen global des éléments et évite l’assimilation trop rapide entre accident du travail et mobile discriminatoire. Elle confirme que la protection contre la discrimination requiert, au stade de l’allégement probatoire, des indices factuels qui dépassent la proximité temporelle entre l’événement pathologique et la mesure disciplinaire envisagée.
B. Le « bref délai » disciplinaire apprécié in concreto en présence d’un arrêt maladie
La procédure avait été engagée vingt-cinq jours après les faits allégués et neuf jours après la mise en arrêt. La cour articule prescription et célérité, en rappelant que « la faute grave étant celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, la mise en ‘uvre de la rupture du contrat de travail doit intervenir dans un délai restreint après que l’employeur a eu connaissance des faits allégués dès lors qu’aucune vérification n’est nécessaire ». Le principe de diligence se conjugue avec la possibilité de vérifications utiles.
Elle ajoute, dans la continuité de la jurisprudence, que « L’appréciation du délai restreint pour engager la procédure de licenciement pour faute grave ou lourde relève du pouvoir souverain des juges du fond ». Ici, l’arrêt de travail atténuait l’urgence de la convocation et justifiait l’écart mesuré entre les faits et l’initiative disciplinaire. La solution demeure cohérente avec l’exigence de proportionner la diligence aux circonstances objectives.
Ce faisant, la cour évite de figer un quantum calendaire abstrait et privilégie une appréciation contextualisée. La combinaison du délai légal de l’article L.1332-4 du code du travail et du bref délai jurisprudentiel conduit à admettre, dans une telle configuration, un laps de temps non excessif pour diligenter l’entretien préalable.
II. L’échec de la preuve de la faute lourde et les suites indemnitaires
A. Le rejet du licenciement verbal, la définition de la faute lourde et la charge probatoire
Le salarié invoquait un licenciement verbal au regard d’une formule malheureuse de la lettre. La cour rappelle l’interdit de toute régularisation postérieure: « L’employeur ne peut régulariser ce licenciement verbal par l’envoi postérieur d’une lettre de licenciement (Cass. soc., 9 mars 2011, nº 09-65.441 ; Cass. soc., 10 janv. 2017, nº 15-13.007). » Elle souligne que la preuve du licenciement verbal incombe au salarié, preuve qui faisait défaut en l’espèce.
S’agissant du fond du grief disciplinaire, l’arrêt rappelle la nature intentionnelle exigée: « La faute lourde, qui constitue une faute intentionnelle, est caractérisée par l’intention de nuire à l’employeur, laquelle implique la volonté du salarié de lui porter préjudice dans la commission du fait fautif et ne résulte pas de la seule commission d’un acte préjudiciable à l’entreprise. » La qualification requiert donc des éléments positifs établissant l’intention de nuire.
Or, les écritures et pièces de l’employeur produites en appel ayant été déclarées irrecevables, la cour ne disposait d’aucun support probatoire propre à étayer les faits allégués. La motivation relève, en outre, l’insuffisance des mentions du premier juge, qui se contentait de viser des pièces sans en rapporter le contenu utile. L’absence de plainte pénale, sans être décisive, achève de souligner la fragilité du dossier disciplinaire.
B. Les conséquences d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse sous barème
La requalification emporte l’application du barème légal. La cour cite la règle en des termes généraux: « Selon l’article L.1235-3 du code du travail, si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux. » L’indemnité est ici fixée à un niveau proche du plancher, au regard des données personnelles et professionnelles retenues.
La reconnaissance d’une absence de cause réelle et sérieuse rétablit également les accessoires du salaire sur la période de préavis et l’indemnité légale de licenciement. La cour accorde l’indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents, ainsi que l’indemnité de licenciement, en l’absence de toute cause d’exclusion liée à une faute grave ou lourde. La cohérence de l’ensemble renforce la lisibilité de la solution.
Enfin, la répartition des dépens par moitié et le rejet des demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile traduisent une appréciation équilibrée des succès respectifs. La motivation illustre la portée décisive des règles de recevabilité en appel et la rigueur probatoire requise pour établir une faute lourde, surtout lorsqu’elle implique l’intention de nuire. L’arrêt confirme ainsi une ligne de prudence, résolument centrée sur la preuve.