Cour d’appel de Bordeaux, le 9 septembre 2025, n°23/01048

Par un arrêt rendu par la Cour d’appel de Bordeaux le 9 septembre 2025, la chambre sociale statue sur la légitimité d’un licenciement prononcé pour faute grave à l’encontre d’un salarié manutentionnaire. Le litige oppose un salarié en contrat à temps partiel, engagé après plusieurs CDD, à son employeur relevant de la convention collective de la récupération. Il s’inscrit dans un contexte de tensions accrues relatives au respect des consignes de sécurité et à des comportements menaçants.

Les faits décisifs tiennent à un incident survenu le 28 février 2020, lors duquel le salarié, interpellé au sujet d’une interdiction de circuler sur site durant la pause méridienne, aurait proféré des menaces. La cour reproduit les propos retenus dans la lettre de rupture : « tu me parles pas, je vais te taillader et te couper la gorge, on va régler ça de suite, les gens comme toi je les mange. » L’employeur avait immédiatement prononcé une mise à pied conservatoire, puis notifié un licenciement pour faute grave.

Saisi près d’un an plus tard, le conseil de prud’hommes a reconnu une cause réelle et sérieuse et rejeté les demandes indemnitaires du salarié. En appel, celui-ci conteste la matérialité des griefs et la fiabilité des témoignages, en raison notamment de liens de subordination et de proximité familiale, et invoque l’absence de sanction antérieure. L’employeur sollicite la confirmation du débouté, en soutenant la qualification de faute grave.

La question de droit porte sur le point de savoir si les faits de non-respect des consignes de sécurité, d’agressivité et, surtout, de menaces graves, sont établis par des éléments probants et constituent une faute grave rendant impossible le maintien dans l’entreprise. La cour rappelle le standard applicable, en ces termes particulièrement précis : « L’employeur ayant choisi de se placer sur le terrain d’un licenciement pour faute grave doit rapporter la preuve des faits allégués et démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié au sein de l’entreprise. »

Appliquant ce cadre, la cour valide l’appréciation de la situation, retient la matérialité des menaces et tranche en faveur de la faute grave. Elle souligne que « le grief sera en conséquence considéré comme établi étant observé que l’appelant ne peut utilement reprocher à la société de ne pas l’avoir sanctionné auparavant pour justifier son comportement. » Elle estime enfin que « les fait reprochés dans la lettre de licenciement au sujet de l’altercation survenue le 28 février 2020 sont établis, étant relevé qu’ils présentent à eux seuls un caractère de gravité suffisante à justifier le licenciement à effet immédiat du salarié. » L’arrêt confirme le débouté des demandes indemnitaires et précise la qualification retenue, plus sévère que celle retenue en première instance.

I. Qualification de la faute grave et méthode probatoire

A. L’exigence d’impossibilité de maintien et la charge de la preuve
Le cœur de la motivation rappelle avec netteté la définition opératoire de la faute grave. La cour ancre son contrôle sur l’impossibilité objective de maintenir le salarié, appréciée à l’aune d’obligations contractuelles essentielles. La formule citée, qui concentre la jurisprudence bien établie, fixe le double axe probatoire et qualificatif, en exigeant la démonstration de faits certains et d’une gravité intrinsèque.

Cette grille de lecture commande l’examen des menaces verbales et du contexte disciplinaire. La cour isole les propos menaçants et leurs circonstances, et observe leur capacité à rompre immédiatement la confiance. Elle reprend, au surplus, l’énoncé figurant dans la lettre de licenciement, selon lequel « Cette agression verbale suivie de menaces de mort et un début d’agression physique caractérisent incontestablement la faute grave. » Si cette dernière phrase émane de l’employeur, la cour la met en perspective et en valide l’économie en retenant l’impossibilité de maintien.

B. L’appréciation souveraine des témoignages et des indices concordants
La critique tenant au lien de subordination des témoins est écartée au profit d’une appréciation concrète de leur crédibilité. La motivation souligne que le caractère probant de tels témoignages ne peut être disqualifié pour ce seul motif, dès lors qu’ils sont précis, concordants et corroborés. La cour retient ainsi des attestations décrivant des comportements difficiles, des menaces réitérées et des violations des consignes de sécurité.

Elle neutralise, en miroir, les éléments fragiles du dossier adverse. L’attestation litigieuse, non signée et affectée de mentions ultérieures douteuses, ne renverse pas l’ensemble probatoire. Le grief d’absence de sanctions antérieures est pareillement récusé, la cour énonçant sans ambages que « l’appelant ne peut utilement reprocher à la société de ne pas l’avoir sanctionné auparavant pour justifier son comportement. » L’argument de tolérance se brise ainsi sur la gravité intrinsèque des menaces.

II. Valeur et portée de la solution

A. Une fermeté proportionnée à la gravité des menaces
La solution présente une cohérence nette avec le critère d’impossibilité de maintien, spécialement lorsque des menaces de mort sont proférées. Les propos retenus, reproduits textuellement, introduisent un risque immédiat pour la sécurité des personnes et l’ordre interne. La cour le souligne en jugeant que les faits du 28 février « présentent à eux seuls un caractère de gravité suffisante à justifier le licenciement à effet immédiat du salarié. » La rupture immédiate, sans préavis ni indemnité, s’en trouve juridiquement légitimée.

La motivation se distingue en outre par le passage d’une cause réelle et sérieuse admise en première instance à une faute grave retenue en appel. Ce glissement reflète une lecture plus exigeante de la sécurité au travail, centrée sur la protection des personnes et la prévention des violences. Il s’accorde avec la finalité du pouvoir disciplinaire, qui ne saurait tolérer des menaces d’une telle intensité dans un environnement industriel à risques.

B. Enseignements pratiques en matière disciplinaire et sécurité
L’arrêt offre des repères utiles sur la preuve et la conduite de l’enquête interne. D’une part, il confirme la recevabilité de témoignages de salariés ou de personnes liées à l’entreprise, sous réserve de précision et de cohérence. La proximité hiérarchique ou familiale ne suffit pas à elle seule à en annihiler la valeur, dès lors que l’ensemble des pièces converge et que l’analyse demeure critique.

D’autre part, il clarifie la portée de la “tolérance” antérieure. L’absence de sanction avant les faits décisifs ne ferme pas la voie à une qualification de faute grave, lorsque l’événement déclencheur franchit un seuil d’hostilité incompatible avec la poursuite du contrat. La solution incite, enfin, à une formalisation rigoureuse des consignes de sécurité et à leur rappel systématique, l’inobservation réitérée augmentant le poids disciplinaire des manquements connexes.

L’économie générale de l’arrêt s’inscrit dans un mouvement jurisprudentiel constant, soucieux d’articuler protection de la santé et sécurité au travail, et garanties probatoires du salarié. En fixant le point d’équilibre sur des menaces caractérisées et contextualisées, la cour livre une grille de lecture opérationnelle et mesurée. Elle ménage la liberté de la preuve tout en rappelant que la gravité intrinsèque des propos peut, à elle seule, emporter l’impossibilité de maintien.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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