Cour d’appel de Bordeaux, le 9 septembre 2025, n°24/04935

La Cour d’appel de Bordeaux, le 9 septembre 2025, statue sur renvoi après cassation d’un différend relatif à un licenciement pour faute grave prononcé à l’encontre d’un salarié d’un organisme de sécurité sociale. Les investigations informatiques ont fait apparaître, au-delà d’échanges de messages à tonalité discriminatoire, l’envoi à un tiers d’une fiche issue d’un répertoire national protégé, accessible via les fonctions du salarié. Le conseil de prud’hommes avait validé le licenciement, la cour d’appel antérieure l’avait écarté, la juridiction de cassation a cassé partiellement, renvoyant l’affaire pour qu’il soit tiré les conséquences de la violation du secret professionnel. Le salarié sollicitait l’infirmation du jugement prud’homal et des indemnités de rupture et de réparation. L’employeur demandait la confirmation intégrale du jugement. La question portait sur la régularité des preuves numériques et sur la qualification, en faute grave, d’une transmission de données couvertes par le secret, malgré une ancienneté très élevée et l’absence d’antécédents disciplinaires. La cour de renvoi confirme la faute grave, rejette les critiques de procédure et déboute le salarié de toutes ses demandes.

I. Le sens de la décision: preuve régulière et caractérisation de la faute

A. L’investigation numérique conforme aux exigences probatoires

La cour rappelle la charge de la preuve attachée à la qualification retenue par l’employeur: « L’employeur ayant choisi de se placer sur le terrain d’un licenciement pour faute grave doit rapporter la preuve des faits allégués et démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié au sein de l’entreprise. » La démonstration probatoire s’appuie sur une chronologie précise des contrôles, opérés en présence du salarié et d’un représentant du personnel, selon la charte interne.

La juridiction valide expressément les modalités d’accès aux contenus signalés comme personnels, sous contrôle contradictoire et après convocation. Elle énonce que « Contrairement à ce que prétend l’appelant, l’employeur peut ouvrir des fichiers identifiés par le salarié comme étant personnels en présence de celui-ci ou après l’avoir dûment convoqué. » L’argument tenant à une prétendue précipitation procédurale est écarté, de même que les griefs dirigés contre la réunion disciplinaire. La régularité du chemin de preuve étant établie, la cour examine alors la gravité intrinsèque du manquement.

B. La violation du secret professionnel qualifiée de faute grave

Le cœur du litige tient à l’envoi externe d’un document issu d’un répertoire national protégé, consultable uniquement pour les besoins de service. La cour constate l’envoi et retient que les explications d’erreur technique ne coïncident ni avec le contenu du courriel ni avec la procédure d’édition du fichier annexé. Elle rappelle l’assise pénale de l’obligation: « La révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, est une infraction pénale passible d’une peine d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. »

La solution s’ensuit sans ambiguïté: « La transmission à un tiers, sans raison valable, de la fiche du répertoire national inter-régimes des bénéficiaires de l’assurance maladie […] constitue une faute grave justifiant son licenciement immédiat nonobstant son ancienneté et son absence de passé disciplinaire. » La gravité résulte de l’atteinte au secret professionnel et de l’atteinte corrélative à la confiance légitimement attendue par les assurés. L’ancienneté et l’absence de sanction antérieure ne neutralisent pas l’impossibilité de maintien dans l’entreprise.

II. Valeur et portée: cohérence avec la cassation et lignes directrices

A. L’exigence de tirage des conséquences juridiques

La décision de renvoi se cale sur la directive de la juridiction suprême, qui avait censuré l’arrêt antérieur pour insuffisance de conséquences. Elle reprécise l’impératif dégagé: « En statuant ainsi, alors qu’elle constatait que le salarié avait méconnu l’obligation de secret professionnel […] ce qui était de nature à rendre impossible son maintien dans l’entreprise, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés. » L’arrêt de renvoi corrige la discordance entre constat et dispositif, en retenant la faute grave indépendamment des éléments de contexte favorables au salarié.

Cette approche conforte la hiérarchie des valeurs en droit disciplinaire des organismes gérant des données sensibles. Lorsque l’obligation de secret, légale et rappelée par les normes internes, est violée par diffusion à un tiers, la rupture immédiate devient juridiquement proportionnée. La cohérence interne du raisonnement est assurée par l’articulation entre norme pénale, clause interne et exigence de loyauté.

B. La portée pratique en matière de données et de proportionnalité

La solution apporte deux enseignements opérationnels. Sur la preuve, la cour valide l’accès encadré aux messages identifiés comme personnels, sous réserve de la présence du salarié ou d’une convocation, ce qui sécurise l’administration de la preuve numérique en contexte professionnel. Elle le dit nettement: « l’employeur peut ouvrir des fichiers identifiés par le salarié comme étant personnels en présence de celui-ci ou après l’avoir dûment convoqué. » Les chartes informatiques opposables gagnent ainsi en effectivité, sous contrôle juridictionnel.

Sur la sanction, la décision confirme qu’un manquement unique peut caractériser la faute grave lorsqu’il atteint le cœur des obligations attachées aux fonctions. L’ancienneté remarquable et l’absence d’antécédents n’emportent pas, à elles seules, requalification en cause réelle et sérieuse. La cour circonscrit d’ailleurs son contrôle à la violation du secret, sans exiger d’examiner les autres griefs, dès lors que ce manquement suffit à justifier la rupture immédiate. La portée est claire pour les organismes dépositaires de données sociales sensibles et, au-delà, pour tout employeur soumis à une obligation légale de secret.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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