Cour d’appel de Bordeaux, le 9 septembre 2025, n°25/00532

La Cour d’appel de Bordeaux, 9 septembre 2025, statue en matière prud’homale sur le droit d’une salariée commerciale à des rappels de commissions variables et sur une demande indemnitaire fondée sur l’exécution déloyale du contrat. Engagée en 2014, la salariée percevait un fixe assorti d’une part variable calculée sur des « commissions flat ». Après plusieurs arrêts de travail à compter de 2017, elle a revendiqué des commissions relatives à des dossiers initiés avant la suspension du contrat. Déboutée par le conseil de prud’hommes en 2022, elle a interjeté appel. Elle sollicitait la fixation d’une créance de rappel de salaire et des dommages et intérêts, tandis que l’employeur, représenté par son liquidateur, soutenait que seules des diligences décisives jusqu’à la conclusion du prêt ouvraient droit à commission, ce qui n’était pas démontré. La question portait sur les conditions d’ouverture du droit à la part variable lorsque la clause vise des commissions « générées » par l’activité du salarié, en contexte d’arrêt maladie, ainsi que sur l’existence d’un manquement à l’obligation de bonne foi. La cour confirme le rejet des rappels de commissions au motif que les actes ayant permis l’encaissement des commissions ont été réalisés par un tiers pendant l’arrêt, et écarte toute exécution déloyale.

I. Le périmètre du droit à commissions variables

A. La cause génératrice: la conclusion du prêt
L’arrêt précise, à partir de la clause contractuelle, le fait générateur du droit. La rémunération variable est indexée sur « 15% des commissions flat », lesquelles supposent, selon la cour, des commissions « consécutives à la conclusion de contrats de prêt ». En retenant ce critère, la juridiction déplace l’analyse vers le lien causal entre les diligences accomplies et l’encaissement effectif par l’employeur, plutôt que vers le simple apport d’affaires ou l’ouverture du dossier. Cet ancrage dans l’achèvement opérationnel évite de rétribuer des démarches préparatoires demeurées sans effet concret. Il s’accorde avec l’économie d’une clause qui subordonne le déclenchement du paiement à la perception de commissions par l’entreprise, ce qui implique un aboutissement de l’opération de crédit.

La conséquence probatoire est claire. Le salarié qui revendique la commission doit établir que ses actes ont contribué directement à la conclusion du prêt et, partant, à l’encaissement de la commission. La cour souligne que les formalités essentielles, telles que la demande de prêt, la présentation du dossier et la signature, ont été accomplies après la suspension du contrat. La continuité du suivi, la mise en forme technique et la négociation terminale prennent ici un rôle décisoire. La cour clôt ce raisonnement par une formule dépourvue d’ambiguïté: « Il convient dès lors de confirmer la décision entreprise sur ce point. »

B. La preuve d’une contribution déterminante
La juridiction infère des pièces que des interventions initiales, même utiles, demeurent insuffisantes lorsqu’un tiers a « pris le relais » et mené les opérations jusqu’à l’acceptation bancaire, au déblocage des fonds et à l’encaissement corrélatif de la commission. Le critère mobilisé est celui d’une contribution déterminante, entendu comme l’ensemble des diligences sans lesquelles l’effet recherché ne se serait pas produit. L’ouverture d’un dossier, une étude préliminaire ou des échanges préalables, lorsqu’ils n’ont pas débouché sur la décision de crédit, ne suffisent donc pas.

Cette appréciation rejoint une ligne jurisprudentielle classique distinguant la cause génératrice de la commission du simple fait préparatoire. Elle est cohérente avec la logique de la rémunération de résultat, ici conçue comme l’achèvement d’une opération financière. La suspension du contrat n’emporte pas, à elle seule, déchéance des droits à la variable ; elle rend seulement décisive la preuve du lien causal entre les diligences personnelles du salarié et l’encaissement de la commission. Faute d’une telle preuve, aucune créance salariale ne s’ouvre.

II. Valeur et portée de la solution

A. Conformité aux principes de la rémunération variable
La solution est d’abord fidèle aux exigences d’objectivation de la rémunération variable. Le critère retenu — l’encaissement de commissions consécutif à la conclusion d’un prêt — est précis, vérifiable et compatible avec la prévisibilité due au salarié. En reliant le droit à commission à l’achèvement du processus de crédit, la cour évite les ressourcements incertains et préserve la corrélation entre rémunération et valeur effectivement produite pour l’employeur.

Cette orientation appelle cependant une vigilance contractuelle. Lorsque la clause vise des commissions « générées » par l’activité du salarié, la rédaction doit expliciter le rôle de la contribution décisive et la temporalité de la cause génératrice. À défaut, la preuve devient contentieuse et se déplace vers l’office du juge, tenu d’identifier les diligences qui ont effectivement produit l’encaissement. Sur ce point, l’arrêt apporte un cadrage utile au contentieux des commerciaux, sans ériger un critère abstrait déconnecté des opérations bancaires concrètes.

B. Conséquences pratiques et obligation de bonne foi
Sur le terrain de l’exécution contractuelle, la cour rappelle que « L’article L.1222-1 du code du travail dispose que le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi. » La charge probatoire est explicitement affectée: « La preuve du manquement à l’exécution de bonne foi incombe au salarié. » Il en résulte que des retards isolés d’envoi de bulletins ou des régularisations de mutuelle demeurent neutres si le salarié n’établit ni un manquement caractérisé, ni un préjudice certain. L’arrêt écarte logiquement la faute, dès lors que le refus de solder des commissions non acquises ne révèle pas, en lui-même, une intention dilatoire ou une mauvaise foi.

La portée pratique est nette. D’une part, la rédaction des dispositifs variables doit articuler résultat attendu, critères d’attribution et moment d’exigibilité, afin d’éviter l’« apport sec » non rémunéré ou, inversement, la rémunération d’un apport dépourvu d’effet. D’autre part, la preuve du préjudice demeure déterminante en matière d’exécution loyale, singulièrement lorsque le grief porte sur des documents de paie ou des retenues de protection sociale. Enfin, la solution sur les frais reflète l’économie du litige et son issue défavorable au salarié, la cour relevant que « L’équité et la situation des parties ne commandent pas de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile. » L’ensemble consolide une jurisprudence qui, sans rigidité, privilégie des critères opérationnels et une démonstration probatoire rigoureuse.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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