Cour d’appel de Bourges, le 5 septembre 2025, n°24/00739

La Cour d’appel de Bourges, 5 septembre 2025, statue sur un litige né d’une relation de travail entamée en 2011, caractérisée par une rémunération fixe assortie d’une part variable et par une réorientation conjoncturelle vers la vente de masques durant la crise sanitaire. Le salarié a pris acte de la rupture en 2021, invoquant le non‑paiement d’une partie de sa rémunération variable, des heures supplémentaires non réglées, des atteintes au repos, et un manquement à l’obligation de formation, tout en contestant l’application du statut de VRP et la validité d’une clause de non‑concurrence. Le premier juge avait retenu la qualité de VRP, débouté la plupart des demandes, sauf un rappel de variable limité relatif aux masques. La juridiction d’appel confirme le rappel limité et la nullité de la clause de non‑concurrence, mais infirme sur des points substantiels, écartant le statut de VRP, retenant un rappel d’heures supplémentaires, et surtout jugeant que la prise d’acte produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. La question portait sur l’intégration des ventes de masques dans la rémunération variable contractuelle, sur l’applicabilité du statut de VRP, sur la preuve et l’assujettissement des heures supplémentaires, et sur le seuil de gravité des manquements justifiant la prise d’acte. La solution consacre l’absence d’acceptation non équivoque d’une modification du variable, l’inapplicabilité du statut de VRP faute de secteur ou clientèle déterminés, la preuve d’heures supplémentaires dans une mesure moindre que prétendue, l’exclusion des trajets domicile‑premier client du temps de travail effectif, et l’existence de manquements graves commandant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec indemnités de rupture et dommages‑intérêts, tout en rejetant le travail dissimulé, l’atteinte au repos et la réparation au titre de la formation faute de préjudice établi.

I – Délimitation du périmètre contractuel et probatoire

A – Rémunération variable, ventes de masques et statut de VRP
La cour rappelle d’abord que « l’acceptation par le salarié d’une modification de son contrat de travail ne peut résulter du silence ou de la seule poursuite du travail » et qu’il faut un consentement « non équivoque ». Aucune réponse probante n’étant produite au courriel invitant le salarié à l’« engagement COVID‑19 », la modification alléguée du variable n’est pas acquise. L’argument tiré d’une prospection prétendument absente pour les masques est écarté, la clause contractuelle autorisant la représentation de « produits nouvellement commercialisés », et l’activité de vente de masques ayant « particip[é] pleinement aux missions » confiées. Le rappel demeure toutefois circonscrit au calcul justificatif versé, les prétentions du salarié étant jugées « non détaillées et peu explicites ».

Sur le statut de VRP, l’arrêt énonce que « si une seule des conditions légales fait défaut, le statut n’est pas applicable ». La preuve d’un secteur ou de « catégories de clients » fixes et clairement circonscrites fait défaut ; la référence générique à des « professionnels » ne délimite rien. L’absence d’avenant fixant le secteur, malgré une clause l’annonçant, emporte le rejet du statut de VRP et la réintégration du régime de la durée du travail.

B – Heures supplémentaires, contrôle des trajets et connaissance de l’employeur
La charge probatoire est précisément rappelée : « il appartient au salarié de présenter […] des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées », l’employeur devant répondre. Les agendas détaillés, courriels, SMS et comptes rendus établissent des amplitudes dépassant les horaires affichés, et surtout la connaissance par l’employeur, voire un accord tacite, ressortant d’un message indiquant que le salarié faisait « généralement + de 7h par jour » et d’organisations de rendez‑vous hors créneaux usuels. La cour retient l’existence d’heures supplémentaires mais en réduit l’ampleur, à la lumière de relevés de géolocalisation contredisant certains pointages.

La décision tranche nettement la question des trajets domicile‑premier client ou dernier client‑domicile au regard de l’article L. 3121‑4 : ils ne constituent pas, en principe, du temps de travail effectif, sauf indisponibilité permanente et directives concomitantes, ce que le dossier ne révèle pas ; « le seul fait d’être joignable […] ne saurait établir » la qualité de travail effectif. Le rappel est donc limité et assorti de congés payés, sans intérêts distincts faute de mauvaise foi caractérisée.

II – Gravité des manquements et portée pratique de la solution

A – Prise d’acte, non‑concurrence et rejets corrélatifs
La juridiction d’appel rappelle que « l’écrit par lequel le salarié prend acte […] ne fixe pas les limites du litige », le juge devant examiner l’ensemble des manquements invoqués. Surtout, elle qualifie le non‑paiement d’une partie des heures supplémentaires et la minoration de la rémunération variable 2020, malgré réclamations, d’atteinte à une obligation essentielle. Elle juge que cela « caractérise […] un manquement grave […] de nature à rendre impossible la poursuite de la relation de travail ». Dès lors, la prise d’acte produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ouvrant droit à indemnité de préavis, indemnité de licenciement et dommages‑intérêts dans le cadre barémisé.

La clause de non‑concurrence, dépourvue de contrepartie, est nulle. La cour indemnise le préjudice né du respect spontané de cette clause illicite, tenant à la nécessaire reconversion et à la construction d’un nouveau portefeuille, par une somme évaluée en équité. À l’inverse, le travail dissimulé est écarté, le caractère intentionnel ne se déduisant pas de la seule omission d’heures ; les griefs relatifs au repos et à la formation sont rejetés, faute de démonstration d’atteintes caractérisées au repos quotidien ou hebdomadaire et de préjudice spécifique au titre de la formation.

B – Enseignements pour la pratique contractuelle et la gestion du temps
Plusieurs balises utiles se dégagent. D’abord, une réorientation commerciale conjoncturelle n’autorise pas, sans accord non équivoque, la suspension unilatérale d’un variable contractualisé ; il convient d’amender le contrat ou de conclure un avenant précis. Ensuite, l’attribution du statut de VRP exige une délimitation probante du secteur, spatialement ou par « catégories de clients » définies ; une clientèle indistincte de « professionnels » ne suffit pas. La charge et la preuve des heures supplémentaires appellent une traçabilité bilatérale, l’employeur ne pouvant se reposer sur l’absence de pointage lorsqu’il organise des tâches hors horaires affichés. Les temps de trajets domicile‑clients demeurent hors temps de travail effectif, sauf contraintes démontrées d’indisponibilité, ce que rappelle la formule selon laquelle « le seul fait d’être joignable […] ne saurait établir » l’exigence d’une disponibilité exclusive.

Enfin, la vigilance sur les clauses de non‑concurrence s’impose : absence de contrepartie rime avec nullité et possible indemnisation du préjudice si le salarié s’y conforme. La solution confirme une ligne constante sur la prise d’acte, centrée sur la gravité de manquements salariaux affectant la rémunération. Elle incite à une gouvernance rigoureuse des variables, à la fixation explicite des paramètres VRP, et à un contrôle effectif des temps de travail, afin de prévenir des contentieux où la preuve électronique et les courriels internes prennent une valeur déterminante.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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