Cour d’appel de Bourges, le 5 septembre 2025, n°24/01032

Cour d’appel de Bourges, chambre sociale, 5 septembre 2025. À propos d’un avertissement disciplinaire, la juridiction annule la sanction au regard des règles de convocation et du pouvoir disciplinaire. Le salarié, embauché depuis plusieurs années et affecté au laboratoire, avait reçu un avertissement après un entretien informel fixé par simple courriel. Le juge prud’homal avait validé la sanction, malgré une contestation fondée sur l’irrégularité de la procédure et l’incompétence du signataire. En appel, l’employeur soutenait que l’entretien était facultatif, que la convocation avait été précédée d’un échange téléphonique, et que le supérieur hiérarchique disposait d’une délégation implicite. Le salarié répliquait sur l’absence des mentions requises et sur l’inexistence d’un pouvoir disciplinaire chez l’auteur de la lettre. La question posée portait d’abord sur l’étendue des exigences formelles lorsque l’employeur choisit, pour un avertissement, de tenir un entretien préalable ; ensuite sur les critères permettant d’établir la compétence du signataire au titre du pouvoir disciplinaire. La cour d’appel répond en deux temps, jugeant, d’une part, que l’employeur, ayant opté pour un entretien, devait en respecter intégralement les formes, et, d’autre part, que le supérieur hiérarchique n’était pas titulaire d’une délégation de pouvoir disciplinaire suffisante, de sorte que la sanction est nulle.

I. Les exigences formelles de l’entretien préalable en cas d’avertissement

A. Le caractère facultatif de l’entretien et l’obligation corrélative de respecter les formes légales
L’arrêt rappelle que, pour un avertissement, l’entretien est facultatif. Cependant la cour fait sienne une formule classique, selon laquelle « il est acquis que dès lors que l’employeur a choisi de convoquer le salarié à un entretien, selon les modalités prévues par ce texte, il est tenu d’en respecter tous les termes quelle que soit la sanction finalement infligée (Soc. 16 avril 2008, n° 06-41.999 ; Soc. 9 octobre 2019, n°18-15.029). » La solution s’inscrit dans une ligne jurisprudentielle ferme, qui neutralise tout usage opportuniste de l’entretien facultatif, et impose une stricte loyauté procédurale.

La cour rappelle encore le contenu attendu de la convocation, reprenant les exigences textuelles : « la lettre de convocation prévue à l’article L. 1332-2 indique l’objet de l’entretien entre le salarié et l’employeur. Elle précise la date, l’heure et le lieu de cet entretien. Elle rappelle que le salarié peut se faire assister par une personne de son choix appartenant au personnel de l’entreprise. Elle est soit remise contre récépissé soit adressée par lettre recommandée. » L’assistance, l’objet, et les modalités de remise constituent donc des garde‑fous procéduraux, qui s’imposent pleinement dès lors que l’employeur recourt à l’entretien.

B. L’appréciation concrète de la convocation irrégulière et la sanction de nullité
Appliquant ces principes, la cour constate le défaut d’objet, l’absence d’information sur l’assistance, et des modalités de transmission inadaptées. Elle retient de façon nette que « Ce message, bien que faisant référence à un échange téléphonique préalable et fixant la date, l’heure et le lieu de l’entretien, ne précise pas l’objet de celui-ci et ne répond pas aux exigences du texte précité relatives aux modalités de remise de la convocation à l’entretien préalable et à la possibilité pour le salarié d’être assisté lors de celui-ci. » L’argument tenant à l’échange téléphonique préalable est donc indifférent, le formalisme écrit protégeant l’information loyale du salarié.

La sanction tirée de ces manquements est la nullité de l’avertissement, conformément au pouvoir du juge d’écarter une sanction irrégulière. La décision conforte la cohérence du régime disciplinaire, en refusant qu’une étape volontairement engagée puisse se dérouler en dehors des garanties légales minimales.

II. Le pouvoir disciplinaire du signataire et la preuve de la délégation

A. Les critères de compétence du signataire de la sanction
La cour rappelle un principe constant : « Toute sanction disciplinaire doit être notifiée par le chef d’entreprise ou par la personne à laquelle ce pouvoir a été délégué. » Elle précise le régime probatoire, admettant la délégation non écrite, mais exigeant que les fonctions exercées l’autorisent effectivement : « Ainsi, le représentant de l’employeur peut notifier une sanction à un salarié lorsque ses fonctions l’y autorisent. » La simple autorité hiérarchique, la direction opérationnelle d’une équipe, ou l’obligation de faire respecter des procédures techniques ne suffisent pas à établir l’existence d’un pouvoir de sanction.

Cette grille distingue utilement l’« autorité fonctionnelle » d’un pouvoir disciplinaire, qui implique la faculté de décider et de notifier des mesures affectant la situation du salarié. À défaut d’indices clairs et concordants, le doute profite au salarié, conformément à l’économie de la preuve en matière disciplinaire.

B. L’insuffisance d’une « autorité d’équipe » et la portée de l’arrêt
En l’espèce, les mentions de la fiche de poste du supérieur hiérarchique, centrées sur l’application des consignes et le contrôle des procédures, n’établissaient pas une délégation disciplinaire. La cour refuse de déduire le pouvoir de sanction d’attributions techniques et d’encadrement, en l’absence de signes explicites de représentation de l’employeur dans l’exercice du pouvoir disciplinaire. Cette approche, exigeante mais mesurée, prévient la dilution des responsabilités et sécurise la chaîne décisionnelle en matière de discipline.

La portée de l’arrêt est double. Sur la procédure, il confirme qu’un entretien facultatif déclenche l’application intégrale du formalisme protecteur. Sur la compétence, il incite les employeurs à formaliser les délégations ou, à tout le moins, à objectiver dans les fonctions la titularité du pouvoir disciplinaire. Cette exigence renforce la lisibilité des rôles, tout en garantissant au salarié que l’auteur de la sanction agit à bon droit.

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Hassan KOHEN
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