Cour d’appel de Caen, le 11 septembre 2025, n°23/01407

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La cour d’appel de Caen, le 11 septembre 2025, statue sur renvoi après cassation et tranche un litige né d’un protocole conclu en mai 2015 entre associés d’une société d’exercice professionnel et de deux sociétés civiles immobilières. Le protocole prévoyait des cessions de titres pour un euro, subordonnées comme condition déterminante à la mainlevée de tous engagements financiers et cautions des associés sortants. L’un des associés repreneurs n’a pas obtenu ces mainlevées et a déposé prématurément la déclaration de cessation des paiements de la société d’exercice, entraînant l’exigibilité immédiate des dettes et la liquidation de l’un des associés sortants.

La procédure a connu plusieurs étapes. Le bâtonnier a résolu le protocole et prononcé des condamnations. La cour d’appel de Rennes, le 16 mai 2017, a aggravé l’indemnisation. La Cour de cassation, le 6 décembre 2017, a censuré la qualification d’un préjudice entièrement consommé, imposant la notion de perte de chance. La cour d’appel d’Angers, le 4 septembre 2018, a indemnisé la perte de chance, avant une nouvelle cassation partielle, le 22 janvier 2020. La cour d’appel de Caen, le 15 février 2022, a de nouveau statué, puis a été censurée, le 7 décembre 2022, pour défaut de réponse sur l’extinction de cautions. La formation de renvoi décide finalement, en septembre 2025, une indemnisation limitée et rejette la compensation ainsi que l’effet d’une renonciation unilatérale.

Les prétentions demeuraient opposées. Le liquidateur judiciaire de l’associé sortant sollicitait une indemnisation calée sur l’état des créances admises, échues et à échoir. L’associé repreneur demandait le rejet, à titre subsidiaire une compensation avec sa créance subrogée, ou encore la prise en compte de sa renonciation à recouvrer. La question portait d’abord sur la qualification et la mesure du préjudice, ensuite sur le régime des créances en procédure collective, enfin sur l’efficacité d’un désistement unilatéral face à un état des créances devenu définitif. La cour retient la perte de chance, l’évalue à 50 % du seul passif en lien causal avec le manquement, fixe l’indemnité à 257 000 euros, écarte la compensation pour défaut de connexité et refuse d’attacher effet à la renonciation contre un état des créances non réformé.

I. La qualification du préjudice et sa mesure

A. La faute contractuelle et l’aléa bancaire

Le manquement contractuel est caractérisé par l’absence de diligences efficaces pour obtenir la mainlevée des engagements des sortants, alors que cette mainlevée conditionnait les cessions. La déclaration prématurée de cessation des paiements a aggravé l’exigibilité des dettes, privant les sortants de marges de négociation. La censure de 2017 a imposé la catégorie de la perte de chance, en raison de l’aléa inhérent à la décision de l’établissement prêteur, lequel pouvait refuser la désolidarisation malgré des démarches actives. La cour de renvoi s’inscrit dans cette ligne, en rappelant le principe suivant: « Par ailleurs, l’indemnisation qui peut être allouée au titre de la perte de chance exclut à titre de principe toute demande à hauteur de la totalité des pertes subies. » Ce rappel circonscrit l’objet de la réparation à la chance manquée d’obtenir la mainlevée, sans assimiler l’aléa à une certitude favorable.

L’analyse des faits écarte les arguments de résistance tirés de prétendues inerties des sortants dans la rédaction des actes. Les étapes de mise en œuvre du protocole, la chronologie des cessions et l’enchaînement des procédures collectives démontrent surtout un contexte dégradé par l’anticipation de la déclaration. L’aléa bancaire demeure décisif; il commande de retenir une fraction du dommage, sans excès, en rapport avec la probabilité sérieuse de réussite si les diligences avaient été conduites loyalement et en temps utile.

B. Une évaluation indexée sur le passif pertinent

La cour délimite le périmètre du préjudice indemnisable par la référence au passif admis dans la procédure collective de l’associé sortant, sous réserve du lien causal avec le manquement. Le passif personnel, indépendant de la condition de mainlevée, est exclu. La juridiction opère un tri entre créances garanties, engagements cautionnés et postes subrogés, en écartant les sommes déjà apurées par le débiteur principal lorsque la preuve de leur règlement ressort des pièces judiciaires, sans réviser l’état des créances. La fraction retenue, fixée à 50 %, traduit l’appréciation concrète de la probabilité manquée.

Cette méthode, combinant causalité, état des créances et coefficient de chance, assure un équilibre. Elle évite l’intégralité des pertes, prohibée par la logique de la perte de chance, et garantit une cohérence avec l’économie des procédures collectives. L’approche préserve aussi la sécurité juridique, en s’appuyant sur des admissions définitives, tout en permettant des déductions lorsqu’un paiement du débiteur principal est établi.

II. Le traitement des créances et l’inefficacité des palliatifs invoqués

A. Compensation et connexité en procédure collective

La demande de compensation se heurte aux textes gouvernant la liquidation judiciaire. La créance subrogée du repreneur, née d’engagements antérieurs, ne répond pas aux conditions des créances dites méritantes, payables à l’échéance. La cour rappelle que, faute d’une naissance postérieure pour les besoins de la procédure ou en contrepartie d’une prestation décidée dans le cadre des contrats en cours, la créance doit intégrer le traitement collectif. La solution est nette: « Elle doit donc être traitée comme une créance antérieure à l’ouverture de la procédure collective. » La compensation légale échoue encore, car les conditions d’exigibilité et de liquidité n’étaient pas réunies à l’ouverture, et la connexité fait défaut dès lors que les créances réciproques ne procèdent pas du même lien contractuel ni d’un ensemble contractuel indivisible.

Cette rigueur tient à la finalité d’égalité des créanciers et à l’interdiction des paiements individuels. La cour en tire la conclusion appropriée, en fermant la voie d’une extinction croisée des dettes et en préservant l’ordre public de la procédure. La formulation récapitule: « La demande de compensation des créances sera donc rejetée. » La motivation, attachée aux critères cumulatifs, se conforme à la jurisprudence de principe et à la lettre des textes.

B. Renonciation unilatérale et stabilité de l’état des créances

Le repreneur invoquait une renonciation à ses droits subrogés, afin de neutraliser l’impact des inscriptions admises. La cour constate toutefois l’absence de réclamation dans les délais contre l’état des créances publié, et rappelle l’impossibilité pour la juridiction de renvoi de modifier un état devenu définitif. Une déclaration unilatérale, dépourvue de force exécutoire sur l’état, ne peut purger le passif collectif ni effacer rétroactivement des admissions.

Cette solution protège la stabilité procédurale, la publicité légale et les droits de l’ensemble des créanciers. Elle évite qu’une renonciation partielle ou circonstancielle reconfigure, en dehors des voies de contestation prévues, la répartition des risques entre la masse et les parties. Le choix de la cour, ainsi, renforce la cohérence du dispositif: refus de la compensation, inopérance de la renonciation, et réparation calibrée de la perte de chance.

La décision de la cour d’appel de Caen, le 11 septembre 2025, s’inscrit ainsi dans la suite des cassations intervenues, en conciliant la logique de la perte de chance avec les exigences de la procédure collective. Elle retient une indemnité de 257 000 euros, rejette les échappatoires procéduraux et consacre un raisonnement sobre, articulé autour de la causalité, de l’aléa et de la stabilité de l’état des créances.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

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