Cour d’appel de Caen, le 11 septembre 2025, n°24/01690

Rendue par la cour d’appel de Caen le 11 septembre 2025, la décision commentée intervient à la suite de l’ouverture d’un redressement judiciaire en 2021, puis de l’adoption d’un plan de continuation en 2022. À la demande du commissaire à l’exécution du plan, le tribunal de commerce de Caen, par jugement du 15 mai 2024, a résolu le plan, constaté la cessation des paiements, et ouvert une liquidation judiciaire, après fixation de la date de cessation au 4 novembre 2023. L’appel a été interjeté par le débiteur, qui justifie entre-temps le versement de 18.000 euros le 20 août 2024, couvrant l’intégralité du passif admis dans le cadre du plan.

Devant la cour, l’appelant sollicitait l’infirmation intégrale, la constatation de l’absence de cessation des paiements, et le maintien du plan sans résolution ni liquidation. L’intimé, commissaire à l’exécution du plan puis mandataire à la liquidation, n’a pas conclu, tandis que le ministère public s’en rapportait. La juridiction d’appel retient, à la suite de ce paiement intégral, qu’« il convient d’infirmer le jugement entrepris, de constater l’absence d’état de cessation des paiements », et statue en conséquence dans le dispositif en ces termes: « Infirme le jugement entrepris »; « Constate l’absence d’état de cessation des paiements »; « Dit n’y avoir lieu en conséquence à résolution de son plan de redressement arrêté par jugement du tribunal de commerce de Caen du 4 novembre 2022 »; « Dit n’y avoir lieu à ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire ».

I. Le contrôle de l’état de cessation des paiements au stade de l’exécution du plan

A. Le cadre légal de la résolution et de la conversion en liquidation
La cessation des paiements se définit par l’impossibilité de faire face au passif exigible avec l’actif disponible, selon l’article L.631-1 du code de commerce. La résolution d’un plan, prévue par l’article L.626-27, peut être prononcée en cas d’inexécution des engagements, avec faculté d’ouverture d’une liquidation si le redressement est manifestement impossible. Le premier juge a déduit de l’impayé de l’échéance du 4 novembre 2023 l’inexécution caractérisée, puis a prononcé la résolution et la liquidation, après avoir fixé la date de cessation à cette même date. Il a également mobilisé l’article L.681-2, III, en raison de dettes professionnelles antérieures au 15 mai 2022, pour étendre la procédure à l’ensemble des patrimoines de l’entrepreneur individuel.

La cour d’appel rappelle implicitement que l’office du juge, en présence d’un plan, consiste à apprécier l’existence actuelle de la cessation des paiements et l’utilité d’une résolution finalisée par une liquidation. L’arrêt fonde son raisonnement sur l’exécution intégrale du passif admis dans le plan, qui assèche l’objet même d’une résolution-sanction. En retenant qu’il y a lieu de « constater l’absence d’état de cessation des paiements », la juridiction d’appel recentre l’analyse sur le critère objectif et actuel, indépendamment du seul constat d’un incident de paiement antérieur.

B. La temporalité de l’appréciation et l’incidence de la purge du passif
L’arrêt illustre une appréciation in concreto à la date où la cour statue, intégrant les éléments postérieurs au jugement, dès lors qu’ils éclairent la réalité présente de la cessation. La preuve du virement du 20 août 2024, couvrant un passif admis de 15.449,87 euros, prive de fondement le constat d’impossibilité de faire face au passif exigible. La motivation est claire: « Par suite, il convient d’infirmer le jugement entrepris, de constater l’absence d’état de cessation des paiements », la purge opérée rétablissant l’équilibre financier exigé par l’article L.631-1.

Cette solution refuse une approche purement mécaniciste de la résolution, qui ne serait fondée que sur un impayé ponctuel, sans examen des capacités rétablies. Elle confirme que l’inexécution d’une échéance du plan n’appelle pas nécessairement la résolution si le débiteur justifie, avant que le juge statue, de l’apurement complet du passif pris en charge par le plan. La décision consacre ainsi une logique finaliste et proportionnée, en phase avec la fonction d’assainissement des procédures collectives.

II. Portée et incidences pratiques de l’arrêt

A. La primauté de la finalité du plan sur une résolution-sanction automatique
En décidant qu’il n’y a pas lieu à résolution lorsque l’intégralité du passif est acquittée, la cour protège la finalité du plan de continuation. Le dispositif en témoigne: « Dit n’y avoir lieu en conséquence à résolution de son plan de redressement arrêté par jugement du tribunal de commerce de Caen du 4 novembre 2022 ». La résolution n’est pas un mécanisme punitif, mais une réponse à l’échec avéré du redressement et à la persistance de la cessation.

Cette orientation invite les organes de la procédure à privilégier l’information et la vérification actualisée, plutôt qu’une saisine systématique aux premiers incidents. Elle guide également le débiteur vers une régularisation rapide et complète, probante et traçable, seule de nature à écarter la cessation et la conversion en liquidation. La cohérence est renforcée par le dispositif accessoire, qui maintient le régime collectif des coûts: « Les dépens de première instance et d’appel seront employés en frais privilégiés de la procédure collective ».

B. L’articulation avec le statut d’entrepreneur individuel et l’article L.681-2, III
Le premier juge avait tiré les conséquences de l’article L.681-2, III, en présence de dettes professionnelles antérieures au 15 mai 2022, pour viser les patrimoines professionnel et personnel. La cour d’appel, en excluant la cessation et la liquidation, neutralise en pratique le déploiement de cette extension patrimoniale, qui suppose une procédure ouverte et justifiée. L’économie du texte demeure, mais son champ d’application se retire faute de condition objective.

Cette retenue confirme que l’extension patrimoniale, de portée substantielle pour l’entrepreneur individuel, ne saurait résulter d’un simple retard d’échéance du plan. Elle appelle au préalable un constat actuel d’impossibilité de paiement, que l’apurement intégral supprime. La solution témoigne d’un équilibre mesuré entre la discipline des plans et l’objectif de poursuite d’activité, en ménageant les intérêts des créanciers tout en évitant des liquidations non nécessaires.

En définitive, l’arrêt conforte une lecture pragmatique des textes applicables, où la preuve d’un apurement effectif prime le constat d’un incident ancien. Le dispositif s’en déduit avec rigueur, en ce qu’il « Infirme le jugement entrepris », « Constate l’absence d’état de cessation des paiements » et « Dit n’y avoir lieu à ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire ». Cette approche renforce la sécurité des plans régulièrement exécutés, sans affaiblir la vigilance due aux créanciers dans le cadre collectif.

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