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La reconnaissance du caractère professionnel d’une maladie génère des conséquences financières substantielles pour l’employeur. Cette réalité explique la vigilance des entreprises quant au respect des obligations procédurales pesant sur les caisses primaires d’assurance maladie lors de l’instruction des dossiers. L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Caen le 26 juin 2025 illustre cette tension entre les exigences du contradictoire et les limites du droit à l’information de l’employeur.
Un salarié exerçant les fonctions d’aide conducteur offset a établi une déclaration de maladie professionnelle le 1er décembre 2021 au titre d’une épaule douloureuse. Le certificat médical initial du 4 octobre 2021 mentionnait une atteinte de l’épaule droite avec lésions des sus et supra épineux. La caisse primaire a pris en charge cette affection au titre de la législation professionnelle par décision du 14 avril 2022, la désignant comme une rupture de la coiffe des rotateurs inscrite au tableau n° 57 relatif aux affections périarticulaires provoquées par certains gestes et postures de travail.
L’employeur a contesté l’opposabilité de cette décision devant la commission de recours amiable le 7 juin 2022. Face au rejet implicite de ce recours, il a saisi le tribunal judiciaire d’Alençon le 7 août 2023. Par jugement du 19 janvier 2024, cette juridiction a déclaré inopposable à la société la prise en charge de la maladie professionnelle déclarée par le salarié. La caisse a interjeté appel de cette décision le 6 février 2024.
L’employeur soutenait que le dossier mis à sa disposition par la caisse ne comportait pas les certificats médicaux de prolongation des arrêts de travail du salarié. Il estimait que cette lacune caractérisait une violation du principe du contradictoire lors de l’instruction du dossier. La caisse reconnaissait l’absence de ces certificats mais contestait leur inclusion parmi les pièces devant être communiquées.
La question posée à la Cour d’appel de Caen était de déterminer si les certificats médicaux de prolongation de soins ou d’arrêts de travail, délivrés postérieurement au certificat médical initial, doivent figurer dans le dossier mis à disposition de l’employeur lors de l’instruction d’une demande de reconnaissance de maladie professionnelle.
La Cour d’appel de Caen infirme le jugement de première instance. Elle juge que « ne figurent pas parmi ces éléments, les certificats ou les avis de prolongation de soins ou arrêts de travail, délivrés après le certificat médical initial, qui ne portent pas sur le lien entre l’affection ou la lésion et l’activité professionnelle ». La décision de prise en charge est déclarée opposable à l’employeur.
Cette décision appelle une analyse en deux temps. La cour délimite le contenu obligatoire du dossier communicable à l’employeur en le rattachant à la finalité de l’instruction (I). Elle tire les conséquences de cette délimitation sur l’opposabilité de la décision de prise en charge (II).
I. La délimitation du dossier communicable fondée sur la finalité de l’instruction
La Cour d’appel de Caen rattache le contenu du dossier à sa fonction probatoire dans la reconnaissance du caractère professionnel (A), ce qui conduit à l’exclusion des certificats de prolongation dépourvus de pertinence sur le lien causal (B).
A. Le rattachement du contenu du dossier à sa fonction dans la reconnaissance du caractère professionnel
La cour rappelle le cadre réglementaire applicable. L’article R. 461-9 III du code de la sécurité sociale impose à la caisse de mettre le dossier prévu à l’article R. 441-14 à disposition de l’employeur auquel la décision est susceptible de faire grief. L’article R. 441-14 énumère les pièces composant ce dossier, parmi lesquelles figurent « les divers certificats médicaux détenus par la caisse ».
La cour précise toutefois que cette obligation doit être comprise au regard de sa finalité. Elle énonce qu’« afin d’assurer la complète information de l’employeur, dans le respect du secret médical dû à la victime, le dossier présenté par la caisse à la consultation de celui-ci doit contenir les éléments recueillis sur la base desquels se prononce la caisse pour la reconnaissance du caractère professionnel d’une maladie ou d’un accident ». Cette formulation établit un critère fonctionnel. Seuls les documents fondant la décision de reconnaissance doivent être communiqués.
Cette interprétation téléologique de l’article R. 441-14 s’inscrit dans une jurisprudence constante de la Cour de cassation. La deuxième chambre civile a posé ce principe dans un arrêt du 19 décembre 2013. Elle a jugé que le dossier doit contenir les éléments sur la base desquels la caisse se prononce. Cette approche concilie deux impératifs. Elle garantit l’information de l’employeur sur les fondements de la décision. Elle préserve le secret médical du salarié pour les données étrangères à cette reconnaissance.
L’employeur peut ainsi exercer utilement son droit de formuler des observations. Il accède aux pièces déterminantes pour la qualification professionnelle de l’affection. La cour refuse en revanche d’étendre ce droit à la totalité des documents médicaux détenus par la caisse.
B. L’exclusion des certificats de prolongation sans incidence sur le lien causal
La Cour d’appel de Caen tire les conséquences de ce critère fonctionnel. Elle juge que « ne figurent pas parmi ces éléments, les certificats ou les avis de prolongation de soins ou arrêts de travail, délivrés après le certificat médical initial, qui ne portent pas sur le lien entre l’affection ou la lésion et l’activité professionnelle ». Cette exclusion repose sur la distinction entre deux fonctions des certificats médicaux.
Le certificat médical initial constate l’affection et la rattache à l’activité professionnelle. Il constitue le document fondateur de la demande de reconnaissance. Les conditions du tableau de maladies professionnelles sont appréciées à cette date. Les certificats de prolongation ont une fonction différente. Ils attestent la persistance de l’incapacité de travail et justifient la continuation de la prise en charge. Ils ne contiennent généralement pas d’éléments nouveaux sur le lien de causalité entre la pathologie et les conditions de travail.
Cette distinction est cohérente avec les conditions de reconnaissance des maladies professionnelles inscrites aux tableaux. L’article L. 461-1 du code de la sécurité sociale prévoit une présomption d’origine professionnelle lorsque le salarié remplit les conditions du tableau. Ces conditions portent sur la désignation de la maladie, le délai de prise en charge et la liste limitative des travaux. Elles sont vérifiées à la date du certificat médical initial. Les prolongations ultérieures n’apportent pas d’éléments pertinents pour cette vérification.
L’employeur contestant la reconnaissance dispose d’autres moyens. Il peut contester la réalité des conditions d’exposition aux risques. Il peut discuter le respect du délai de prise en charge. Il peut remettre en cause la correspondance entre la pathologie constatée et celle désignée au tableau. Les certificats de prolongation ne lui sont d’aucune utilité pour ces contestations.
II. Les conséquences sur l’opposabilité de la décision de prise en charge
L’absence des certificats de prolongation dans le dossier ne caractérise pas une violation du contradictoire (A). La cour en déduit l’opposabilité de la décision à l’employeur et infirme le jugement de première instance (B).
A. L’absence de violation du principe du contradictoire
L’employeur invoquait une méconnaissance du principe du contradictoire lors de l’instruction du dossier. La Cour d’appel de Caen écarte ce moyen. Elle juge que « c’est donc à tort que la société reproche à la caisse de ne pas avoir mis à sa disposition les divers certificats médicaux de prolongation de soins ou arrêts de travail ».
Le contradictoire en matière de reconnaissance des maladies professionnelles est organisé par les articles R. 461-9 et R. 441-14 du code de la sécurité sociale. Il impose à la caisse de communiquer à l’employeur les éléments du dossier et de lui laisser un délai pour formuler des observations. Ce principe vise à permettre à l’employeur de contester utilement la reconnaissance envisagée. Il ne confère pas un droit d’accès illimité aux données médicales du salarié.
La caisse avait mis à disposition de l’employeur le certificat médical initial. Ce document mentionnait la pathologie et établissait le lien avec l’activité professionnelle. L’employeur disposait également des autres pièces énumérées à l’article R. 441-14. Il pouvait formuler des observations sur ces éléments. Le délai de dix jours francs prévu par le texte avait été respecté. L’employeur ne démontrait pas en quoi l’absence des certificats de prolongation l’avait privé de la possibilité de présenter une défense utile.
Cette solution préserve l’équilibre entre les droits de l’employeur et la protection du secret médical du salarié. Les certificats de prolongation contiennent des informations sur l’évolution de l’état de santé du salarié. Ces données sont sans rapport avec la question de l’origine professionnelle de la maladie. Leur communication à l’employeur constituerait une atteinte injustifiée au secret médical.
B. La déclaration d’opposabilité et l’infirmation du jugement
La Cour d’appel de Caen infirme le jugement du tribunal judiciaire d’Alençon du 19 janvier 2024. Elle déclare opposable à l’employeur la décision de prise en charge du 14 avril 2022. Cette opposabilité emporte des conséquences financières pour l’entreprise. Les dépenses liées à la maladie professionnelle seront inscrites à son compte employeur. Elles entreront dans le calcul de son taux de cotisation accidents du travail et maladies professionnelles.
Cette solution s’inscrit dans le mouvement jurisprudentiel tendant à limiter les contestations d’opposabilité fondées sur des irrégularités procédurales mineures. Les juridictions vérifient désormais si l’irrégularité invoquée a effectivement porté atteinte aux droits de la défense de l’employeur. Une omission formelle sans incidence sur la possibilité de contester utilement la reconnaissance ne justifie pas l’inopposabilité.
L’employeur est condamné aux dépens de première instance et d’appel. Cette condamnation sanctionne le caractère infondé de sa contestation. La cour n’alloue pas de frais irrépétibles. L’absence de demande sur ce fondement explique cette omission.
Cette décision clarifie les obligations de la caisse en matière de communication du dossier. Elle sécurise les décisions de prise en charge en excluant un grief procédural souvent invoqué. L’employeur doit concentrer sa contestation sur les conditions substantielles de la reconnaissance. L’exigence de communication des certificats de prolongation ne saurait constituer un moyen dilatoire.