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La résiliation judiciaire du contrat d’apprentissage à l’initiative du salarié constitue une question délicate, à la confluence du droit commun des contrats de travail et du régime spécial de l’apprentissage. La cour d’appel de Caen, dans un arrêt du 3 juillet 2025, apporte un éclairage notable sur cette problématique en admettant cette voie de droit tout en précisant ses conséquences indemnitaires.
Une apprentie mineure avait été embauchée par une société dans le cadre d’un contrat d’apprentissage pour la période du 9 septembre 2022 au 31 août 2024. En mai 2023, la société a annoncé la fermeture du magasin où s’exécutait le contrat. L’employeur a proposé une rupture amiable ou un transfert vers un autre établissement, ce que l’apprentie a refusé. À compter du 1er juillet 2023, aucun travail ni formation n’a été fourni. La salariée a saisi le conseil de prud’hommes le 19 juillet 2023, sollicitant la résiliation du contrat aux torts de l’employeur ainsi que le paiement des salaires jusqu’au terme du contrat et des dommages et intérêts.
Le conseil de prud’hommes de Caen, par jugement du 18 mars 2024, a prononcé la résiliation aux torts de l’employeur et condamné celui-ci au paiement d’un rappel de salaires de 9 173,32 euros outre les congés payés afférents. La société a interjeté appel.
La question posée à la cour était double : d’une part, un apprenti peut-il solliciter la résiliation judiciaire de son contrat d’apprentissage alors que l’article L. 6222-18 du code du travail ne prévoit pas cette hypothèse ; d’autre part, quelles sont les conséquences indemnitaires d’une telle résiliation prononcée aux torts de l’employeur.
La cour d’appel de Caen confirme la résiliation aux torts de l’employeur mais infirme le jugement sur les condamnations pécuniaires. Elle juge que « nonobstant le fait que la saisine de la juridiction par le salarié aux fins de résiliation ne soit pas envisagée par les dispositions de l’article L. 6222-18 du code du travail, elle demeure une possibilité qui lui est offerte en cas de manquement de l’employeur à ses obligations ». Elle refuse toutefois d’accorder les salaires jusqu’au terme du contrat, « aucune disposition spécifique ne prévoyant une indemnité de cette nature en cas de rupture du contrat d’apprentissage par l’effet d’une résiliation aux torts de l’employeur », et alloue uniquement 2 000 euros de dommages et intérêts.
Cet arrêt invite à examiner successivement la reconnaissance du droit à résiliation judiciaire au profit de l’apprenti (I) puis le régime indemnitaire restrictif applicable à cette rupture (II).
I. La reconnaissance du droit à résiliation judiciaire au profit de l’apprenti
L’admission de la résiliation judiciaire du contrat d’apprentissage procède d’une interprétation extensive des textes spéciaux (A), fondée sur la caractérisation d’un manquement grave de l’employeur (B).
A. Le dépassement du cadre textuel de l’article L. 6222-18 du code du travail
L’article L. 6222-18 du code du travail énumère limitativement les cas de rupture du contrat d’apprentissage : rupture unilatérale pendant les 45 premiers jours, rupture d’un commun accord, rupture par le conseil de prud’hommes en cas de faute grave ou de manquements répétés de l’employeur, ou encore à l’initiative de l’apprenti après médiation. Ce texte ne mentionne pas la résiliation judiciaire à l’initiative du salarié.
La cour d’appel de Caen franchit cet obstacle en considérant que « la saisine de la juridiction par le salarié aux fins de résiliation ne soit pas envisagée par les dispositions de l’article L. 6222-18 du code du travail » n’interdit pas pour autant cette voie. Cette solution s’inscrit dans la logique du droit commun du contrat de travail. La Cour de cassation admet depuis longtemps que tout salarié puisse demander la résiliation judiciaire de son contrat lorsque l’employeur manque gravement à ses obligations.
L’arrêt opère ainsi une conciliation entre le régime spécial de l’apprentissage et les principes généraux du droit du travail. Le contrat d’apprentissage demeure un contrat de travail de type particulier, soumis aux règles protectrices du salarié. Priver l’apprenti de la faculté de solliciter la résiliation judiciaire reviendrait à le placer dans une situation moins favorable que le salarié de droit commun.
B. La caractérisation du manquement grave justifiant la résiliation
La cour relève que « l’employeur a cessé de fournir du travail et une formation puis à compter du mois de septembre de payer sa salariée ». Elle ajoute que « la salariée n’était pas tenue d’accepter une rupture amiable ni un transfert du contrat dans un autre lieu que celui prévu au contrat ». Ces constatations établissent un manquement certain.
L’obligation de fournir travail et formation constitue l’essence même du contrat d’apprentissage. L’article L. 6223-1 du code du travail impose à l’employeur d’assurer la formation pratique de l’apprenti. Le défaut de fourniture de travail et de formation pendant plusieurs mois constitue une violation caractérisée de cette obligation fondamentale.
La cour qualifie ce manquement de « suffisamment grave et persistant pour empêcher la poursuite du contrat ». Cette formulation reprend les critères classiques de la résiliation judiciaire en droit du travail. Le caractère persistant résulte de la durée de l’inexécution, qui s’est prolongée de juillet à la saisine puis au-delà. La gravité découle de la nature même des obligations méconnues, qui privent le contrat de sa substance.
II. Le régime indemnitaire restrictif de la résiliation du contrat d’apprentissage
L’exclusion du paiement des salaires jusqu’au terme du contrat (A) conduit à une indemnisation limitée au préjudice effectivement subi (B).
A. L’exclusion de l’indemnisation forfaitaire des salaires restant dus
La cour infirme le jugement qui avait accordé 9 173,32 euros au titre des salaires dus jusqu’au terme du contrat. Elle fonde cette solution sur l’absence de texte : « aucune disposition spécifique ne prévoyant une indemnité de cette nature en cas de rupture du contrat d’apprentissage par l’effet d’une résiliation aux torts de l’employeur, il n’y a pas lieu de condamner au paiement des salaires dus jusqu’au terme du contrat ».
Cette position se distingue du régime applicable au contrat à durée déterminée de droit commun. L’article L. 1243-4 du code du travail prévoit qu’en cas de rupture anticipée du CDD imputable à l’employeur, le salarié a droit à des dommages et intérêts au moins égaux aux rémunérations qu’il aurait perçues jusqu’au terme du contrat. Mais le contrat d’apprentissage obéit à un régime propre et la cour refuse d’appliquer par analogie cette disposition.
L’arrêt vise l’article L. 1241-1 du code du travail comme fondement de la résiliation prononcée. Ce texte, relatif au contrat à durée déterminée, ne prévoit pas les conséquences indemnitaires de la résiliation judiciaire. La cour en déduit que seul le droit commun de la responsabilité civile trouve à s’appliquer, excluant toute indemnisation forfaitaire.
B. L’allocation de dommages et intérêts limités au préjudice démontré
La cour alloue 2 000 euros de dommages et intérêts « en réparation du préjudice subi ». Elle précise les éléments d’évaluation : « le préjudice moral de rupture en cours de contrat obligeant à la recherche d’un nouvel employeur pour continuer l’apprentissage et ne pas perdre le bénéfice d’une formation, nouvel apprentissage en l’espèce trouvé rapidement ».
Cette motivation révèle une appréciation concrète du préjudice. L’apprentie avait conclu un nouveau contrat d’apprentissage dès le 30 août 2023, soit moins de deux mois après la cessation effective du travail. Cette circonstance minore le préjudice subi. La cour retient principalement le préjudice moral lié aux désagréments de la rupture et à la nécessité de rechercher un nouvel employeur.
La solution présente une certaine cohérence avec la fonction réparatrice des dommages et intérêts. Accorder les salaires jusqu’au terme du contrat alors que l’apprentie avait rapidement retrouvé un nouvel apprentissage aurait conduit à une indemnisation excédant le préjudice réel. La cour préfère une évaluation in concreto, tenant compte de la situation effective de la salariée.
Cette approche comporte toutefois une part d’incertitude pour l’apprenti victime d’un manquement de l’employeur. L’indemnisation dépendra des circonstances de chaque espèce, notamment de la rapidité avec laquelle un nouvel apprentissage aura été trouvé. L’arrêt incite ainsi l’apprenti à limiter son préjudice en recherchant activement une nouvelle formation, ce qui correspond à l’obligation de minimiser son dommage.