Cour d’appel de Caen, le 4 septembre 2025, n°23/02464

L’arrêt rendu le 4 septembre 2025 par la Cour d’appel de Caen statue sur la contestation formée par un employeur contre les décisions de prise en charge de maladies professionnelles. Cette décision s’inscrit dans le contentieux récurrent relatif au respect du contradictoire dans l’instruction des demandes de reconnaissance de maladies professionnelles. Elle précise utilement la portée des obligations d’information pesant sur la caisse primaire d’assurance maladie.

Un salarié de la société appelante a déclaré le 25 septembre 2021 deux maladies professionnelles relatives à des enthésopathies des coudes droit et gauche, sur la base de certificats médicaux initiaux du 16 septembre 2021. La caisse a pris en charge ces affections au titre de la législation professionnelle par décisions des 24 et 26 janvier 2022. L’employeur a contesté ces décisions devant la commission de recours amiable qui les a confirmées le 26 avril 2022.

Le tribunal judiciaire de Caen, par jugement du 13 octobre 2023, a débouté la société de ses demandes et déclaré opposables les décisions de prise en charge. La société a interjeté appel le 20 octobre 2023. Elle soutenait que la caisse n’avait pas respecté son obligation d’information en ne lui laissant aucun délai de consultation sans observation. La caisse rétorquait que l’employeur avait été parfaitement informé des dates d’instruction du dossier.

La question posée à la Cour d’appel de Caen était de déterminer si la caisse avait satisfait à ses obligations d’information prévues par l’article R.461-9 du code de la sécurité sociale, tant pour la phase de consultation active que pour la phase de consultation passive.

La Cour d’appel de Caen confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions. Elle retient que la caisse a régulièrement informé l’employeur des dates d’ouverture et de clôture de la période de consultation avec observations. Elle juge en outre qu’aucun délai n’est imposé pour la phase de consultation sans observation dite « passive », seule la phase active étant soumise au délai de dix jours francs.

Cette décision appelle un examen approfondi de la distinction opérée entre les deux phases de consultation (I), avant d’envisager les conséquences pratiques de cette solution pour les employeurs (II).

I. La confirmation d’une distinction fonctionnelle entre les phases de consultation

La Cour d’appel de Caen consacre une lecture rigoureuse du texte applicable en distinguant nettement les deux phases de consultation prévues par l’article R.461-9 du code de la sécurité sociale (A), ce qui conduit à exclure toute obligation de délai pour la phase passive (B).

A. Une interprétation stricte des exigences textuelles

L’article R.461-9-III du code de la sécurité sociale organise une procédure de consultation en deux temps. La Cour relève que « contrairement à la première phase de consultation dite « active » où la caisse est tenue de laisser à l’employeur un délai de consultation avec observations de 10 jours francs, il n’est imposé à la caisse aucun délai s’agissant de la seconde phase de consultation sans observation dite « passive » ». Cette distinction repose sur la finalité même des deux phases.

La phase active permet aux parties de « consulter et faire connaître leurs observations, qui sont annexées au dossier ». Elle constitue le cœur du contradictoire dans la mesure où les parties peuvent enrichir le dossier avant la décision de la caisse. La phase passive offre une simple faculté de consultation sans possibilité de formuler des observations. Le texte précise en effet qu’« au terme de ce délai, la victime ou ses représentants et l’employeur peuvent consulter le dossier sans formuler d’observations ».

Cette lecture s’inscrit dans la jurisprudence constante de la Cour de cassation rappelée par l’arrêt, selon laquelle « la mise à disposition du dossier à la victime et à l’employeur n’est soumise à aucune forme particulière ». La seule obligation de la caisse réside dans l’information préalable relative à la possibilité de consulter le dossier avec un délai de dix jours francs pour la phase active.

B. L’absence de délai légal pour la phase de consultation passive

L’employeur soutenait que la caisse ne lui avait accordé qu’une journée pour procéder à la consultation passive du dossier. La Cour écarte ce moyen en relevant que « le texte ne stipulant aucun terme à cette phase », la caisse n’avait pas l’obligation de fixer une date précise de fin de consultation.

Cette solution se justifie par la nature même de la phase passive. Celle-ci ne permet plus d’enrichir le dossier ni de formuler des observations susceptibles d’influencer la décision de la caisse. Le contradictoire a déjà été exercé durant la phase active. La Cour souligne ainsi que « seule la phase de consultation active est la période pendant laquelle le contradictoire doit s’appliquer puisque les parties peuvent enrichir le dossier et faire des observations ».

Le courrier adressé à l’employeur mentionnait expressément que « au delà de cette date, le dossier restera consultable jusqu’à notre décision ». Cette formulation satisfait aux exigences textuelles en indiquant que la consultation demeure possible entre la fin de la phase active et la notification de la décision, sans qu’un délai précis doive être imposé.

II. Les implications pratiques d’une conception restrictive du contradictoire

Cette décision rappelle l’importance du respect des délais de la phase active pour l’employeur (A), tout en soulevant des interrogations sur l’effectivité du droit de consultation dans sa phase passive (B).

A. Le caractère déterminant de la phase de consultation active

L’arrêt confirme que l’employeur doit concentrer sa vigilance sur la phase de consultation active. La Cour relève que le courrier de la caisse indiquait que l’employeur avait « la possibilité d’en consulter les pièces et de formuler vos observations du 10 janvier 2022 au 21 janvier 2022 ». Ce délai de onze jours respectait l’exigence de dix jours francs posée par le texte.

Durant cette période, l’employeur dispose de la faculté d’examiner l’ensemble des pièces du dossier constitué par la caisse. Il peut formuler des observations qui seront annexées au dossier et prises en considération avant la décision. Cette phase constitue donc l’unique moment procédural où l’employeur peut effectivement contester les éléments retenus par la caisse.

La solution retenue incite les employeurs à une grande réactivité. Le délai de dix jours francs demeure bref pour analyser un dossier de maladie professionnelle, identifier d’éventuelles contestations et rédiger des observations argumentées. Tout retard dans la consultation du dossier prive l’employeur de sa capacité d’influence sur la décision.

B. Les limites pratiques de la phase de consultation passive

La phase de consultation passive permet à l’employeur de consulter le dossier après la clôture de la période d’observations. Cette faculté présente un intérêt limité dès lors que l’employeur ne peut plus formuler d’observations susceptibles d’être prises en compte.

L’arrêt ne précise pas la durée effective dont disposait l’employeur pour cette consultation passive. Le courrier de la caisse indiquait que le dossier resterait « consultable jusqu’à notre décision » prévue au plus tard le 31 janvier 2022. Entre la fin de la phase active le 21 janvier et cette date butoir, l’employeur disposait théoriquement de quelques jours pour une consultation sans possibilité d’observation.

Cette consultation passive peut néanmoins présenter un intérêt pour préparer un éventuel recours. L’employeur peut vérifier que le dossier n’a pas été modifié après ses observations ou identifier des éléments utiles à une contestation ultérieure devant la commission de recours amiable puis devant les juridictions. La brièveté de cette période ne constitue pas une irrégularité dès lors que le contradictoire effectif a été respecté durant la phase active.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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