Cour d’appel de Caen, le 4 septembre 2025, n°23/02911

La question du taux d’incapacité permanente partielle attribuable à une victime d’une maladie professionnelle demeure une source contentieuse fréquente entre employeurs et organismes de sécurité sociale. La Cour d’appel de Caen, par un arrêt du 4 septembre 2025, confirme l’appréciation souveraine des premiers juges quant au taux retenu pour une pathologie relevant du tableau n° 57 des maladies professionnelles.

Une salariée d’une société a établi une déclaration de maladie professionnelle le 23 décembre 2020, au titre d’une tendinite de la coiffe des rotateurs droits, sur la base d’un certificat médical initial du 24 octobre 2020. La caisse a reconnu le caractère professionnel de cette maladie par décision du 10 janvier 2022. L’état de santé de l’assurée a été déclaré consolidé le 25 janvier 2023, date à laquelle un taux d’incapacité permanente partielle de 12 % lui a été attribué. L’employeur a saisi la commission médicale de recours amiable, laquelle a confirmé ce taux en sa séance du 16 juin 2023.

L’employeur a alors saisi le tribunal judiciaire d’Alençon le 7 août 2023. Par jugement du 24 novembre 2023, cette juridiction a confirmé le taux d’IPP de 12 % et débouté la société de ses demandes. L’employeur a interjeté appel, sollicitant à titre principal la réduction du taux à 7 % et, subsidiairement, une mesure d’expertise médicale. La caisse concluait à la confirmation de sa décision.

La question posée à la cour était de déterminer si le taux d’incapacité permanente de 12 % retenu par la caisse correspondait aux séquelles effectivement imputables à la maladie professionnelle reconnue, compte tenu du barème indicatif d’invalidité applicable.

La Cour d’appel de Caen confirme le jugement en toutes ses dispositions, retenant que « la caisse, puis la commission médicale de recours amiable, ont justement apprécié, à la date de la consolidation, le taux d’IPP de [l’assurée] à 12 %, tenant compte d’une limitation légère de tous les mouvements de l’épaule dominante ». Elle écarte la demande d’expertise et condamne l’employeur aux dépens d’appel.

L’arrêt invite à examiner l’application du barème indicatif d’invalidité aux séquelles constatées (I), puis les conditions du contrôle judiciaire du taux d’incapacité permanente (II).

I. L’application du barème indicatif aux séquelles de la maladie professionnelle

L’arrêt rappelle le cadre normatif présidant à la détermination du taux d’incapacité (A) avant d’en examiner la mise en œuvre au regard des constatations médicales (B).

A. Le cadre légal et réglementaire de l’évaluation médico-légale

La cour rappelle les dispositions de l’article L. 434-2 alinéa 1 du code de la sécurité sociale, selon lequel « le taux de l’incapacité permanente est déterminé d’après la nature de l’infirmité, l’état général, l’âge, les facultés physiques et mentales de la victime ainsi que d’après ses aptitudes et sa qualification professionnelle, compte tenu d’un barème indicatif d’invalidité ». L’arrêt précise ensuite que ce taux « s’apprécie à la date de consolidation de l’état de santé de la victime ».

Le barème indicatif d’invalidité, prévu à l’annexe I de l’article R. 434-32 du code de la sécurité sociale, constitue l’instrument de référence pour l’évaluation des séquelles. Pour l’épaule dominante, ce barème prévoit un taux de 10 à 15 % en cas de « limitation légère de tous les mouvements ». La cour souligne que ce barème, « s’il prévoit que soit relevée une éventuelle amyotrophie deltoïdienne, n’exige pas l’existence de celle-ci pour évaluer le taux d’incapacité ». Cette précision revêt une importance pratique considérable dans l’appréciation des séquelles des tendinopathies de l’épaule.

L’énoncé de ces principes pose le fondement de l’appréciation médicale contestée par l’employeur.

B. La confrontation des conclusions médicales au barème

Le médecin-conseil de la caisse a retenu que « l’assurée droitière garde pour séquelles une limitation douloureuse légère de tous les mouvements de l’épaule droite mais significative et une perte de force du côté droit ». L’examen clinique a révélé des amplitudes articulaires diminuées : antépulsion à 120° contre 180° en amplitude normale, rétropulsion à 30° contre 40°, abduction à 95° contre 110° du côté controlatéral, et une impossibilité d’effectuer le mouvement main-nuque.

L’employeur soutenait, par l’intermédiaire de son médecin-conseil, que l’affection initialement reconnue était « une tendinopathie aiguë non rompue non calcifiante droite », pathologie qui « guérit en quelques semaines avec un traitement médical ». Il en déduisait que les séquelles constatées résulteraient d’une affection distincte de la maladie professionnelle reconnue.

La cour écarte cette argumentation en relevant que « la notion de tendinopathie aiguë en maladie professionnelle ne concerne que le mode d’entrée dans le tableau n° 57 des maladies professionnelles ». Elle en conclut qu’« il ne peut être inféré de l’intitulé de la pathologie prise en charge par la caisse d’un traitement et d’une évolution uniques, ne tenant pas compte de la situation particulière de l’assurée ».

Ce raisonnement conduit naturellement à l’examen des pouvoirs du juge en matière de contestation du taux d’incapacité.

II. Le contrôle judiciaire du taux d’incapacité permanente

La cour définit précisément l’office du juge en cette matière (A) et en tire les conséquences quant à l’opportunité d’une mesure d’instruction (B).

A. L’office du juge dans l’appréciation du taux

L’arrêt rappelle qu’« il appartient au juge, saisi par l’employeur d’une contestation relative à l’état d’incapacité permanente de travail de la victime, de fixer le taux d’incapacité permanente à partir des éléments médicaux et médico-sociaux produits aux débats, dans la limite du taux initialement retenu par la caisse et régulièrement notifié à l’employeur ». Cette formulation consacre le pouvoir souverain du juge du fond dans l’appréciation des éléments médicaux, tout en posant une limite infranchissable : le taux ne peut être augmenté au détriment de l’employeur.

La cour prend en considération la situation particulière de l’assurée, « âgée de 60 ans à la date de la consolidation », dont la pathologie « a d’abord été soignée par infiltrations, puis par une opération le 12 juillet 2021 ». Elle constate l’absence de tout élément permettant de retenir un état antérieur susceptible de minorer le taux imputable à la maladie professionnelle. L’âge de l’assurée constitue un critère légal d’appréciation du taux, conformément à l’article L. 434-2 qui vise expressément ce paramètre parmi les éléments à prendre en compte.

La prise en compte de l’ensemble de ces éléments conduit à examiner l’opportunité d’une mesure d’instruction complémentaire.

B. Le rejet motivé de la demande d’expertise

L’employeur sollicitait subsidiairement une mesure d’expertise médicale judiciaire. La cour confirme le rejet de cette demande prononcé par les premiers juges, considérant qu’« aucun élément du dossier ne justifi[e] des investigations complémentaires ». Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante selon laquelle l’expertise médicale judiciaire ne constitue pas un droit pour les parties mais une mesure laissée à l’appréciation souveraine du juge.

Le médecin-conseil de l’employeur avait critiqué l’absence d’étude des mouvements passifs, arguant que le barème imposerait cet examen. La cour ne reprend pas expressément ce moyen mais confirme le caractère suffisant des constatations médicales. Les amplitudes articulaires relevées, comparées aux valeurs normales et au côté controlatéral, permettent une application directe du barème sans nécessité d’investigations supplémentaires.

La solution retenue par la Cour d’appel de Caen témoigne d’une application rigoureuse du barème indicatif d’invalidité, en refusant d’inférer du diagnostic initial une limitation du droit à réparation de l’assuré. Elle rappelle aux employeurs que la contestation du taux d’incapacité permanente suppose d’apporter des éléments médicaux pertinents, et non de se fonder sur des considérations abstraites relatives à l’évolution théorique d’une pathologie. L’arrêt conforte ainsi la protection des victimes de maladies professionnelles dans l’évaluation de leurs séquelles.

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Hassan KOHEN
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