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La Cour d’appel de Caen, Première chambre civile, a statué le 9 septembre 2025 sur un litige de construction relatif à l’extension et la surélévation d’une maison. Le contentieux portait sur la responsabilité contractuelle, avant réception, du maître d’œuvre et de l’entreprise de maçonnerie, ainsi que sur la nature et l’étendue des réparations utiles.
Les maîtres de l’ouvrage avaient confié une mission complète de conception, obtention du permis, consultation et suivi de chantier au maître d’œuvre. L’entreprise de maçonnerie avait élevé le pignon sud en le laissant partiellement brut et sans traitement d’étanchéité, provoquant deux infiltrations successives, puis une expertise judiciaire a été ordonnée.
Le tribunal judiciaire de Coutances, par jugement du 30 août 2022, avait retenu une double responsabilité contractuelle et condamné à une réfection lourde chiffrée à 40 595,52 euros, outre un préjudice de jouissance et un préjudice moral. Les professionnels ont interjeté appel sur la responsabilité, le quantum, et les appels en garantie, tandis que la garantie d’assurance, non déférée à la cour, restait écartée par l’autorité de la chose jugée.
La Cour d’appel confirme les responsabilités, réparties par moitié, mais adopte une reprise proportionnée selon la solution de l’expert, limite les travaux à 900 euros, et maintient une indemnisation pour jouissance et moral. Elle rappelle fermement les obligations pré‑réception du droit commun de la construction: « En exécution de ces textes, quelle que soit la qualification du contrat, tout professionnel de la construction est tenu, avant réception, d’une obligation de conseil et de résultat envers le maître de l’ouvrage. »
I. La consécration d’une double responsabilité contractuelle avant réception
A. Le manquement de conception et de suivi du maître d’œuvre
La juridiction retient une faute de conception, le projet n’ayant pas intégré un saillant du bâtiment voisin rendant impossible l’implantation en stricte limite telle qu’autorisée, ce qui a entraîné une non‑conformité au permis. La mission incluait la prise de cotes, la réalisation du dossier et le suivi du chantier; proposer une réception sans réserves, alors que le pignon demeurait partiellement brut et exposé, caractérise un défaut de surveillance. L’exigence de conseil vise tout professionnel impliqué dans la conception et le pilotage: « Le devoir de conseil et l’obligation de faire ont pour seules limites les termes du contrat. » En présence d’aléas connus, le maître d’œuvre devait alerter, adapter la conception ou exiger les protections adéquates, ce qui n’a pas été fait.
Ce rappel s’inscrit dans un cadre plus large où l’obligation de conseil et de résultat irrigue l’ensemble de la chaîne de construction avant réception. Le fondement mobilisé est celui du droit commun contractuel, décliné pour les métiers techniques. La Cour ancre ainsi l’engagement du maître d’œuvre dans la cohérence d’ensemble du chantier et dans la conformité administrative promise, indissociable d’une conception ajustée aux contraintes de site.
B. Le défaut d’étanchéité et l’obligation de résultat de l’entrepreneur
La Cour souligne que l’entrepreneur supporte une obligation de résultat quant à l’exécution conforme et à la délivrance d’un ouvrage clos et exempt de vices: « Avant réception, l’entrepreneur est tenu à une obligation de résultat s’agissant de l’exécution des travaux, qui le contraint à livrer un ouvrage exempt de vices de sorte que sa responsabilité est engagée en cas de non-conformités. » L’absence d’enduit ou de traitement d’imperméabilisation, jointe à un raccordement défaillant, a exposé la paroi au ruissellement et causé les infiltrations.
La Cour rappelle encore la rigueur des engagements contractuels: « De même, l’entrepreneur doit réaliser un ouvrage conforme aux prescriptions contractuelles et aux ordres de service qu’il a reçus. Toute différence par rapport à ces éléments engage sa responsabilité sans que le maître d’ouvrage n’ait, de ce point de vue, à faire la preuve de sa faute, conformément au droit commun des contrats. » La survenance des désordres suffit alors à déclencher la réparation, la Cour précisant que « A ce titre, tout désordre doit donner lieu à réparation, quelle que soit sa gravité, fût-il même de caractère purement esthétique. » La dualité des fautes, de conception et d’exécution, justifie un partage égal des responsabilités.
II. La mesure de la réparation et la portée de l’arrêt
A. Proportionnalité des reprises et refus d’une conformité abstraite
La demande de reconstruction intégrale, fondée sur un débat d’épaisseur d’agglos, est écartée. La Cour opère une distinction décisive entre normes obligatoires et règles de l’art, pour circonscrire la remise en état utile. Elle affirme que « Il résulte de la combinaison des anciens articles 1134, 1147 et 1382, devenu 1240 du Code civil, qu’en l’absence de désordre, le non-respect des normes qui ne sont rendues obligatoires ni par la loi ni par le contrat ne peut donner lieu à une mise en conformité à la charge du constructeur. » Elle précise de façon pédagogique que « Les règles de l’art ne font l’objet d’aucune codification. Elles constituent le savoir-faire habituel que le maître d’ouvrage peut attendre des professionnels considérés, dans leur champ d’activité. »
Dès lors, la réparation est calibrée sur le désordre avéré, à savoir l’étanchéité du pignon. La juridiction retient la solution préconisée par l’expert, techniquement suffisante et réalisable: « La solution technique proposée par l’expert pour la reprise des désordres apparaît donc réalisable et satisfactoire pour remédier aux non-conformités. » Le chiffrage est explicite et limité, ce que confirme le motif suivant: « Il chiffre le coût de ces travaux de reprise à 900 euros TTC. » La portée pratique est nette: la remise en état doit rester proportionnée au vice constaté, sans imposer une mise aux normes abstraite lorsque la loi, le contrat ou la technique ne l’exigent pas.
B. Partage de responsabilité et préjudices accessoires
La Cour maintient un partage par parts égales, chaque intervenant ayant contribué de manière autonome et déterminante au dommage, l’un par la conception et le suivi, l’autre par l’exécution et l’absence de protections. S’agissant du trouble de jouissance, elle s’appuie sur l’évaluation temporelle liée au retard de livraison et à l’éradication durable des infiltrations: « La durée du préjudice de jouissance a été estimée à 14 mois, période séparant la livraison programmée de l’ouvrage (décembre 2013) de la date à laquelle les infiltrations dans l’extension ont été durablement éradiquées (mars 2015). » La motivation confirme la pertinence de cette durée et l’absence d’allongement imputable aux reprises retenues: « La durée de 14 mois retenue par l’expert judiciaire apparaît donc pleinement justifiée, les travaux de mise en conformité considérés comme nécessaires par la cour n’étant pas de nature par ailleurs à générer un trouble de jouissance du bien. »
La réparation morale demeure, au regard de la longueur du contentieux et des tracas subis, dans un quantum mesuré, conforme aux critères habituels. L’économie générale de la décision articule exigence de responsabilité, proportionnalité de la reprise et sécurité juridique sur la hiérarchie des normes et des pratiques professionnelles, ce qui en précise la portée pour les acteurs de la construction.