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Par un arrêt du 9 septembre 2025, la Cour d’appel de Caen, Première chambre civile, infirme une ordonnance d’irrecevabilité prononcée en incident. Le litige oppose le propriétaire d’un fonds à un syndicat de copropriétaires et à son assureur à propos d’un mur séparatif menaçant ruine. Après un sinistre en 2019, deux expertises amiables puis une expertise judiciaire ont confirmé l’urgence d’une reprise, mais la propriété du mur demeurait incertaine.
Le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Caen avait déclaré l’action irrecevable, retenant l’absence de preuve de la propriété du mur. L’appelant sollicitait la reconnaissance de son intérêt à agir, la condamnation du syndicat à réaliser un étaiement sous astreinte, des dommages de jouissance et la poursuite de l’instance au fond. La cour rappelle que « la qualité et l’intérêt à agir ne sont pas subordonnés à la démonstration préalable du bien-fondé de l’action » et que « l’intérêt à agir doit s’apprécier au moment de l’engagement de l’action ». Considérant la menace d’effondrement et l’incertitude non tranchée sur la propriété, elle déclare l’action recevable, ordonne l’étaiement sous astreinte et renvoie les demandes indemnitaires au juge du fond.
I. Recevabilité de l’action et incertitude sur la propriété du mur
A. Autonomie de la recevabilité et temporalité de l’intérêt à agir
L’ordonnance fondée sur l’absence de preuve préalable de propriété confondait la fin de non-recevoir et le bien-fondé. La cour rectifie nettement l’analyse, en posant que « la qualité et l’intérêt à agir ne sont pas subordonnés à la démonstration préalable du bien-fondé de l’action ». La règle préserve l’accès au juge et empêche d’ériger une exigence probatoire de fond au stade de la recevabilité. Elle complète ce rappel par la clause temporelle décisive selon laquelle « l’intérêt à agir doit s’apprécier au moment de l’engagement de l’action ». L’intérêt naît ici d’un risque actuel d’effondrement, d’atteintes déjà constatées et d’une nécessité d’étaiement.
L’explication convainc. L’appelant est propriétaire de sa parcelle, subit un trouble et invoque des fondements alternatifs cohérents. L’expertise judiciaire recense des dommages sur ses aménagements, et constate l’insuffisance des dispositifs de drainage. En ce sens, « Il résulte de l’expertise judiciaire, que la poussée du mur a occasionné des dommages sur son abri de jardin dont le coût de reconstruction a été évalué par l’expert à 9 911,30 euros ». L’existence d’un dommage certain, bien que limité, suffit à caractériser un intérêt à agir. L’intensité probatoire requise pour la recevabilité demeure mesurée, conformément au droit positif, sans méconnaître la charge de la preuve au fond.
B. Mitoyenneté présumée et exception du mur de soutènement
La propriété du mur est au cœur de la controverse. La cour relève qu’« il apparaît cependant que les éléments produits aux débats ne permettent pas à ce stade de l’affaire, de trancher ce point du litige ». Cette prudence s’inscrit dans le cadre de l’article 789, alinéa 2, du code de procédure civile, que la cour cite expressément : « l’article 789 du code de procédure civile, prévoit dans son alinéa 2 que lorsque la fin de non-recevoir nécessite que soit tranchée au préalable une question de fond, le juge de la mise en état statue sur cette question de fond et sur cette fin de non-recevoir ». La possibilité de statuer au fond existe donc, mais suppose des éléments suffisants, ici défaillants.
La cour mobilise alors la présomption de mitoyenneté de l’article 653 du code civil, tout en rappelant sa limite classique. Elle souligne que « S’il est de jurisprudence constante, que l’article 653 du code civil n’est pas applicable au mur de soutènement, présumé appartenir à celui dont il soutient les terres et qui en profite ». Or, le caractère de soutènement du mur n’est pas établi avec certitude, les indices étant ambivalents. En l’absence de borne univoque et de certitude sur la fonction du mur, la présomption joue au moins comme support de recevabilité. La solution est équilibrée : elle évite de préjuger du fond, tout en ne sacrifiant pas la prévention des risques. Le débat sur la propriété demeure ouvert, et sera tranché par le juge du fond à l’aune d’un faisceau d’indices complété, le cas échéant, par un bornage ou une expertise spécialisée.
II. Mesures provisoires et office du juge de la mise en état
A. Compétence pour l’étaiement sous astreinte et finalité préventive
Le péril justifie une intervention conservatoire. La cour se réfère à l’article 789, 4°, du code de procédure civile : « Aux termes de l’article 789 4° du code de procédure civile, le juge de la mise en état est seul compétent pour ordonner notamment “toutes mesures provisoires, même conservatoires, à l’exception des saisies conservatoires et des hypothèques et nantissements provisoires” ». L’étaiement ordonné repose sur les constatations concordantes des expertises, qui avaient recommandé une reprise après drainage. L’inaction caractérisée du voisin, malgré l’alerte, renforce l’utilité de la mesure.
La cour prononce une injonction claire et proportionnée : « En conséquence, il convient de le condamner à procéder à l’étaiement du mur séparant les parcelles cadastrées section KH n° [Cadastre 4] et [Cadastre 5], sous astreinte de 250 euros par jour de retard à l’expiration d’un délai d’un mois après notification de la présente décision, et ce pendant une durée de six mois ». La modulation de l’astreinte ménage un délai d’exécution et cible la seule inertie fautive. L’office du juge de l’incident assume ainsi une fonction de police civile de l’instance, au service de la sécurité des personnes et des biens, sans anticiper le règlement indemnitaire.
B. Répartition des demandes entre incident et fond : cohérence et lisibilité
La cour maintient une frontière nette entre les pouvoirs conservatoires et le contentieux des responsabilités. Le préjudice de jouissance, lié aux troubles et aux perturbations d’usage, requiert une appréciation causale et un chiffrage discuté. Il relève du fond, et non de l’incident. Le rappel de compétence préserve la logique procédurale et évite de confondre la réparation pécuniaire avec la prévention immédiate du dommage. L’astreinte conserve sa nature comminatoire ; elle n’indemnise pas, elle contraint.
L’allocation d’une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et la condamnation aux dépens complètent l’économie de la décision. Elles marquent la conséquence procédurale de l’infirmation et la prise en charge des frais non compris dans les dépens exposés en appel. L’ensemble offre une solution lisible : la recevabilité est admise malgré l’incertitude sur la propriété du mur ; la sécurité est assurée par une mesure provisoire proportionnée ; la discussion indemnitaire demeure réservée au juge du fond, seul compétent pour trancher les responsabilités et la charge définitive des travaux.
I. Sens de l’arrêt
A. La recevabilité découplée du bien-fondé et ancrée dans le risque
B. La présomption de mitoyenneté comme pivot transitoire
II. Valeur et portée
A. Un office conservatoire affirmé et proportionné
B. Une séparation nette des phases indemnitaire et conservatoire