Cour d’appel de Cayenne, le 22 août 2025, n°24/00145

Par un arrêt du 22 août 2025, la chambre sociale de la cour d’appel de Cayenne a statué sur la recevabilité d’un appel-nullité formé contre un jugement rendu en dernier ressort en matière de contentieux de la sécurité sociale.

Un travailleur indépendant, gérant d’une société, avait formé opposition à une contrainte décernée par la Caisse générale de sécurité sociale de Guyane lui réclamant le paiement de 3 325 euros au titre de cotisations et majorations de retard pour le deuxième trimestre 2019. Par jugement du 8 mars 2024, le pôle social du tribunal judiciaire de Cayenne a déclaré l’opposition recevable mais mal fondée, validé la contrainte et condamné l’intéressé au paiement de la somme réclamée.

Par courrier du 9 mars 2024, reçu par la cour d’appel le 12 avril 2024, le cotisant a relevé appel-nullité de cette décision, invoquant un excès de pouvoir du tribunal qui aurait fait preuve de partialité en refusant d’appliquer les dispositions européennes et les lois françaises de transposition. La Caisse a soulevé l’irrecevabilité de l’appel au motif que le jugement ayant été rendu en dernier ressort, seul un pourvoi en cassation était ouvert.

La cour d’appel de Cayenne devait déterminer si un appel-nullité pour excès de pouvoir peut être formé contre une décision rendue en dernier ressort lorsque le pourvoi en cassation constitue une voie de recours ouverte.

La cour déclare l’appel-nullité irrecevable et se déclare incompétente, retenant que « l’appel-nullité pour excès de pouvoir n’est ouvert qu’à la condition qu’il n’existe pas d’autre voie de recours contre la décision dont la nullité est invoquée », ce qui n’est pas le cas en l’espèce dès lors que le pourvoi demeure accessible.

Cette décision illustre les contours stricts de l’appel-nullité, voie de recours prétorienne d’exception (I), et rappelle le caractère subsidiaire de ce recours au regard des voies ordinaires légalement ouvertes (II).

I. L’appel-nullité, voie de recours prétorienne aux conditions rigoureusement encadrées

L’arrêt circonscrit le domaine de l’appel-nullité en rappelant son fondement jurisprudentiel (A), puis en précisant la notion d’excès de pouvoir susceptible de l’ouvrir (B).

A. Le fondement jurisprudentiel d’une voie de recours extraordinaire

L’appel-nullité ne trouve sa source dans aucun texte législatif ou réglementaire. Il procède d’une construction prétorienne ancienne, forgée par la Cour de cassation pour permettre la contestation de décisions entachées de vices d’une particulière gravité. La cour d’appel de Cayenne rappelle cette origine en visant les articles 542, 543 et 562 du code de procédure civile, tout en soulignant qu’il est « constant » qu’un tel appel peut être interjeté « en cas d’excès de pouvoir lorsque le juge a méconnu l’étendue de son pouvoir de juger ».

Cette voie de recours répond à une logique de sauvegarde. Lorsqu’une décision excède les limites de l’office juridictionnel, le justiciable doit pouvoir la contester indépendamment des règles ordinaires de recevabilité de l’appel. La jurisprudence a ainsi admis que l’appel-nullité pouvait être dirigé contre des décisions insusceptibles d’appel, dès lors qu’aucune autre voie ne permettait de sanctionner l’excès de pouvoir.

La cour de Cayenne s’inscrit dans cette lignée jurisprudentielle. Elle ne remet pas en cause le principe de l’appel-nullité mais en précise les limites. Le caractère extraordinaire de cette voie impose une interprétation stricte de ses conditions d’ouverture.

B. La délimitation de la notion d’excès de pouvoir

L’appelant invoquait plusieurs griefs pour caractériser l’excès de pouvoir : la partialité du tribunal, le refus d’appliquer le droit européen, la violation de la Constitution et de la Convention européenne des droits de l’homme, ainsi que l’absence de réponse à ses demandes incidentes.

La cour écarte ces moyens avec fermeté. Elle relève d’abord que « la violation du principe de la contradiction ne peut être retenue » comme constitutive d’un excès de pouvoir. Ce faisant, elle distingue clairement les irrégularités de procédure, fussent-elles graves, de l’excès de pouvoir proprement dit.

L’arrêt précise ensuite qu’il est « expressément indiqué dans la décision que le jugement de première instance a statué sur la demande relative à l’examen de la qualité à agir » de la Caisse. La cour refuse ainsi de retenir un défaut de réponse aux demandes incidentes qui n’est pas avéré. Le juge de première instance a exercé son office dans les limites de sa saisine.

L’excès de pouvoir suppose une méconnaissance par le juge de l’étendue de ses attributions juridictionnelles. Il se distingue de l’erreur de droit, de l’appréciation contestable des faits ou de la violation des règles de procédure. Seul le premier ouvre l’appel-nullité.

II. Le caractère subsidiaire de l’appel-nullité face aux voies de recours légales

La cour affirme l’impossibilité de recourir à l’appel-nullité lorsqu’une autre voie demeure accessible (A), confirmant ainsi la cohérence du système des voies de recours (B).

A. L’exclusion de l’appel-nullité en présence d’une voie de recours ouverte

La cour d’appel de Cayenne pose une règle claire : « l’appel-nullité pour excès de pouvoir n’est ouvert qu’à la condition qu’il n’existe pas d’autre voie de recours contre la décision dont la nullité est invoquée ». Cette formulation synthétise une jurisprudence constante de la Cour de cassation.

En l’espèce, le jugement portait sur une contrainte de 3 325 euros. En application des articles L.211-16 et R.211-3-24 du code de l’organisation judiciaire, le tribunal judiciaire statue en dernier ressort pour les demandes inférieures ou égales à 5 000 euros en matière de contentieux de la sécurité sociale. Le jugement indiquait expressément avoir été rendu « en dernier ressort ».

La cour en déduit que « la seule voie de recours ouverte » au cotisant était le pourvoi en cassation. L’existence de cette voie suffit à exclure l’appel-nullité. Le caractère prétoriens de celui-ci ne lui confère pas vocation à doubler les voies légales existantes.

L’arrêt invite l’intéressé « à mieux se pourvoir », formule traditionnelle par laquelle le juge incompétent oriente le justiciable vers la juridiction adéquate. La Cour de cassation demeure seule compétente pour connaître des critiques dirigées contre un jugement rendu en dernier ressort.

B. La préservation de la cohérence du système des voies de recours

Cette solution préserve l’architecture procédurale édifiée par le législateur. L’article 543 du code de procédure civile réserve l’appel aux décisions rendues en premier ressort. L’article 605 attribue à la Cour de cassation le contrôle des décisions rendues en dernier ressort. Admettre l’appel-nullité contre ces dernières reviendrait à contourner cette répartition des compétences.

La cour de Cayenne souligne que cette voie « n’a pas vocation à se substituer à une voie de recours déjà ouverte à l’intéressé ». Le justiciable ne saurait choisir entre le pourvoi et l’appel-nullité selon sa convenance. Le caractère subsidiaire de l’appel-nullité s’impose comme un principe d’ordre procédural.

Cette rigueur s’explique par la fonction respective des juridictions. La cour d’appel juge en fait et en droit dans les limites de l’effet dévolutif. La Cour de cassation contrôle l’application de la règle de droit sans réexaminer les faits. L’appel-nullité ne peut servir à obtenir devant la cour d’appel un contrôle qui relève de la juridiction suprême.

La décision illustre également la sanction de comportements procéduraux déloyaux. La cour déclare irrecevables les écritures déposées après l’audience, sans avocat et sans respect du contradictoire. Le justiciable qui multiplie les initiatives hors des formes prescrites ne saurait tirer avantage de cette stratégie.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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