- Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre) LinkedIn
- Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Facebook
- Cliquez pour partager sur WhatsApp(ouvre dans une nouvelle fenêtre) WhatsApp
- Cliquez pour partager sur Telegram(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Telegram
- Cliquez pour partager sur Threads(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Threads
- Cliquer pour partager sur X(ouvre dans une nouvelle fenêtre) X
- Cliquer pour imprimer(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Imprimer
La Cour d’appel de Cayenne, 28 juillet 2025, statuant en référé, confirme le rejet d’une demande de provision au titre du préjudice économique consécutif à un décès sur la route. Saisie d’un appel limité, la juridiction précise les exigences probatoires conditionnant l’absence de contestation sérieuse, déterminante pour l’allocation d’une provision.
Le 22 octobre 2021, un passager décède lors d’un accident impliquant un véhicule assuré. Le conjoint survivant assigne le conducteur et l’assureur en référé, sollicitant diverses provisions, notamment une somme élevée au titre de la perte de revenus du foyer. Par ordonnance du 11 août 2023, le juge des référés alloue une provision pour le préjudice d’affection et les obsèques, mais rejette la provision économique. Un appel limité est formé contre ce chef.
Devant la Cour, l’appelant produit avis d’imposition, contrats et bulletins de paie pour établir le revenu de référence et capitaliser la perte selon un barème usuel. L’assureur conteste la fiabilité des pièces, relève des incohérences sur les bulletins, critique la lecture fiscale, et invoque l’existence d’un enfant reconnu, de nature à affecter le partage de la perte. Par arrêt avant dire droit du 16 décembre 2024, la Cour vérifie la recevabilité des demandes contre l’intimé défaillant, avant d’examiner le fond en audience publique.
La question posée tient à l’octroi d’une provision lorsque l’obligation d’indemniser se heurte à des contestations sérieuses sur les revenus de référence et la composition du foyer. La Cour retient le critère légal de la contestation sérieuse et confirme le rejet de la provision économique, sans préjuger du fond.
I – L’office du juge des référés face au préjudice économique des proches
A – Le critère de la contestation sérieuse et la provision
Le cadre normatif est rappelé avec netteté. « Aux termes de l’article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, une provision peut être accordée au créancier. » La Cour ancre ainsi son contrôle dans la logique de l’évidence, propre au référé-provision, qui ne tranche pas le fond mais apprécie la robustesse des contestations.
La nature du dommage invoqué est précisée en des termes constants. « Le préjudice économique des proches de la victime correspond à la diminution ou aux pertes des revenus des proches de la victime directe. » L’évaluation doit demeurer concrète. « La perte ou la diminution des revenus affectant ses proches doit être évaluée in concreto, en prenant en compte comme élément de référence les revenus annuels du foyer avant le dommage ayant entraîné le décès de la victime directe, déduction faite de la part de consommation personnelle du défunt, et des revenus que continue à percevoir le conjoint ou le partenaire d’un pacte civil de solidarité ou le concubin survivant. »
Ce rappel méthodologique commande la démarche du juge des référés. Il ne suffit pas d’alléguer la perte; encore faut-il justifier, par des pièces fiables et cohérentes, un revenu de référence et des charges de famille claires. À défaut, la contestation sérieuse demeure, et interdit la provision.
B – L’évaluation in concreto appliquée aux pièces produites
La Cour décline les paramètres de calcul usuels. « A ce titre, il convient de déduire de ce revenu global la part des dépenses de la victime décédée allant de 30 à 40 % pour un couple sans enfant et 15 à 20 % pour un couple avec un ou plusieurs enfants. » Elle précise le segment temporel pertinent. « En l’espèce, la période référence à prendre en compte pour le calcul des revenus annuels est celle du 22 octobre 2020 au 22 octobre 2021, date de l’événement ayant conduit à la mort de la victime directe. »
L’application révèle plusieurs fragilités probatoires. Des bulletins de paie manquent pour la période de référence; d’autres comportent des incohérences identifiables, notamment une discordance de numéros d’identification et l’absence de volume horaire reporté. Les avis d’imposition sont en outre interprétés de manière erronée, la somme retenue correspondant à un plafond d’épargne retraite, non à un revenu imposable. Enfin, l’existence d’un enfant reconnu impacte la répartition de la perte au sein des survivants et contredit l’hypothèse d’un couple sans enfant. L’addition de ces éléments emporte une contestation sérieuse, tant sur le principe actualisé que sur le quantum de l’obligation alléguée, ce qui, en référé, bloque la demande de provision.
II – Une exigence probatoire renforcée: appréciation et portée
A – Une solution cohérente avec l’office du juge, mais exigeante
La solution confirme une ligne jurisprudentielle prudente en matière de préjudice économique en référé. Elle refuse de pré-juger des points de fond lorsque les pièces révèlent incertitudes, lacunes et incohérences objectives. Cette retenue correspond à l’économie de l’article 835, qui réserve la provision aux seuls cas où l’obligation ne prête pas sérieusement discussion. L’arrêt sécurise l’office du juge des référés, préservant le contradictoire et la sérénité de l’instruction au fond, sans fragiliser la réparation par une décision hâtive.
L’exigence probatoire ressort de manière pédagogique. Le juge rappelle le cadre d’évaluation et les déductions usuelles, sans figer les pourcentages. Il souligne toutefois que des documents incomplets, discordants ou mal exploités ne peuvent asseoir une créance non sérieusement contestable. Cette approche protège contre l’aléa d’un versement provisionnel large, fondé sur des revenus de référence incertains, dans un contexte familial non stabilisé. Elle évite le risque d’indus et de restitutions ultérieures, préjudiciables à toutes les parties.
B – Incidences pratiques pour la réparation des proches et la conduite des dossiers
L’arrêt trace un chemin probatoire précis. En pratique, la partie sollicitant une provision économique devra produire un corpus complet et cohérent: bulletins couvrant la période de référence, attestations ou déclarations sociales, contrats et avenants concordants, et avis fiscaux correctement exploités. L’identification de l’employeur et l’exhaustivité des mentions utiles, notamment le volume horaire et les éléments de rémunération, doivent être vérifiées. À défaut, l’évidence requise par le référé fait défaut.
La composition du foyer constitue un paramètre décisif. La preuve d’enfants à charge ou reconnus influe sur les parts de consommation et la répartition de la perte entre survivants. L’éclairage fourni ici incite à clarifier ces éléments dès l’introduction de l’instance, par actes d’état civil, décisions éventuelles et justificatifs d’entretien. La Cour rappelle aussi l’utilité de segmenter temporellement les revenus de référence, afin d’éviter les agrégats annuels inadaptés, et d’écarter les confusions entre données fiscales de plafonds et revenus effectivement perçus.
La portée de la décision est double. Elle conforte une jurisprudence de prudence en référé, qui réserve la provision économique aux dossiers probatoires aboutis et stables. Elle incite, corrélativement, à privilégier une saisine au fond lorsque les éléments essentiels demeurent discutés, notamment en présence d’irrégularités documentaires ou de situations familiales complexes. En filigrane, l’arrêt rappelle que les barèmes de capitalisation et les pourcentages de consommation guident l’évaluation, mais ne suppléent jamais la démonstration rigoureuse des revenus de référence et de la configuration familiale.