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L’indemnisation des victimes d’infractions par le Fonds de garantie demeure un mécanisme essentiel de solidarité nationale, palliant les carences de solvabilité des auteurs d’infractions. La détermination des conditions d’accès à cette indemnisation soulève toutefois des difficultés d’interprétation que la cour d’appel de Cayenne a eu l’occasion de trancher dans un arrêt du 31 juillet 2025.
Une agent de police aux frontières a été gravement mordue par un chien lors d’une intervention de service le 25 mars 2016, nécessitant six jours d’hospitalisation. Le certificat médico-légal a retenu vingt-et-un jours d’incapacité totale de travail au sens pénal. La propriétaire de l’animal a été déclarée responsable par une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité homologuée le 3 octobre 2016. Le tribunal correctionnel de Cayenne, par jugement du 4 mars 2020, a condamné l’auteur à verser diverses indemnités à la victime. L’auteur ne s’étant pas exécuté, la victime a obtenu de son employeur une somme de 15 352,36 euros au titre de la protection fonctionnelle.
Par requête du 2 mars 2021, la victime a saisi la commission d’indemnisation des victimes d’infractions du tribunal judiciaire de Cayenne aux fins d’obtenir la liquidation de son préjudice. Par jugement du 1er mars 2024, la commission l’a déboutée de sa demande sur le fondement de l’article 706-3 du code de procédure pénale. La victime a interjeté appel de cette décision. Le Fonds de garantie des victimes d’infractions a conclu à la recevabilité de la demande tout en contestant l’évaluation de certains postes de préjudice.
La question posée à la cour était de déterminer si la victime remplissait les conditions de recevabilité de l’article 706-3 du code de procédure pénale, alors que l’incapacité totale de travail retenue par le certificat médico-légal était inférieure à un mois, mais qu’une atteinte permanente à l’intégrité physique avait été constatée par l’expert.
La cour d’appel de Cayenne a infirmé le jugement entrepris. Elle a jugé que « la fixation à 3% d’une atteinte permanente à l’intégrité physique et psychique suffit à satisfaire le critère de l’incapacité permanente » et que le droit à indemnisation était acquis « quelle que soit la durée d’ITT retenue par l’UMJ ».
La décision mérite examen tant au regard de l’interprétation des conditions d’accès à l’indemnisation par le Fonds de garantie (I) que de la méthodologie retenue pour l’évaluation des préjudices corporels (II).
I. L’interprétation extensive des conditions de recevabilité devant la CIVI
L’arrêt clarifie d’abord l’autonomie de la notion d’incapacité au sens de l’article 706-3 (A), avant de consacrer le caractère alternatif des critères de gravité ouvrant droit à indemnisation (B).
A. L’autonomie de la notion d’incapacité civile par rapport à l’incapacité pénale
La cour rappelle un principe désormais bien établi selon lequel « l’appréciation de la durée de l’incapacité totale de travail personnel prévue par l’article 706-3 du code de procédure pénale ne peut se limiter à l’incapacité totale de travail fixée par le certificat médical de l’unité médico-judiciaire ». Cette distinction est fondamentale.
L’incapacité totale de travail au sens pénal, telle que déterminée par les médecins légistes, constitue un élément de qualification de certaines infractions contre les personnes. Elle permet notamment de distinguer les violences contraventionnelles des violences délictuelles. Cette notion répond à des finalités répressives et s’apprécie de manière restrictive, centrée sur l’atteinte fonctionnelle immédiate.
L’incapacité visée par l’article 706-3 du code de procédure pénale poursuit une finalité indemnitaire différente. Elle vise à apprécier la gravité globale du dommage subi par la victime pour déterminer son accès au mécanisme de solidarité nationale. La cour consacre ainsi une lecture téléologique du texte, privilégiant la protection des victimes sur une interprétation littérale restrictive.
En l’espèce, le certificat médico-légal avait retenu vingt-et-un jours d’incapacité totale de travail, soit une durée inférieure au seuil mensuel exigé par le texte. Cette constatation avait conduit la commission de première instance à rejeter la demande. La cour corrige cette analyse en relevant que l’expertise judiciaire avait établi une gêne temporaire s’étendant sur près d’un an, avec des taux dégressifs de 75 à 10 pour cent.
B. Le caractère alternatif et non cumulatif des critères légaux de gravité
L’article 706-3 du code de procédure pénale subordonne le droit à indemnisation intégrale à la démonstration soit d’un décès, soit d’une incapacité permanente, soit d’une incapacité totale de travail personnel égale ou supérieure à un mois. La cour applique rigoureusement le caractère alternatif de ces conditions.
L’expert judiciaire avait fixé à trois pour cent le taux d’atteinte permanente à l’intégrité physique et psychique de la victime. La cour en déduit que ce seul constat « suffit à satisfaire le critère de l’incapacité permanente » et ouvre droit à indemnisation « quelle que soit la durée d’ITT retenue par l’UMJ ».
Cette solution emporte deux conséquences pratiques significatives. Elle interdit d’abord de cumuler les exigences légales pour restreindre l’accès à l’indemnisation. Une victime présentant une incapacité permanente, même minime, remplit la condition légale sans avoir à démontrer une incapacité temporaire supérieure à un mois. Elle permet ensuite d’indemniser des victimes dont les séquelles définitives, bien que modérées, traduisent la gravité réelle de l’atteinte subie.
La position du procureur général, qui avait requis la confirmation du rejet en observant qu’il s’agissait d’un accident du travail relevant de l’indemnisation par l’employeur, n’a pas été suivie. La cour réaffirme ainsi que la protection statutaire dont bénéficie un agent public ne fait pas obstacle à la saisine de la CIVI, conformément à la lettre de l’article 706-3 qui vise expressément « toute personne, y compris un agent public ou militaire ».
II. La méthodologie d’évaluation des préjudices corporels en présence d’une indemnisation administrative préalable
La cour procède ensuite à une liquidation détaillée des préjudices, illustrant tant les principes d’articulation avec les prestations déjà versées (A) que les critères d’appréciation de l’incidence professionnelle (B).
A. L’articulation entre indemnisation par le Fonds de garantie et protection fonctionnelle
L’article 706-9 du code de procédure pénale impose de tenir compte des sommes précédemment allouées à la victime dans le calcul des indemnités dues par le Fonds de garantie. Cette règle traduit le principe de réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime.
La cour applique méthodiquement ce principe à chaque poste de préjudice. Pour l’assistance tierce personne, elle retient un montant de 7 234,28 euros dont elle déduit les 5 877,86 euros versés par l’administration, allouant le solde de 1 356,42 euros. Pour le déficit fonctionnel temporaire et les souffrances endurées, elle entérine l’accord des parties sur des sommes résiduelles après déduction des versements administratifs. Pour le préjudice esthétique permanent, elle constate que la somme sollicitée de 500 euros est « identique à celle déjà perçue » et rejette la demande.
Cette méthode révèle la complémentarité entre les régimes d’indemnisation. La protection fonctionnelle accordée aux agents publics victimes d’infractions dans l’exercice de leurs fonctions n’exclut pas le recours au Fonds de garantie. Elle vient simplement en déduction pour éviter une double indemnisation du même préjudice.
La cour fixe par ailleurs le taux horaire de l’aide humaine à seize euros. Elle justifie ce choix par « la perte d’autonomie importante » de la victime et ses « difficultés de locomotion nécessitant un appareillage pendant plusieurs mois ». Cette motivation répond à la contestation du Fonds qui proposait un taux de quinze euros en invoquant le caractère non spécialisé de l’assistance requise.
B. L’appréciation souveraine de l’incidence professionnelle d’un agent public reclassé
Le poste d’incidence professionnelle concentrait l’essentiel du litige sur l’évaluation. La victime réclamait 46 961,35 euros après déduction de la somme versée par l’administration. Le Fonds proposait de limiter l’indemnisation à 10 000 euros sous réserve de justification du versement d’une allocation temporaire d’invalidité.
La cour retient une position intermédiaire en allouant 26 961,15 euros après déduction. Elle fonde cette évaluation sur plusieurs éléments factuels établis par les expertises. L’accident a entraîné « des séquelles irréversibles nécessitant un reclassement administratif dans un poste sédentaire ». L’aménagement du poste initial s’est révélé impossible. La victime ne peut plus accomplir de missions sur la voie publique « de façon définitive ». Elle subit une « pénibilité » quotidienne dans son emploi avec un taux d’invalidité de cinq pour cent.
La cour écarte cependant la demande maximale au motif que la victime « ne fournit pas d’autres éléments permettant de préciser la nature et l’ampleur de l’incidence de ses lésions sur ses perspectives et son évolution professionnelles ». Cette exigence probatoire traduit le contrôle exercé sur l’évaluation de ce poste de préjudice par nature prospectif.
Sur la question de l’allocation temporaire d’invalidité, la cour relève qu’« aucun élément versé aux débats ne permet d’attester que cette demande a été acceptée et qu’elle a effectivement perçu cette allocation ». Elle refuse en conséquence de procéder à une déduction hypothétique. Cette solution préserve le droit de la victime tout en réservant un éventuel recours du Fonds si l’allocation venait à être accordée ultérieurement.