Cour d’appel de Chambéry, le 21 août 2025, n°23/00639

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Rendue par la Cour d’appel de Chambéry le 21 août 2025, la décision tranche un litige relatif à la réparation d’un préjudice d’anxiété allégué par un salarié d’un site chimique. Après des transferts contractuels successifs et une cessation d’activité pour l’employeur visé, l’intéressé a saisi la juridiction prud’homale pour obtenir des dommages-intérêts ainsi qu’une somme distincte au titre d’une surveillance médicale post-professionnelle. Le premier juge a déclaré l’action recevable mais a débouté l’ensemble des demandeurs.

Devant la Cour d’appel, l’employeur oppose la prescription biennale, invoquant un point de départ ancien, tandis que le salarié soutient une prescription plus longue, voire différée, et réclame l’indemnisation de l’anxiété née de son exposition à des agents « CMR ». La Cour rejette la fin de non-recevoir, retient l’applicabilité de la prescription biennale de l’article L. 1471-1 du code du travail, puis confirme le rejet au fond des demandes pour défaut de preuve d’une exposition générant un risque élevé de pathologie grave pendant la période pertinente, y compris la demande liée à la surveillance post-professionnelle, accessoire aux expositions alléguées.

L’arrêt conduit d’abord à clarifier le régime de prescription de l’action en préjudice d’anxiété, avant d’apprécier les exigences probatoires gouvernant la démonstration du risque élevé et du préjudice personnellement subi.

I. Prescription et qualification du préjudice d’anxiété

A. La nature non corporelle du préjudice d’anxiété
La Cour définit la frontière entre dommage corporel et préjudice d’anxiété, en s’appuyant sur les catégories légales et la jurisprudence sociale. Elle rappelle d’abord que « Le dommage corporel se définit comme toute atteinte à l’intégrité physique et/ou psychique de la personne. » Elle ajoute que « La jurisprudence définit le préjudice d’anxiété comme étant constitué par les troubles psychologiques qu’engendre la connaissance par un salarié d’un risque élevé de développer une pathologie grave liée à son exposition au risque crée par une substance nocive ou toxique » (v. Cour de cassation, chambre sociale, 13 octobre 2021, n° 20-16.617).

La distinction est nette et décisive lorsque la Cour affirme que « La notion de “troubles psychologiques” ne saurait être assimilée à celle d’atteinte psychique, de simples troubles psychologiques ne caractérisant pas l’existence d’une pathologie psychique. » Il en résulte, selon elle, que « Ainsi, le préjudice d’anxiété ne constitue pas un dommage corporel au sens de l’article L 1471-1 alinéa 2 du code du travail », de sorte que s’applique la prescription biennale. La solution clarifie l’articulation entre articles 2226 du code civil et L. 1471-1 du code du travail, et s’inscrit dans une lecture restrictive du champ du dommage corporel, réservée aux atteintes consolidées, physiques ou psychiques.

Cette construction, fidèle à la définition prétorienne du préjudice d’anxiété, conforte la logique d’un régime de prescription unifié par l’article L. 1471-1 pour les manquements à l’obligation de sécurité. Elle met à distance les développements tirés de la CEDH, que la Cour juge « inopérante » en l’espèce, l’affaire ne soulevant pas un risque d’extinction systémique de l’action avant toute connaissance de la pathologie, situation visée par l’arrêt du 11 mars 2014.

B. Point de départ et charge de la preuve de la prescription
La Cour s’aligne sur la jurisprudence sociale récente, rappelant que le délai court « à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit » (art. L. 1471-1), et surtout que, pour l’action en anxiété CMR, « Ce point de départ ne peut être antérieur à la date à laquelle cette exposition a pris fin » (Cour de cassation, chambre sociale, 8 juillet 2020, n° 18-26.585 et s.). Cette borne temporelle protège contre un départ anticipé du délai lorsque le risque n’est pas encore objectivement connu du salarié.

La solution se double d’un rappel probatoire déterminant: « la charge de la preuve du point de départ d’un délai de prescription incombe à celui qui invoque cette fin de non-recevoir » (v. aussi Cour de cassation, chambre commerciale, 24 janvier 2024, n° 22-10.492). Faute d’éléments précis établissant la date de connaissance du risque élevé par le salarié, la fin de non-recevoir est écartée. La Cour note enfin que « Le délai de deux ans apparaît ainsi suffisant et proportionné » au regard de la nature du préjudice d’anxiété, ce qui conforte la compatibilité du régime avec les exigences d’effectivité du droit d’accès au juge.

Cette combinaison de règles concilie sécurité juridique et effectivité des recours: l’exigence de preuve pèse sur l’exception de prescription, tandis que la protection contre un point de départ anticipé évite d’éteindre l’action avant la fin de l’exposition et la prise de conscience du risque.

II. Exposition, risque élevé et preuve du préjudice

A. Les exigences probatoires posées par la Cour
Au fond, la Cour rappelle le standard probatoire gouvernant l’action en anxiété: « Pour prétendre à la réparation de son préjudice d’anxiété, le salarié doit justifier, outre son exposition à des produits “CMR” générant un risque élevé de développer une pathologie grave, de l’existence d’un préjudice d’anxiété personnel résultant de ce risque, l’employeur pouvant de son côté démontrer qu’il a pris les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, listées aux articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail. »

L’exigence d’un risque « élevé » commande une preuve contextualisée: identification des produits, conditions concrètes d’exposition, fréquence et intensité, corrélées au poste et aux périodes pertinentes. Des documents généraux, des supports internes non rattachés à la situation personnelle, ou des mentions approximatives, ne suffisent pas. La preuve du préjudice suppose en outre des éléments médicaux crédibles attestant une anxiété personnellement subie en lien causal avec le risque objectivé.

Ce standard, strict mais cohérent, vise à distinguer l’exposition hypothétique de l’exposition avérée et significative. Il est conforme à la finalité de l’action, qui répare un trouble psychologique spécifique né d’une connaissance précise d’un risque grave et personnel.

B. L’insuffisance des éléments versés et la cohérence du rejet au fond
Appliquant ces critères, la Cour observe que les documents produits ne rattachent pas, de manière individualisée, l’exposition alléguée aux postes effectivement occupés aux périodes pertinentes. Les pièces techniques citées ne mentionnent ni la situation personnelle ni des paramètres d’exposition suffisants; le dossier médical ne corrobore pas l’existence d’une exposition générant un risque élevé; certaines périodes correspondent à des fonctions d’études, présumées hors atelier, rendant l’exposition au mieux résiduelle.

La Cour souligne qu’une mention « occasionnelle » d’exposition antérieure ne suffit pas, en elle-même, à caractériser un risque élevé de pathologie grave. Elle en déduit, sans ambiguïté, l’absence de démonstration du lien entre les risques du site et la situation personnelle du demandeur pendant la période imputée à l’employeur visé. S’ensuit logiquement le rejet de la demande d’anxiété.

La demande relative à la surveillance médicale post-professionnelle reçoit le même sort. La Cour rappelle que ces dispositifs supposent l’établissement d’expositions effectives à des agents dangereux ou CMR. À défaut d’une telle preuve, l’allégation de manquements formels est inopérante. L’accessoire syndical, dépendant de la réussite des prétentions principales, est également rejeté.

En définitive, l’arrêt de la Cour d’appel de Chambéry du 21 août 2025 propose un équilibre lisible: il sécurise la prescription en cantonnant l’anxiété hors du dommage corporel, tout en préservant l’accès au juge par une charge de preuve rigoureuse du point de départ. Il confirme surtout, au fond, que l’action en anxiété requiert une démonstration individualisée et étayée de l’exposition et du risque élevé, condition préalable à toute réparation.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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