Cour d’appel de Chambéry, le 28 août 2025, n°23/00015

La Cour d’appel de Chambéry, chambre sociale, 28 août 2025, statue sur un contentieux de harcèlement moral, sécurité, et conséquences salariales. La salariée, engagée en 1999 et promue cadre en 2020, a été placée en arrêt maladie le 27 mai 2021. Déclarée inapte le 6 août 2021 avec dispense de reclassement, elle a été licenciée pour inaptitude le 3 septembre 2021.

Le conseil de prud’hommes d’Annemasse, 13 décembre 2022, a rejeté l’essentiel des demandes indemnitaires et salariales. Appel a été relevé le 4 janvier 2023, l’employeur ayant ensuite été placé en liquidation avec intervention du liquidateur judiciaire. L’affaire a été clôturée le 12 mars 2025, plaidée le 27 mars 2025, puis mise en délibéré au 28 août 2025.

En cause d’appel, la salariée sollicitait notamment la reconnaissance d’un harcèlement, des rappels de salaires, des heures supplémentaires, la nullité ou l’absence de cause. Elle demandait encore un complément d’indemnité conventionnelle et la réparation d’un manquement relatif à un contrat d’épargne retraite d’entreprise. La cour retient l’existence d’un harcèlement et d’un manquement de prévention sans indemnisation, ordonne plusieurs rappels salariaux et un complément d’indemnité, refuse la nullité.

I. La caractérisation du harcèlement et la prévention

A. L’appréciation globale et la preuve aménagée

La cour rappelle le cadre légal et la méthode d’examen global des faits. Elle énonce que « Le juge doit considérer les faits pris dans leur ensemble pour apprécier s’ils permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral ». Elle souligne encore que « Les méthodes de gestion dès lors qu’elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d’entraîner une dégradation des conditions de travail susceptible notamment de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, ou d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel peuvent caractériser un harcèlement moral ».

Appliquée aux éléments produits, cette méthode conduit d’abord à retenir plusieurs faits non justifiés objectivement, à côté d’autres que l’employeur explique utilement. La cour constate alors que « L’analyse de ces éléments, pris dans leur ensemble, laisse supposer l’existence d’un harcèlement ». Elle en déduit ensuite, au terme de la discussion contradictoire, que « L’employeur ne démontrant pas que l’ensemble des faits laissant présumer un harcèlement résulte d’éléments objectifs étranger à tout harcèlement, ce dernier est établi ».

La reconnaissance du harcèlement ne suffit pourtant pas à ouvrir droit, en elle‑même, à des dommages et intérêts. La juridiction précise en effet, dans le cadre de la demande indemnitaire distincte, que « Au regard de ces éléments, la décision déférée sera confirmée en ce qu’elle a débouté la salariée de sa demande de dommages et intérêts au titre du harcèlement moral ». La présomption légale organise la preuve de la matérialité et du lien avec les conditions de travail, non celle du préjudice.

B. Le manquement de sécurité sans indemnisation

S’agissant de l’obligation de prévention, la cour retient un défaut de démarche d’évaluation et de suivi, malgré l’existence d’alertes internes explicites. Elle juge que « Ces éléments caractérisent de la part de l’employeur un manquement à son obligation de prévention et de sécurité ».

La réparation échoue cependant en l’absence d’éléments médicaux ou factuels suffisants sur la réalité d’un dommage réparable distinct. La motivation est nette : « Cependant, la salariée ne caractérise aucunement la nature du préjudice qu’elle aurait subi au titre de ce manquement, et ne produit aucune pièce de nature à en démontrer l’existence ». L’exigence probatoire rejoint ici l’évolution jurisprudentielle, qui distingue la faute de prévention et la preuve d’un préjudice personnellement subi.

L’ensemble consacre une double leçon. La charge probatoire aménagée sert l’établissement du harcèlement et du manquement préventif. Le droit à réparation suppose, en outre, un dommage caractérisé et rattaché, ce que la cour contrôle strictement.

II. Les incidences sur l’exécution et la rupture

A. Maintien de salaire, heures supplémentaires, indemnité conventionnelle

Sur le maintien de salaire pendant la maladie, la solution se fonde sur la convention applicable et la subrogation. La cour relève que « La convention collective applicable prévoit le maintien de salaire et l’employeur ne conteste pas avoir perçu les indemnités journalières destinées à la salariée par subrogation ». Le rappel s’ensuit, au vu des bulletins et de l’absence de reversement.

Concernant les heures supplémentaires de 2020, la juridiction valorise un faisceau d’indices précis et concordants, dont une validation managériale. La formule est sans ambiguïté : « Ces éléments démontrent la réalisation par la salariée de 12 heures supplémentaires en 2020 ». Le contrôle exercé illustre la distribution probatoire de l’article L. 3171‑4 et la souveraineté d’évaluation du quantum.

L’indemnité de licenciement est recalculée d’après l’ancienneté, l’âge et le salaire de référence, avec majoration conventionnelle. La cour acte que « Elle aurait dû percevoir une indemnité conventionnelle de licenciement de 37812,29 euros ». Le complément est donc fixé, marquant une vigilance sur l’application des dispositions conventionnelles relatives aux cadres expérimentés.

B. Absence de nullité et demandes connexes

La nullité du licenciement est écartée, faute de causalité établie entre le harcèlement constaté et l’inaptitude. La motivation souligne que « Ces éléments sont insuffisants pour démontrer que le licenciement pour inaptitude qui est intervenu trouve au moins partiellement sa cause dans les faits de harcèlement moral qu’a subis la salariée ou dans le manquement de l’employeur à son obligation de prévention et de sécurité ». La cour retient ainsi la dissociation entre reconnaissance du harcèlement et régime des ruptures.

La demande relative à un contrat d’épargne retraite d’entreprise est d’abord admise procéduralement. La cour tranche que « La demande est donc recevable ». Sur le fond, elle constate l’absence d’obligation de versement et de retenues salariales corrélatives, de sorte que « En l’absence de démonstration d’une faute de la part de l’employeur, la décision déférée sera donc confirmée en ce qu’elle a débouté la salariée de sa demande à ce titre ». Le contentieux est recentré sur les seules obligations nées des textes ou des engagements effectifs.

Enfin, la juridiction ordonne la remise des documents de fin de contrat rectifiés et fixe des sommes au titre des frais irrépétibles, tout en répartissant les dépens. L’économie générale de l’arrêt articule reconnaissance des manquements, exigence de preuve du dommage, et restitution des équilibres contractuels par les rappels salariaux et le calcul conventionnel.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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