Cour d’appel de Chambéry, le 4 septembre 2025, n°24/00059

La Cour d’appel de Chambéry, 4 septembre 2025, statue sur le licenciement d’un cadre pour faute lourde, prononcé à la suite d’une enquête interne. Les faits tiennent à la minoration du prix d’un lot acquis auprès de l’employeur, à l’intégration de combles et à des travaux imputés à l’entreprise. Le premier juge avait retenu la faute grave et débouté le salarié de ses demandes indemnitaires.

En appel, le salarié sollicite l’infirmation, la reconnaissance d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que le paiement de variables et d’actions. L’employeur conclut à la faute lourde, à tout le moins à la faute grave, et s’oppose aux demandes accessoires. La procédure révèle des thèses opposées sur la prescription disciplinaire et sur la caractérisation d’une intention de nuire.

La question de droit porte sur le point de départ de la prescription de l’action disciplinaire, puis sur la qualification de la faute et ses effets. La cour écarte la prescription et refuse la faute lourde, faute d’intention de nuire, tout en confirmant la faute grave et les conséquences qui s’y attachent. « La nature et la multiplicité des agissements frauduleux caractérisent la gravité de la faute commise », mais « seule une faute grave est caractérisée ».

I – La prescription disciplinaire, entre connaissance des faits et investigations nécessaires

A – Le critère de la connaissance « précise et complète » et la charge de la preuve
La cour rappelle le cadre légal de l’article L.1332-4 et fixe clairement les exigences probatoires. Elle énonce que « la prescription court à compter du jour où l’employeur a eu une connaissance suffisamment précise et complète des faits reprochés au salarié pour être en mesure d’apprécier s’ils sont de nature à justifier une sanction disciplinaire ». Elle ajoute que « il appartient à l’employeur de rapporter la preuve de la date à laquelle il a eu connaissance des faits ». Ces visas posent le standard de contrôle et imposent d’objectiver la chronologie de découverte.

Le raisonnement distingue la commission des faits et leur révélation utile, en retenant des éléments circonstanciés issus d’alertes et de recoupements. L’approche s’inscrit dans une ligne jurisprudentielle prudente, qui protège le délai de deux mois sans figer l’employeur à la date de simples soupçons. La cour se fonde sur la preuve d’une connaissance opératoire, suffisamment étayée par des pièces concordantes.

B – L’enquête interne comme vecteur de datation et la non-prescription retenue
La décision constate l’absence d’information antérieure au siège sur les évolutions de prix par lot et sur les modifications techniques. Des attestations et échanges datés établissent une première alerte en octobre, suivie de vérifications matérielles décisives. La cour en déduit que la connaissance utile n’est pas antérieure et que le délai a été respecté.

La solution est explicitée par un motif net et dépourvu d’ambiguïté temporelle. La juridiction affirme que « la convocation à l’entretien préalable ayant été notifiée le 9 novembre 2021, soit moins de deux mois après la prise de connaissance des premiers éléments en octobre 2021, les faits fautifs visés dans la lettre de licenciement ne sont pas prescrits ». La méthode, factuelle et rigoureuse, évite l’écueil d’une enquête dilatoire non démontrée, tout en consacrant son effet suspensif lorsque des diligences utiles apparaissent.

II – La qualification fautive et ses effets, entre refus de la lourde et confirmation de la grave

A – L’absence d’intention de nuire et la substitution opérée par le juge
La cour rappelle la définition et la spécificité de la faute lourde. Elle retient que « la faute lourde est celle qui, comme la faute grave, résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits […] d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise […]. Elle suppose, en outre, l’intention de nuire du salarié ». Elle ajoute, conformément à la jurisprudence de la chambre sociale, que « dès lors que le juge ne retient pas la qualification de faute lourde […], il est tenu […] de vérifier si les faits reprochés […] ne sont pas constitutifs d’une faute grave ».

L’application aux faits opère une double distinction entre la gravité des manquements et l’intention spécifique de nuire. La cour constate des agissements frauduleux multiples rendant impossible le maintien, tout en rejetant l’élément intentionnel dirigé contre l’employeur. Elle écrit que « la nature et la multiplicité des agissements frauduleux caractérisent la gravité de la faute », mais que la preuve d’une volonté de porter atteinte fait défaut. La conclusion est brève et décisive : « seule une faute grave est caractérisée ».

B – Les conséquences indemnitaires et accessoires de la qualification retenue
La qualification de faute grave prive le salarié du préavis, de l’indemnité de licenciement et du rappel de salaire pendant la mise à pied conservatoire. Elle commande aussi l’examen des demandes accessoires. Au titre des circonstances de la rupture, la cour juge que « le salarié à qui incombe la charge de la preuve, ne justifie pas de circonstances vexatoires ayant accompagné la rupture de son contrat de travail, ni d’un préjudice en résultant ». Le chef de demande est justement rejeté, faute d’éléments probants.

S’agissant des éléments variables de rémunération et des actions de performance, la cour retient l’efficacité de la clause de présence. Elle constate que « le licenciement pour faute grave ayant été prononcé le 7 décembre 2021 avec effet immédiat, le salarié ne remplissait pas la condition de présence effective exigée par le plan d’attribution ». L’absence de la condition au 31 janvier suivant emporte perte des droits, indépendamment du motif de la sortie, conformément à l’engagement signé.

L’économie de l’arrêt se révèle cohérente, en articulant les principes de prescription disciplinaire et la grille de lecture de la faute lourde. La motivation concilie répression de manœuvres déloyales et exigence d’une intention de nuire autonome, tout en précisant les effets indemnitaires attachés à la faute grave. Les demandes accessoires, finalement, se heurtent au défaut de preuve ou à des conditions contractuelles licites, que la cour applique avec mesure.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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