Cour d’appel de Chambéry, le 4 septembre 2025, n°24/00099

Par un arrêt du 4 septembre 2025, la Cour d’appel de Chambéry tranche un contentieux relatif à un forfait annuel en jours et à ses effets sur les heures supplémentaires. Un cadre, recruté depuis plusieurs années et chargé de responsabilités étendues, a démissionné après avoir sollicité la nullité du forfait-jours, des rappels d’heures, une indemnisation au titre de la sécurité et une sanction pour travail dissimulé.

La juridiction prud’homale avait partiellement fait droit aux demandes, retenant l’inopposabilité du forfait sur certaines périodes et allouant un rappel limité. Saisie par l’appelant et par l’employeur, la juridiction d’appel annule la convention de forfait conclue sous l’égide d’un accord d’entreprise, rétablit le décompte horaire et condamne au paiement d’un rappel d’heures et de contreparties en repos. Elle confirme toutefois le rejet des dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité et la demande d’indemnité pour travail dissimulé.

La question de droit portait sur le niveau de garanties que doit offrir l’accord collectif fondant un forfait-jours, sur la méthode probatoire applicable aux heures supplémentaires après annulation, et sur les conditions d’indemnisation du manquement à l’obligation de sécurité ainsi que du travail dissimulé. La solution donnée est nette: « Il résulte des dispositions des articles L. 3121-58 et suivants du code du travail que la mise en place d’une convention individuelle de forfait suppose l’existence d’un accord collectif […] et une convention individuelle […] passée par écrit », et « Le juge doit s’assurer que l’accord collectif est de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables […]. » L’accord d’entreprise en cause n’offrant pas de suivi effectif, la convention est annulée; suit un rappel substantiel d’heures, sans indemnisation des autres chefs.

I. Le contrôle du forfait-jours et l’annulation prononcée

A. Le standard de garanties effectives exigé par le juge
La Cour rappelle le double fondement conventionnel et individuel, puis l’exigence d’un encadrement protecteur de la santé. Elle cite que « Le juge doit s’assurer que l’accord collectif est de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé, et donc, à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié. » Le contrôle ne se limite pas à l’existence d’un texte; son contenu doit permettre une prévention opérationnelle des surcharges.

L’arrêt précise ensuite le corollaire organisationnel: « Il est de principe que non seulement l’employeur doit justifier que le contrôle du temps et de la charge de travail est opéré, et qu’il existe un système correctif lui permettant d’ajuster rapidement ce temps et cette charge de travail […]. » La référence expresse à un « système correctif » signale que l’obligation ne se réduit pas à enregistrer; elle suppose d’alerter et d’ajuster en temps utile. À défaut, l’inopposabilité est encourue, voire l’annulation retenue par la Cour.

B. L’insuffisance du suivi auto-déclaratif prévu par l’accord d’entreprise
Appliquant ce standard, la Cour relève: « Il en ressort que cet accord qui se contente de prévoir un système auto déclaratif […] et un entretien annuel ne permet pas à l’employeur l’organisation d’un suivi effectif et régulier, à savoir de remédier en temps utile à une charge de travail […] incompatible avec une durée raisonnable. » Le dispositif se borne à un relevé mensuel et à un entretien annuel, sans contrôle structurel des repos et de l’amplitude, ni mécanisme d’alerte opposable.

La conséquence est explicitement fixée: « Cette annulation de la convention de forfait en jours litigieuse entraîne le retour automatique au décompte horaire du temps de travail […] avec […] la possibilité pour le salarié de solliciter le paiement d’heures supplémentaires […]. » La Cour opte pour l’annulation, solution plus radicale que l’inopposabilité parfois retenue, mais qui produit ici les mêmes effets indemnitaires, le décompte hebdomadaire redevenant la règle.

II. La preuve et les effets contentieux postérieurs à l’annulation

A. La méthode probatoire des heures supplémentaires et la condamnation
Le cadre légal est rappelé avec précision: « Par application de l’article L. 3171-4 du code du travail, […] l’employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés […]. » La Cour ajoute: « Il résulte de ces dispositions […] qu’il appartient au salarié de présenter […] des éléments suffisamment précis […] afin de permettre à l’employeur […] d’y répondre utilement […]. » Le juge forme ensuite sa conviction au regard des pièces adverses et des exigences légales.

Trois précisions structurent l’office du juge prud’homal. D’abord, « Après analyse des pièces […] la juridiction prud’homale évalue souverainement […] l’importance [des heures] et fixe les créances salariales […]. » Ensuite, « Par ailleurs, il doit être rappelé que l’absence d’autorisation […] pour effectuer des heures supplémentaires est indifférente dès lors que [elles] ont été rendues nécessaires par les tâches confiées […]. » Enfin, « Il est de principe que n’est pas suffisant un calcul basé sur une durée moyenne hebdomadaire théorique. » La Cour retient des agendas et courriels une trame temporelle crédible, relève la carence des éléments contradictoires fournis par l’employeur, et note que « La seule remarque de l’employeur […] est insuffisant[e] » pour renverser l’ensemble. Elle fixe en conséquence un rappel élevé et la contrepartie obligatoire en repos.

B. La responsabilité de l’employeur et l’intention dolosive encadrées
Sur l’obligation de sécurité et l’exécution loyale, l’arrêt retient des manquements, notamment l’absence de réaction rapide à des alertes et l’organisation d’une charge objectivement excessive. Toutefois, l’allocation d’un dommage suppose un préjudice établi: « Il appartient au salarié de démontrer le préjudice qu’il invoque, dont les juges du fond apprécient souverainement l’existence et l’étendue. » Faute de lien suffisamment caractérisé entre les troubles allégués et les manquements, aucune indemnité n’est allouée, ce qui s’accorde avec l’exigence actuelle de démonstration du dommage.

S’agissant du travail dissimulé, la Cour rappelle l’élément intentionnel requis et affirme que « Ce caractère intentionnel ne peut résulter du seul défaut de mention des heures supplémentaires sur les bulletins de paie ni se déduire de la seule application d’une convention de forfait illicite. » L’irrégularité structurelle du forfait-jours et l’absence de paiement d’heures ne suffisent donc pas; sans preuve d’une volonté frauduleuse, l’indemnité forfaitaire de six mois n’est pas due.

Cette décision renforce l’exigence d’un encadrement effectif du forfait-jours, fondé sur un suivi réel de l’amplitude et des repos, immédiatement ajustable. Elle illustre aussi la rigueur probatoire attachée aux heures supplémentaires après retour au droit commun, ainsi que la distinction nette entre la constatation d’un manquement, la preuve du préjudice indemnisable et l’intention dolosive exigée pour caractériser un travail dissimulé.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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