Cour d’appel de Chambéry, le 4 septembre 2025, n°24/00129

Par un arrêt de la Cour d’appel de Chambéry, chambre sociale, du 4 septembre 2025, les juges du second degré ont partiellement infirmé la décision prud’homale, tout en retenant la faute grave. L’affaire concerne un directeur de résidence licencié en septembre 2020, après convocation et entretien, dans un établissement d’hébergement touristique employant plus de onze salariés.

Saisi en 2023, le conseil de prud’hommes avait jugé le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, allouant indemnités de rupture et frais, mais rejetant plusieurs demandes accessoires. L’appel principal du salarié et l’appel incident de l’employeur ont porté le litige sur le temps de travail, la régularité disciplinaire, et la qualification de la rupture.

Le salarié réclamait des rappels d’heures supplémentaires, une indemnisation pour repos quotidien et hebdomadaire non respectés, une contrepartie obligatoire en repos, une indemnité pour travail dissimulé, l’annulation d’un avertissement, ainsi que des dommages pour exécution déloyale et rupture brutale. L’employeur sollicitait la reconnaissance de la faute grave, le rejet des prétentions adverses, et la confirmation des rejets prononcés.

La Cour devait préciser la règle probatoire en matière d’heures sous forfait annuel, le régime applicable à la contrepartie obligatoire en repos, les conditions constitutives du travail dissimulé, la validité d’un avertissement imprécis, et la qualification d’actes d’insubordination répétés. Elle a admis un rappel d’heures et une indemnisation pour repos violés, exclu la contrepartie obligatoire en repos, retenu le travail dissimulé, annulé l’avertissement, rejeté le licenciement verbal, et caractérisé la faute grave.

I. Le temps de travail et ses suites indemnitaires

A. La preuve des heures et l’octroi des rappels

La Cour rappelle d’abord la règle probatoire gouvernant les heures de travail. Elle cite que « il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments ». Cette grille, articulée à l’office du juge, s’achève ainsi: « Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant (Soc., 18 mars 2020, pourvoi n° 18-10.919). »

Au vu de relevés hebdomadaires et mensuels précis, la Cour constate un volume d’heures effectuées au-delà du forfait annuel de référence. Les rappels sollicités sont retenus après vérification des échanges démontrant la capacité de contrôle de l’employeur et l’existence d’éléments corroborants. La méthode est classique, et s’inscrit dans une appréciation concrète, sans surévaluer des tâches accessoires invoquées.

Les fiches de suivi mettant en évidence des dépassements répétés, la Cour indemnise les atteintes aux repos quotidien et hebdomadaire. Elle vise des semaines excédant les plafonds, des journées supérieures à dix heures, et un cumul significatif sur douze semaines. L’indemnisation spécifique répare les manquements avérés, sans étendre le débat au-delà des données utiles.

B. La contrepartie obligatoire en repos, le travail dissimulé et la sanction d’un avertissement imprécis

S’agissant de la contrepartie obligatoire en repos, la Cour retient la solution de principe propre aux forfaits annuels en heures. Elle énonce que « Cependant l’alinéa 2 de l’article D.3121-24 du même code dispose que le contingent annuel d’heures supplémentaires ne s’applique pas aux salariés mentionnés à l’article L.3121-56 qui ont conclu une convention de forfait en heures sur l’année. » Elle en déduit, conformément au précédent rappelé, que « Dès lors, les salariés ayant signé une convention de forfait en heures sur l’année, qui sont exclus du champ d’application du contingent annuel d’heures supplémentaires le sont en conséquence de celui du repos compensateur (Soc. 28 mars 2018, pourvoi n° 16-16.466). »

En revanche, la dissimulation d’emploi salarié est caractérisée. La Cour rappelle le cœur du texte applicable: est constitutif de travail dissimulé le fait « de mentionner sur [le bulletin de paie] un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli » lorsque cette mention ne résulte pas d’un aménagement conventionnel licite. L’absence de toute mention d’heures supplémentaires sur une période significative, alors que des relevés existaient, justifie l’indemnité forfaitaire de six mois de salaire.

Enfin, l’avertissement disciplinaire antérieur est annulé pour défaut de motivation suffisante. La Cour juge que « Les griefs formulés dans ce courrier à l’encontre du salarié sont particulièrement imprécis et ne permettaient pas au salarié de connaître les raisons pour lesquelles il était sanctionné […] rendant invérifiables les griefs allégués. » L’exigence de précision protège l’exercice des droits de la défense, même en l’absence d’entretien préalable requis pour ce type de sanction.

II. Le licenciement: contrôle de la motivation, procédure et faute grave

A. Licenciement verbal écarté, office de la lettre de licenciement et précisions ultérieures

La Cour écarte d’abord l’allégation de rupture verbale avant l’entretien. Elle rappelle que « La manifestation par l’employeur, avant l’entretien préalable, de sa volonté irrévocable de rompre le contrat de travail constitue un licenciement verbal dépourvu de cause réelle et sérieuse (Soc., 12 décembre 2018, n°16-27.537). » Les éléments produits, fragmentaires et contradictoires, ne démontrent pas une notification irrévocable, ni l’identité certaine de l’interlocuteur décisionnaire.

La motivation du licenciement borne le débat contentieux. La Cour réaffirme que « La lettre d’énonciation des motifs de licenciement fixe les limites du litige (Soc. 13 nov. 1991, n°88-43.523). » Elle prend toutefois en compte les précisions demandées dans le délai légal, au visa de l’article L.1232-13 du code du travail, pour apprécier chaque grief dans sa matérialité et sa pertinence fautive.

Quant à l’avertissement antérieur remis en réunion, la critique tenant à la forme est écartée. La Cour rappelle textuellement que « Il convient de rappeler qu’en vertu de l’article L.3332-2 du code du travail, aucun entretien préalable n’est nécessaire au prononcé d’un avertissement disciplinaire et l’employeur n’avait pas à le prévenir avant la remise dudit courrier ou à prévoir un rendez-vous spécifique pour le lui remettre. » Le débat reste centré sur le contenu, déjà jugé insuffisamment précis.

B. Faute grave caractérisée par des manquements répétés aux directives et conséquences sur les demandes accessoires

La Cour définit le standard applicable: « La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. » Elle retient plusieurs manquements récents, établis par pièces concordantes: ventes et ouvertures du bar contraires aux instructions sanitaires, recours à un prestataire sans autorisation préalable, et violations réitérées des règles impératives de durée et d’aménagement du temps de travail des équipes.

La Cour observe que l’employeur avait renoncé à sanctionner les faits antérieurs à un rappel à l’ordre explicite. Elle relève cependant la persistance de comportements fautifs postérieurs, malgré des rappels clairs. La formule est nette: « La multiplicité et la répétition des manquements ainsi que leur nature rendaient impossible la poursuite du contrat de travail. » La faute grave est donc constituée, excluant indemnité de préavis et indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Les circonstances de la rupture ne caractérisent pas une brutalité fautive. La Cour rappelle le principe selon lequel « le salarié licencié peut prétendre à des dommages-intérêts en réparation d’un préjudice distinct […] à la condition de justifier d’une faute de l’employeur […] de nature brutale ou vexatoire ». Après examen des échanges, le délai de libération du logement de fonction est qualifié de proportionné: « Il s’agit d’un délai raisonnable. » La contestation relative à l’attestation destinée à l’assurance chômage est également rejetée, les montants pertinents y figurant dans les rubriques appropriées.

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Hassan KOHEN
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