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La qualification de faute grave à raison d’un comportement dégradant les conditions de travail des collègues constitue un sujet récurrent du contentieux prud’homal. L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Colmar le 1er juillet 2025 illustre la manière dont les juges du fond apprécient la gravité d’agissements répétés justifiant la rupture immédiate du contrat de travail.
Un salarié engagé en qualité d’assistant technicien en 1987, devenu cadre administratif après plusieurs transferts successifs de son contrat, a été licencié pour faute grave le 1er juin 2021. L’employeur lui reprochait une exécution déloyale du contrat de travail ainsi que des faits de harcèlement moral, révélés à la suite d’une altercation survenue le 12 mars 2021 avec un collègue sur un chantier, en présence d’une cliente.
Le conseil de prud’hommes de Colmar, par jugement du 5 septembre 2023, a requalifié le licenciement en licenciement pour cause réelle et sérieuse, écartant la faute grave faute de preuve suffisante de la gravité de l’altercation. Il a condamné l’employeur au paiement de diverses indemnités. La société employeur a interjeté appel le 4 octobre 2023 afin de voir reconnaître la faute grave.
La question posée à la cour consistait à déterminer si le comportement habituel du salarié à l’égard de ses collègues, caractérisé par une attitude hautaine et méprisante ayant conduit à une altercation physique, constituait une faute grave rendant impossible le maintien dans l’entreprise.
La Cour d’appel de Colmar infirme partiellement le jugement et retient la faute grave. Elle considère que « ce comportement fautif de M. [X] [R], qui avait pour effet de dégrader les conditions de travail et était de nature à porter atteinte à la santé d’autres salariés, rendait impossible la poursuite du contrat de travail ».
Cette décision invite à examiner la caractérisation de la faute grave par l’accumulation de comportements fautifs (I), avant d’en apprécier les conséquences sur la rupture du contrat de travail (II).
I. La caractérisation de la faute grave par l’accumulation de comportements fautifs
La cour procède à une analyse minutieuse des éléments de preuve rapportés par l’employeur (A), puis établit le lien entre le comportement habituel du salarié et l’altercation survenue (B).
A. L’appréciation souveraine des éléments probatoires
La Cour d’appel de Colmar examine avec attention les différentes pièces versées aux débats pour établir la réalité des griefs. Elle s’appuie principalement sur le compte-rendu d’entretien avec le collègue victime de l’altercation, lequel expose que le salarié licencié lui « manque de respect », le « prend pour son larbin » et le « rabroue devant les clients ».
L’arrêt précise que « deux salariées de la société [employeur] confirment le comportement hautain, voire méprisant, habituel de M. [X] [R] à l’égard de son collègue de travail ». La cour ajoute que « la réalité du comportement habituel de M. [X] [R] est également confirmée par deux anciennes salariées de l’entreprise ». Cette convergence de témoignages emporte la conviction des juges.
La cour écarte par ailleurs les attestations produites par le salarié licencié. Elle relève que les témoignages de clients attestant de bonnes relations entre les deux collègues « ne permettent pas de contredire utilement les propos de ce collègue concernant les faits qu’il subissait en dehors de la présence de ces clients ». Cette analyse révèle une appréciation rigoureuse de la force probante respective des différents éléments.
L’enquête menée par le médecin du travail, ayant exercé son droit d’alerte, vient conforter cette analyse. La cour retient qu’elle « a confirmé l’existence de violences psychologiques exercées par M. [X] [R] à l’égard de deux collègues de travail ». Cette intervention d’un tiers institutionnel renforce la crédibilité des accusations portées contre le salarié.
B. Le lien causal entre le comportement habituel et l’incident déclencheur
La cour établit une relation directe entre l’attitude générale du salarié et l’altercation physique survenue le 12 mars 2021. Elle retient qu’« il est ainsi suffisamment démontré que le comportement fautif de M. [X] [R] à l’égard de son collègue, en présence d’un client, est directement à l’origine de l’altercation lors de laquelle il a reçu un coup sur la joue ».
Cette formulation mérite attention. Le salarié licencié n’est pas l’auteur du coup porté, mais la victime. La cour considère néanmoins que son comportement a provoqué la réaction de son collègue. L’arrêt relève que lors de l’intervention, le salarié a interrompu son collègue pour lui dire « tais-toi, tu ne connais rien, tu n’es qu’un assistant ». Cette humiliation publique, devant une cliente, constitue l’élément déclencheur de l’altercation.
La cour souligne également l’attestation de la cliente, « manifestement proche » du salarié licencié, qui confirme l’origine de l’altercation en évoquant « un jeu d’échanges verbal » ayant donné lieu à un pari. Cette pièce, produite par le salarié lui-même, se retourne contre lui en établissant qu’il a bien provoqué la situation conflictuelle.
Le comportement reproché ne se limite donc pas à un incident isolé. La cour inscrit l’altercation dans un contexte plus large de relations de travail dégradées par l’attitude du salarié. Cette approche globale permet de dépasser la simple analyse de l’incident pour apprécier un comportement fautif structurel.
II. Les conséquences de la qualification de faute grave sur la rupture du contrat
La reconnaissance de la faute grave emporte des conséquences importantes sur les droits du salarié (A), tandis que la cour maintient par ailleurs la condamnation de l’employeur pour manquement à ses obligations en matière d’entretiens professionnels (B).
A. L’impossibilité du maintien dans l’entreprise justifiant la rupture immédiate
La cour retient que le comportement du salarié « rendait impossible la poursuite du contrat de travail ». Cette formule reprend le critère classique de la faute grave, qui se distingue de la cause réelle et sérieuse par l’impossibilité de maintenir le salarié dans l’entreprise, même pendant la durée du préavis.
L’arrêt précise que ce comportement « avait pour effet de dégrader les conditions de travail et était de nature à porter atteinte à la santé d’autres salariés ». Cette motivation rattache les agissements du salarié à la définition du harcèlement moral telle qu’elle figure à l’article L. 1152-1 du code du travail. La dégradation des conditions de travail et l’atteinte potentielle à la santé des collègues constituent des éléments constitutifs du harcèlement.
La qualification retenue prive le salarié de l’indemnité de licenciement après plus de trente-trois années d’ancienneté. Elle le prive également de l’indemnité compensatrice de préavis. Le conseil de prud’hommes avait accordé une indemnité de licenciement de 34 758,67 euros et des indemnités de préavis de 9 877,74 euros et 987,77 euros. L’infirmation du jugement sur ce point représente une perte substantielle pour le salarié.
La cour déboute également le salarié de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, qu’il avait chiffrée à 65 851,60 euros. La reconnaissance de la faute grave rend cette demande sans objet puisqu’elle établit le bien-fondé de la rupture dans ses modalités les plus sévères.
B. Le maintien de la condamnation pour défaut d’entretiens professionnels
La cour confirme la condamnation de l’employeur à verser 3 000 euros de dommages et intérêts pour absence d’entretiens professionnels. Elle relève que la société « ne produit aucun compte-rendu d’entretien professionnel ni aucun état des lieux récapitulatif établi entre la date d’entrée en vigueur de ces dispositions et le licenciement de M. [X] [R] prononcé sept ans plus tard ».
L’article L. 6315-1 du code du travail impose un entretien professionnel tous les deux ans et un état des lieux récapitulatif tous les six ans. La cour précise que ces entretiens sont « consacré[s] aux perspectives d’évolution professionnelles notamment en termes de qualifications et d’emploi » et qu’ils « ne porte[nt] pas sur l’évaluation du travail du salarié ».
L’employeur soutenait que le salarié s’était entretenu régulièrement avec lui, notamment pour solliciter des augmentations de salaire. La cour écarte cet argument en relevant que ces échanges « ne permet[tent] pas de démontrer que la question de l’évolution professionnelle, notamment en matière de qualification et d’emploi, a été abordée ».
La cour constate également qu’« aucune formation n’a été organisée postérieurement à l’année 2014 », alors que la loi du 5 mars 2014 a renforcé les obligations de l’employeur en la matière. Cette carence justifie l’indemnisation du préjudice causé par « l’absence de prise en compte de ses aspirations professionnelles ».
La coexistence de la faute grave et du manquement de l’employeur illustre l’indépendance des deux questions. Le comportement fautif du salarié justifiant son licenciement n’exonère pas l’employeur de ses propres manquements aux obligations légales. Cette solution rappelle que les devoirs respectifs des parties au contrat de travail s’apprécient de manière autonome.