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La procédure collective applicable aux personnes physiques non commerçantes constitue un mécanisme visant à permettre le redressement d’un débiteur en difficulté financière. La conversion d’un redressement judiciaire en liquidation judiciaire intervient lorsque le redressement apparaît manifestement impossible, conformément aux dispositions de l’article L. 631-15 du code de commerce.
Par un arrêt du 10 septembre 2025, la cour d’appel de Colmar s’est prononcée sur l’appel formé contre un jugement de conversion d’un redressement judiciaire en liquidation judiciaire.
Un particulier avait bénéficié de l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire par jugement du tribunal judiciaire de Strasbourg du 3 avril 2023. La période d’observation, initialement fixée à six mois, fut maintenue par plusieurs jugements successifs des 5 juin 2023, 27 novembre 2023 et 4 mars 2024. Par jugement du 24 juin 2024, cette période fut renouvelée pour une ultime durée de six mois sur réquisitions spécialement motivées du ministère public. Le passif déclaré s’élevait à la somme de 339 461,95 euros. Le débiteur disposait d’un patrimoine immobilier évalué à 851 000 euros, comprenant notamment des biens situés aux États-Unis, en France et au Congo.
Par jugement du 7 octobre 2024, la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Strasbourg a mis fin à la période d’observation et prononcé la liquidation judiciaire du débiteur sur conversion de la procédure de redressement judiciaire. Le débiteur a interjeté appel de cette décision le 23 octobre 2024. Dans ses conclusions, il sollicitait l’infirmation du jugement et l’arrêté du plan de redressement qu’il avait proposé, faisant valoir que son redressement était possible au regard de ses actifs et de ses revenus mensuels. Le mandataire judiciaire avait émis un avis extrêmement réservé sur ce plan, relevant une collaboration partielle et difficile du débiteur ainsi que l’opacité de ses revenus. Le ministère public a sollicité la confirmation du jugement entrepris.
La question posée à la cour d’appel de Colmar était de déterminer si le redressement du débiteur était manifestement impossible, justifiant ainsi la conversion de la procédure en liquidation judiciaire.
La cour d’appel de Colmar a confirmé le jugement du 7 octobre 2024 en toutes ses dispositions. Elle a relevé que « les revenus de M. [A] apparaissent obscurs, non fiables et non pérennes » et que « le désintéressement des créanciers apparaît, dans ces conditions et en l’absence de vente de biens immobiliers, illusoire et le redressement est manifestement impossible ».
Cet arrêt illustre l’exigence de transparence financière imposée au débiteur en procédure collective (I) et précise les critères d’appréciation du caractère manifestement impossible du redressement (II).
I – L’exigence de transparence financière du débiteur en procédure collective
L’obligation de loyauté procédurale du débiteur constitue une condition essentielle du maintien de la procédure de redressement (A). Le défaut de collaboration entraîne des conséquences directes sur la crédibilité du plan proposé (B).
A – L’obligation de loyauté procédurale du débiteur
La cour d’appel de Colmar rappelle implicitement le devoir de coopération qui pèse sur le débiteur en procédure collective. Ce devoir trouve son fondement dans la nécessité pour les organes de la procédure d’évaluer avec précision la situation patrimoniale du débiteur afin de déterminer si un redressement est envisageable.
En l’espèce, la cour relève que « les pièces et relevés produits par l’appelant sont incomplets et difficilement exploitables ». Cette insuffisance documentaire se manifestait à plusieurs égards. Le bail concernant l’un des immeubles français n’était pas produit et les quittances de loyers présentées ne correspondaient pas aux montants déclarés par le débiteur. Les versements relatifs au bien situé au Congo n’apparaissaient sur aucun compte bancaire. La cour souligne également qu’« aucune explication n’est présentée quant à l’indemnité perçue aux Etats-Unis, que ce soit concernant son motif ou sa durée ».
Cette opacité financière s’inscrivait dans un comportement plus général relevé par le mandataire judiciaire qui avait indiqué que « durant toute la procédure, la collaboration de M. [A] s’est avérée partielle et difficile ». La perception du RSA par un débiteur disposant d’un patrimoine évalué à 850 000 euros apparaissait « à minima étonnante et potentiellement frauduleuse » selon les termes du rapport du mandataire.
B – Les conséquences du défaut de collaboration sur la crédibilité du plan
L’absence de transparence financière affecte directement la capacité des juridictions à évaluer la faisabilité du plan de redressement proposé. La cour d’appel de Colmar considère que « l’attitude de M. [A] au cours de la procédure rendait peu solides ses engagements ».
Le plan proposé prévoyait un apurement du passif sur dix années avec des versements mensuels progressifs allant de 400 euros en première année à 3 000 euros à partir de la septième année. Ce plan reposait sur des revenus mensuels déclarés de 6 810 euros provenant de diverses sources de loyers et d’allocations. La cour relève toutefois que ces revenus « apparaissent obscurs, non fiables et non pérennes ».
Le principal créancier, dont la créance s’élevait à 134 181,68 euros et était exigible depuis plus de dix ans, avait refusé ce plan. Ce refus témoignait de la défiance générée par l’attitude du débiteur. La cour approuve l’analyse des premiers juges selon laquelle « il n’était pas dans l’intérêt des créanciers de leur imposer un remboursement aléatoire sur 10 ans ».
II – Les critères d’appréciation du caractère manifestement impossible du redressement
L’appréciation du caractère impossible du redressement repose sur l’analyse de la capacité réelle de remboursement du débiteur (A). La réalisation des actifs apparaît comme l’alternative protectrice des intérêts des créanciers (B).
A – L’analyse de la capacité réelle de remboursement
L’article L. 631-15 II du code de commerce permet au tribunal de prononcer la liquidation judiciaire « si le redressement est manifestement impossible ». Cette appréciation suppose l’examen de la capacité du débiteur à désintéresser ses créanciers dans le cadre d’un plan réaliste et crédible.
La cour d’appel de Colmar relève une contradiction majeure entre la situation patrimoniale affichée et le comportement financier du débiteur. Elle observe qu’« il est difficilement compréhensible, au regard des revenus évoqués, que l’appelant fasse état de difficultés financières l’empêchant de s’acquitter, ne serait-ce que partiellement, des frais de procédure ». Le débiteur n’avait en effet pas contribué aux frais de procédure depuis l’ouverture de celle-ci en avril 2023, alors même que son passif était gelé.
Cette incohérence entre les déclarations et les actes constituait un indice déterminant. Le débiteur prétendait disposer de revenus mensuels nets de près de 5 000 euros après déduction des charges, mais ne participait pas aux frais de la procédure. La cour en déduit logiquement que « le désintéressement des créanciers apparaît, dans ces conditions et en l’absence de vente de biens immobiliers, illusoire ».
B – La réalisation des actifs comme alternative protectrice
Face à l’impossibilité manifeste du redressement, la liquidation judiciaire permet la réalisation des actifs du débiteur au bénéfice des créanciers. Les premiers juges avaient considéré que « la réalisation des actifs du patrimoine serait plus protectrice » que le plan proposé. La cour d’appel de Colmar confirme cette analyse.
Le patrimoine immobilier du débiteur représentait une valeur estimée à 851 000 euros pour un passif de 339 461,95 euros. Le ratio actif-passif permettait théoriquement un désintéressement intégral des créanciers par la vente des biens. Le plan proposé prévoyait certes une clause d’inaliénabilité des immeubles français, mais cette garantie n’offrait pas aux créanciers la certitude d’un remboursement effectif compte tenu de l’aléa pesant sur les revenus déclarés.
La solution retenue par la cour d’appel de Colmar s’inscrit dans une jurisprudence constante privilégiant la protection des créanciers lorsque le débiteur ne démontre pas sa capacité réelle à exécuter le plan proposé. Le caractère manifestement impossible du redressement ne s’apprécie pas uniquement au regard de l’existence d’un actif suffisant, mais également au regard de la crédibilité des engagements du débiteur et de sa transparence financière tout au long de la procédure.