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L’assurance maladie, en vertu de l’article L. 321-1 du code de la sécurité sociale, garantit le versement d’indemnités journalières à l’assuré dont l’incapacité physique est constatée par certificat médical. La question de l’opposabilité d’une expertise médicale à un nouvel arrêt de travail prescrit pour une pathologie distincte soulève des difficultés particulières lorsque la chronologie des événements laisse présumer un lien entre les deux situations médicales.
Un salarié, ayant surmonté un cancer en 2016 et repris son activité professionnelle en 2017, se trouve à nouveau en arrêt de travail à compter de 2019 pour asthénie intense. La caisse primaire d’assurance maladie cesse de prendre en charge cet arrêt le 11 décembre 2019, au vu des conclusions d’un expert qui retient une aptitude à la reprise du travail au 17 décembre suivant. Deux jours plus tard, le 19 décembre 2019, un nouvel arrêt de travail est prescrit pour syndrome anxio-dépressif réactionnel, prolongé jusqu’au 26 février 2021. La caisse refuse l’indemnisation de ce nouvel arrêt. L’assuré saisit la commission de recours amiable, qui confirme le refus le 12 octobre 2021, puis le tribunal judiciaire.
Le tribunal judiciaire de Strasbourg, par jugement du 9 novembre 2022, accueille la contestation de l’assuré. Il juge que l’avis de l’expert, portant sur l’aptitude au 17 décembre 2019, ne pouvait préjuger de l’état de santé au 19 décembre suivant pour une pathologie nouvelle. Il condamne la caisse au paiement des indemnités journalières et de dommages et intérêts pour la perte de trimestres de retraite. La caisse interjette appel.
Devant la cour d’appel de Colmar, la caisse soutient que le certificat médical prescrivant le nouvel arrêt n’est pas compatible avec les conclusions de l’expert et qu’aucun élément médical ne corrobore la réalité du syndrome anxio-dépressif allégué. L’assuré répond que l’expertise, limitée à l’asthénie, ne pouvait porter sur une pathologie future et que son inaptitude ultérieurement prononcée par la médecine du travail démontre sa réelle incapacité.
La question posée à la cour était de déterminer si la caisse pouvait refuser l’indemnisation d’un arrêt de travail prescrit pour une nouvelle pathologie lorsque le certificat médical, bien que régulier en la forme, apparaît contredit par une expertise antérieure et n’est corroboré par aucun élément objectif.
La cour d’appel de Colmar, par arrêt du 11 septembre 2025, infirme le jugement. Elle juge que « ce texte n’instaure pas une automaticité de la prise en charge au seul vu d’un certificat médical » et que la caisse peut « mettre en doute ce certificat si elle dispose d’éléments contraires ». Elle relève que la nouvelle pathologie, survenue deux jours après l’avis d’aptitude, « a légitimement pu être regardée comme suspecte » et que sa réalité « n’est corroborée par aucun élément versé aux débats ».
Cette décision illustre les limites de la force probante du certificat médical en matière d’arrêt de travail et mérite examen tant sur le plan de l’appréciation de la réalité de l’incapacité par la caisse (I) que sur celui des conséquences du refus d’indemnisation sur l’action indemnitaire de l’assuré (II).
I. L’appréciation de la réalité de l’incapacité par la caisse
La cour reconnaît à la caisse un pouvoir de contrôle sur le certificat médical (A), dont l’exercice suppose toutefois la production d’éléments objectifs de nature à en contredire les constatations (B).
A. La reconnaissance d’un pouvoir de contrôle sur le certificat médical
L’article L. 321-1 du code de la sécurité sociale conditionne le versement des indemnités journalières à la production d’un certificat médical constatant l’incapacité physique de l’assuré. Le premier juge avait retenu une lecture stricte de ce texte, considérant que la prescription d’un arrêt de travail par le médecin traitant suffisait à ouvrir droit aux prestations.
La cour d’appel adopte une interprétation différente. Elle énonce que le texte « se limite à conditionner le versement des indemnités journalières à la production d’un certificat médical motivé, sans interdire à la caisse de mettre en doute ce certificat si elle dispose d’éléments contraires ». Cette lecture distingue la condition formelle d’ouverture des droits, satisfaite par la production du certificat, et l’appréciation substantielle de la réalité de l’incapacité, qui demeure sous le contrôle de la caisse.
Cette solution s’inscrit dans la logique du contrôle médical organisé par les articles L. 315-1 et suivants du code de la sécurité sociale. Le médecin-conseil dispose en effet du pouvoir de vérifier la justification médicale des prestations. La cour confirme ainsi que le certificat médical, s’il constitue une condition nécessaire de l’indemnisation, n’en est pas une condition suffisante.
La portée de cette reconnaissance est considérable. Elle signifie que l’assuré, même muni d’un certificat médical régulier, peut se voir refuser le bénéfice des indemnités journalières si la caisse établit que la pathologie alléguée n’est pas réelle ou ne justifie pas l’interruption de travail.
B. L’exigence d’éléments objectifs contredisant le certificat
Le pouvoir de contrôle reconnu à la caisse n’est pas discrétionnaire. La cour précise qu’il ne peut s’exercer que si la caisse « dispose d’éléments contraires ». Cette formulation implique une charge probatoire pesant sur l’organisme qui conteste la validité du certificat médical.
En l’espèce, plusieurs éléments ont conduit la cour à valider le refus d’indemnisation. La chronologie des faits révèle que le nouvel arrêt est intervenu « deux jours seulement après la cessation des indemnités journalières versées au titre d’une asthénie persistante ». Cette soudaineté justifiait un doute légitime. La cour relève en outre que « la nouvelle pathologie n’était pas documentée antérieurement et pouvait donc étonner par sa survenance soudaine ».
L’analyse de la consommation de soins pendant la période litigieuse a révélé l’absence de « consommation médicamenteuse ou suivi spécialisé en rapport avec la nouvelle pathologie invoquée ». Cette absence de cohérence entre le diagnostic allégué et le parcours de soins effectif constitue un indice déterminant. Un syndrome anxio-dépressif suffisamment sévère pour justifier treize mois d’arrêt de travail devrait normalement s’accompagner d’un traitement et d’un suivi psychiatrique régulier.
La cour examine également le compte-rendu du psychiatre consulté le 21 janvier 2020, qui mentionnait un « syndrome anxieux réactionnel à la décision arbitraire du médecin-conseil ». Elle distingue ce simple syndrome anxieux du « véritable syndrome anxio-dépressif suffisamment sévère pour empêcher celui qui en est atteint de travailler ». Cette distinction nosologique illustre l’exigence d’une correspondance entre la pathologie diagnostiquée et l’incapacité professionnelle qu’elle engendre.
II. Les conséquences du refus d’indemnisation sur l’action indemnitaire
Le refus d’indemnisation, une fois validé par le juge, fait obstacle à l’action en responsabilité (A), ce qui conduit à s’interroger sur la situation de l’assuré privé de toute indemnisation (B).
A. L’exclusion de la faute par la validation du refus
Le premier juge avait condamné la caisse à verser des dommages et intérêts à hauteur de huit mille euros, au titre de la perte de trimestres de cotisation pour la retraite occasionnée par le refus d’indemnisation. L’assuré sollicitait en appel la majoration de cette somme à dix mille euros.
La cour rejette cette demande en énonçant que « la validation par la cour du refus de versement des indemnités journalières exclut son caractère fautif et fait ainsi obstacle à l’action indemnitaire ». Cette solution procède d’une application classique des conditions de la responsabilité civile posées par l’article 1240 du code civil, qui exige la démonstration d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité.
Le raisonnement de la cour est rigoureux. Dès lors que le refus d’indemnisation est reconnu légitime, il ne peut constituer une faute de la caisse. L’absence de faute fait échec à l’action en responsabilité, sans qu’il soit nécessaire d’examiner la réalité du préjudice allégué.
Cette solution invite à distinguer deux situations. Lorsque le juge annule le refus d’indemnisation et condamne la caisse au paiement des indemnités journalières, la résistance opposée peut caractériser une faute ouvrant droit à réparation du préjudice distinct de la simple privation temporaire des prestations. En revanche, lorsque le refus est validé, aucune faute ne peut être retenue et l’assuré demeure privé de tout recours indemnitaire.
B. La situation de l’assuré privé d’indemnisation
La décision commentée aboutit à priver l’assuré de toute indemnisation pour une période de treize mois d’arrêt de travail. Cette situation soulève la question de la protection sociale des assurés dont la pathologie n’est pas suffisamment documentée.
L’assuré invoquait son licenciement pour inaptitude prononcé le 30 mars 2021, postérieurement à la période litigieuse. La cour écarte cet argument en précisant que l’inaptitude constatée par la médecine du travail « induit qu’il était inapte à l’emploi particulier qu’il occupait ainsi qu’à tout autre emploi de reclassement dans l’entreprise qui l’employait, mais non qu’il était inapte à l’exercice d’une activité professionnelle quelconque ».
Cette distinction entre l’inaptitude au poste et l’incapacité de travail au sens de l’article L. 321-1 du code de la sécurité sociale est juridiquement fondée. L’inaptitude prononcée par le médecin du travail s’apprécie au regard d’un emploi déterminé dans une entreprise donnée. L’incapacité ouvrant droit aux indemnités journalières suppose une impossibilité de continuer ou de reprendre le travail, appréciée de manière plus générale.
La portée de cette décision dépasse le cas d’espèce. Elle rappelle que l’assuré doit être en mesure de documenter la réalité de sa pathologie et sa cohérence avec le parcours de soins suivi. Le certificat médical, s’il demeure la pièce maîtresse de la demande d’indemnisation, ne saurait à lui seul faire la preuve de l’incapacité lorsque des éléments objectifs viennent le contredire.