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Cour d’appel de Colmar, 11 septembre 2025. Un salarié intérimaire, affecté à l’assemblage de sièges, se blesse à l’œil en manipulant un outil de fermeture de housse. Les versions divergent sur la manœuvre et l’initiative, entre opération de retouche et geste d’ouverture hors procédure. La prise en charge au titre des risques professionnels est acquise, une rechute est reconnue, puis l’état de santé est déclaré guéri.
Après un rejet en première instance de l’action en faute inexcusable engagée contre l’employeur, l’appelante saisit la juridiction de second degré. À l’audience, une pièce nouvelle est communiquée tardivement par une partie adverse, que le juge écarte pour atteinte au contradictoire. Au fond, la formation sociale confirme l’absence de faute inexcusable, au regard des éléments factuels retenus et du document d’évaluation des risques.
Les prétentions se concentrent sur la conscience du danger allégué, l’adéquation des équipements de protection individuels, l’existence d’une formation et la défectuosité de l’outil. La substitution de l’entreprise utilisatrice dans la direction, prévue par le code, est invoquée à titre de responsabilité partagée, tout comme une expertise médicale aux fins d’évaluation des préjudices.
La question de droit tient, d’abord, à l’articulation du principe du contradictoire dans la phase de plaidoirie et à la sanction d’une communication tardive. Elle porte, ensuite, sur la caractérisation de la faute inexcusable, définie par la conscience prévisible du danger et l’insuffisance des mesures de prévention, ainsi que sur la charge de la preuve.
La décision écarte la pièce communiquée à la plaidoirie, puis confirme l’absence de faute inexcusable. La formation rappelle que « La faute inexcusable au sens de l’article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale est constituée lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures pour l’en préserver ». Elle ajoute que « Il est en revanche indifférent que cette faute de l’employeur ait été la cause déterminante de l’accident ; il suffit qu’elle en soit une cause nécessaire (…) ». Enfin, « la preuve de la faute inexcusable, qui ne se présume pas, incombe à la victime ».
I. Autorité du contradictoire et critères de la faute inexcusable
A. L’écartement de la pièce tardive au regard du contradictoire
Le juge de l’appel rappelle la portée des articles 15 et 16 du code de procédure civile, qui exigent une communication en temps utile et un débat loyal. La pièce produite à la plaidoirie, sans justification de la tardiveté ni possibilité de réplique effective, méconnaît ce standard procédural minimal.
La formulation retenue est nette et proportionnée. La formation estime que la communication tardive « a porté atteinte au principe de la contradiction, de sorte qu’il convient de l’écarter des débats ». La solution prévient toute instrumentalisation des échanges d’audience et sécurise la sérénité des débats, sans excès formaliste.
Cette approche ne surprend pas. Elle s’inscrit dans une ligne constante qui relie l’obligation d’information réciproque à l’effectivité des droits de la défense. Elle réaffirme la diligence procédurale comme condition d’utilisation des moyens produits.
B. La définition opératoire de la faute inexcusable et le régime probatoire
La formation sociale réitère la définition désormais classique. La faute inexcusable suppose une conscience, ou une conscience exigible, d’un danger déterminé et l’absence de mesures préventives adaptées. Le manquement doit entretenir un lien nécessaire avec le dommage, sans devoir être sa cause déterminante.
Trois propositions structurent le raisonnement. D’abord, « La faute inexcusable (…) est constituée lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger (…) et qu’il n’a pas pris les mesures pour l’en préserver ». Ensuite, « Il est en revanche indifférent que cette faute (…) ait été la cause déterminante de l’accident ; il suffit qu’elle en soit une cause nécessaire ». Enfin, « la preuve de la faute inexcusable, qui ne se présume pas, incombe à la victime ».
Le cadre de la relation tripartite de travail temporaire n’altère pas ces critères. La substitution dans la direction de l’entreprise utilisatrice n’atténue ni la nécessité d’un risque identifiable, ni l’exigence de mesures adaptées, ni la charge probatoire pesant sur la victime. Le contrôle s’opère in abstracto, au regard d’une prévisibilité raisonnable des risques.
II. Application aux faits et portée de la solution
A. Appréciation concrète des risques, de l’outil et des consignes
La juridiction retient un enchaînement factuel précis. L’outil en cause est un crochet à manche, dédié à la fermeture des housses par un mouvement simple. Elle relève que l’usage correct s’effectue « dont le maniement devait se faire du haut vers le bas, c’est-à-dire pour descendre la fermeture éclair de la coiffe afin de la fermer, et non du bas vers le haut comme l’a fait le salarié dans le but de remonter la fermeture éclair pour l’ouvrir ». Le geste incriminé procède d’une initiative d’ouverture étrangère au cycle normal.
La preuve d’un ordre hiérarchique n’est pas administrée. Le juge souligne qu’« Il n’est pas démontré, comme le soutient le salarié, qu’il a réalisé la manipulation ayant conduit à l’accident sur ordre de son supérieur hiérarchique ». La contrariété de témoignages, dont l’un n’était pas mentionné comme témoin initial, affaiblit l’allégation.
La défectuosité de l’outil n’est pas établie par des éléments techniques précis. La motivation écarte une assertion générale sur un outil prétendument hors normes, non corroborée par une description de la défaillance ni par une analyse matérielle vérifiable.
Le document unique identifie un risque de plaie aux mains lié à l’embout de l’outil et prescrit des gants, fournis au salarié. Le risque oculaire n’y figurait pas. La Cour énonce qu’« Aucun élément du dossier ne permet de retenir que l’employeur aurait manqué à son obligation de sécurité en s’abstenant de fournir au salarié des lunettes de protection, le risque de plaie au niveau des yeux ne constituant pas un risque identifié dans le document unique au jour de l’accident ». L’argument tiré d’un port généralisé de lunettes postérieur à l’accident ne suffit pas à établir, antérieurement, une conscience exigible d’un danger spécifique.
La formation prend également en compte une formation sécurité initiale, et le caractère rudimentaire de l’outil, ne présentant « aucune complexité ». La combinaison de ces éléments ne permet pas d’inférer que l’employeur avait, ou devait avoir, une conscience effective du risque survenu lors d’un usage non conforme.
B. Portée : probatio diabolica évitée, exigence de traçabilité et vigilance en intérim
La décision confirme une ligne de crête. Elle évite de transformer la faute inexcusable en responsabilité de précaution absolue. La preuve reste à la charge de la victime, selon une exigence de vraisemblance étayée par des éléments convergents, techniques et organisationnels. La juridiction refuse de suppléer l’insuffisance probatoire par des conjectures sur une éventuelle fragilité de l’outil ou sur un risque non identifié.
La portée opérationnelle est claire. D’une part, le document unique demeure l’instrument cardinal d’objectivation des risques. Sa mise à jour motivée, corrélée aux postes et aux gestes, conditionne l’exigence de mesures individuelles supplémentaires. D’autre part, la traçabilité des consignes et des formations, y compris en situation de retouche ou d’arrêt de ligne, constitue un élément déterminant d’exonération.
Dans le cadre de l’intérim, la substitution de l’entreprise utilisatrice dans la direction implique une vigilance partagée, notamment sur les gestes exceptionnels et la maîtrise des outils. La présente solution rappelle toutefois que l’absence de défaut intrinsèque, l’usage non conforme et la non‑identification préalable d’un risque oculaire suffisent à écarter la conscience exigible du danger.
Enfin, la réaffirmation du contradictoire, par l’écartement d’une pièce tardive, renforce l’exigence de loyauté procédurale en contentieux social. Elle garantit que l’analyse des risques et des consignes s’opère sur un socle probatoire stable et contradictoirement débattu, condition nécessaire d’une qualification rigoureuse de la faute inexcusable.